Cet article date de plus de quatre ans.

"Frauder le fisc était un sport national" : au dernier jour du procès de Patrick Balkany, sa défense "demande de le juger avec mesure"

La défense de Patrick Balkany a dénoncé mercredi la peine "monstrueuse" requise contre le maire de Levallois-Perret pour blanchiment et corruption, au terme d'un procès composé de deux volets et qui a duré cinq semaines.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Patrick Balkany (à gauche) et son avocat Eric Dupond-Moretti arrivent au tribunal de grande instance de Paris, le 19 juin 2019.  (ERIC FEFERBERG / AFP)

"On commet tous des erreurs. Le premier jour de cette audience, par exemple, Eric Dupond-Moretti vous a accordé un âge canonique de 71 ans." Debout, derrière le banc des prévenus, Antoine Vey désigne son client, Patrick Balkany. Le maire de Levallois-Perret est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris, notamment pour corruption passive, blanchiment de fraude fiscale aggravée et prise illégale d'intérêts.

Lors du dernier jour d'audience, mercredi 19 juin, l'avocat de 35 ans à la mèche blonde exubérante a choisi d'évoquer, dès le début de sa plaidoirie, le moment où Patrick Balkany a repris publiquement Eric Dupond-Moretti sur son âge. Une scène surréaliste qui restera sans doute comme la séquence la plus forte du procès.

"Ce dossier, c'est suspicieux tellement il est évident"

La différence d'âge, pour mieux marquer la frontière entre deux époques. "Vous ressemblez plus à un homme politique du XXe siècle que du XXIe. Je vous imagine plus partager un cigare avec un Winston Churchill qu'à picorer des graines de quinoa avec un Yannick Jadot", lance Antoine Vey. Tantôt, il agite ses mains, tantôt, il les appuie sur le colossal dossier posé sur la table devant lui. N'y a-t-il rien dans cet immense dossier ? Alors que le parquet national financier a requis à l'encontre de Patrick Balkany, dans le second volet de son procès, sept ans de prison ferme, son incarcération immédiate, dix ans d'inéligibilité et la confiscation de tous ses biens, son avocat interroge.

Comment peut-on demander une sanction aussi lourde dans un dossier aussi vide ?

Antoine Vey

devant le tribunal correctionnel de Paris

Pour l'avocat, le patrimoine des Balkany "provient de leur famille". "Je souhaite que ce soit dit et redit", insiste-t-il. "Ce dossier, c'est suspicieux tellement il est évident, c'est suspicieux tellement il est limpide. Vous êtes en face d'hypothèses adaptées au gré de témoignages qui sont modifiés à tout-va", ajoute, d'une voix égale, l'avocat, qui plaide la relaxe du délit de corruption.

On lui a reproché une forme de démesure. Je vous demande de le juger avec mesure, car la mesure, c’est la seule qui convienne à la justice.

Antoine Vey

devant le tribunal correctionnel de Paris

"On est entrés dans une nouvelle ère"

Antoine Vey prononce les derniers mots d'une traite. "Bravo", entend-on dans le public. Sa silhouette fluette s'efface et laisse place à son associé, le colossal Eric Dupond-Moretti. Connu pour ses effets de crescendo, l'avocat commence piano, sans mâcher ses mots : "Il y a une violence dont on parle moins. On a beaucoup plus de mal à en parler, à l'appréhender : c'est la violence judiciaire. Elle ne sent pas la pisse, l'hémoglobine, elle sent le costume du dimanche fait de satin et de vernis."

Eric Dupond-Moretti rappelle que nombre de crimes de sang sont moins sanctionnés que les peines de prison ferme requises par le parquet national financier (PNF) dans les deux volets du procès : quatre ans dans le premier et sept ans dans le second. "Une justice qui réclame 11 ans pour fraude fiscale, moi qui suis un vieux con je trouve ça monstrueux", déclame-t-il. "L’argent de Patrick Balkany, il n’est pas démontré que c’est de l’argent public, plaide l'avocat. Messieurs, dites qu’il a pris de l’argent public et je m’incline. Mais si vous n’avez pas de preuves…", glisse-t-il, avant d'attaquer les représentants du ministère public avec véhémence.

Du haut de vos petits lutrins transparents - transparents comme la société que vous appelez sans doute de vos vœux - vous êtes les chefs d'orchestre de la morale publique.

Eric Dupond-Moretti

devant le tribunal correctionnel

"Je sais qu’on est entrés dans une ère nouvelle", reconnaît toutefois Eric Dupond-Moretti. "On ne condamne pas un homme de 71 ans, bientôt, comme Antoine Vey, s'il avait l’audace de le faire", implore l'avocat. Nouvelle référence au différend du premier jour. La salle s'esclaffe. Deux générations, deux attitudes : Patrick Balkany est d'une autre époque, quand "frauder le fisc était un sport national".

"Dans sa peine il y a aussi l'état de santé de sa femme"

"Il fait le beau parce que c’est un homme public" : Eric Dupond-Moretti s'attache aussi à défendre l'homme qui se cache derrière la posture. "Il peut prendre 11 ans, vous ne le verrez pas pleurer. Parce que Patrick Balkany est pudique", expose l'avocat, qui fustige le mandat de dépôt requis par le PNF, une "humiliation que vous voulez lui infliger".

"Dans sa peine il y a aussi l’état de santé de sa femme", dit-il encore. En convalescence après une tentative de suicide le 1er mai, Isabelle Balkany est la grande absente de ce procès. Contre elle, le parquet a demandé quatre ans avec sursis et 500 000 euros d'amende. Dans le premier volet, quatre ans de prison dont deux ferme avaient été requis.

En fait vous avez peur que madame Balkany se tue. Vous faites une différence colossale entre les deux. Vous avez peur parce que ce serait le scandale dans le scandale.

Eric Dupond-Moretti

devant le tribunal correctionnel de Paris

Eric Dupond-Moretti cite Albert Camus, Georges Pompidou et enfin Michel Audiard, auteur des dialogues de Mort d'un pourri, film réalisé par Georges Lautner en 1977. "La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson", conclut-il.

La mine plus grave, la voix moins belliqueuse que lors des semaines précédentes, Patrick Balkany est invité à s'exprimer une dernière fois à la barre. Son ultime déclaration est pour Alexandre et Isabelle Balkany. "Mon fils n’avait rien à faire ici. Il n'est responsable de rien", regrette-t-il. Puis il parle de sa femme, qui lui a demandé "de l’excuser encore une fois". "Elle aurait vraiment voulu être au tribunal, elle avait des choses à dire", insiste-t-il.

Je n'aspire qu'à une chose, c'est de pouvoir rester auprès de ma femme, car elle a besoin que je sois auprès d'elle.

Patrick Balkany

devant le tribunal correctionnel de Paris

Le jugement a été mis en délibéré au 18 octobre. Celui du premier procès doit être rendu le 13 septembre. Il appartiendra au tribunal de prononcer ou pas une confusion des peines, s'il condamne les édiles dans ces deux dossiers.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.