Affaire Thévenoud : les mailles du filet étaient-elles trop larges ?
"Faites repentance fiscale parce que le compte à rebours va s'enclencher "... L'exhumation d'archives politiques peut parfois être cruelle ; l'auteur de cette phrase, adressée à Jérôme Cahuzac, vient en effet de démissionner du gouvernement pour "des retards de déclaration et de paiement [...] à l'égard de l'administration fiscale ". Thomas Thévenoud, membre de la commission d'enquête sur l'affaire Cahuzac l'année dernière, occupait le poste de secrétaire d'État au Commerce extérieur depuis neuf jours. Dans un entretien accordé au Journal de Saône-et-Loire , il s'explique ce vendredi soir : "On peut m’accuser de négligence – c’est légitime et croyez bien que je suis le premier à le faire - mais pas de malhonnêteté ". En clair, il reconnait avoir connu des retards lors de ses trois dernières déclarations (depuis 2012) et conclut : "Je ne suis pas un fraudeur, je suis un contribuable négligent ".
Double ironie de l'histoire, au-delà du symbole catastrophique pour un jeune ministre qui voit son ascension fulgurante remise en cause. Des procédures de vérification de la situation fiscale des membres du gouvernement existent bien, et elles ont été mises en place dans le sillage de... l'affaire Cahuzac.
L'efficacité de la vérification fiscale
Le 11 octobre 2013, le gouvernement fait adopter un projet mûri de force dans la "déflagration Cahuzac". La loi sur le Transparence de la vie publique promet de moraliser la vie politique, rendant notamment obligatoires les déclarations de patrimoines et d'intérêts pour les élus de la République. En tant que député de Saône-et-Loire, Thomas Thévenoud, s'est acquitté de la formalité, comme ses collègues du Parlement. Ce document a depuis été retiré du site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, le temps qu'elle soit ré-étudiée, comme c'est la règle pour les nouveaux entrants au gouvernement.
Le 1er avril dernier paraît au Journal officiel une autre directive amenée par le texte : la procédure de vérification fiscale des membres du gouvernement. Très formellement, cette vérification porte sur les "impositions dues et non encore prescrites ". Et cette fameuse vérification doit, en théorie, intervenir dans le mois suivant la nomination d'un membre du gouverment, sous la supervision de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée elle aussi dans le sillage de l'affaire Cahuzac. Si nécessaire, la procédure peut même durer jusqu'à trois mois maximum.
Dans le cas de Thomas Thévenoud, il n'a pas fallu attendre longtemps, puisqu'il a été "débarqué" du gouvernement neuf jours après son arrivée. La preuve que le système a fonctionné pour le porte-parole du groupe PS à l'Assemblée nationale, Olivier Faure, interrogé par Julien Langlet.
La réactivité des services pas mise en cause
La direction générale des finances publiques dispose, pour assurer cette mission de vérification, d'une cellule spéciale - celle des "dossiers à très fort enjeu" - au sein de la Direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF), dont les fonctionnaires travaillent en parallèle de leurs collègues agissant pour les particuliers. Ils ont commencé à plancher sur les quatre nouveaux entrants au gouvernement - Thomas Thévenoud mais aussi Emmanuel Macron, Patrick Kanner et Myriam El Khomri - dès le lendemain de leur nomination. Difficile, donc, de mettre en cause leur réactivité.
#Remaniement Comme le prévoient les textes, la @HATVP a retiré de son site les déclarations de l'ancien Gouvernement 1/2
— HATVP (@HATVP) August 28, 2014
#Remaniement La vérification fiscale du nouveau Gouvernement est engagée et ses déclarations seront publiées prochainement 2/2
— HATVP (@HATVP) August 28, 2014
"La rapidité de cette démission montre incontestablement l'efficacité des lois sur la transparence de la vie publique votées en 2013 et l'utilité de la Haute Autorité" (Jean-Louis Nadal, président de la HATVP)
Mais ces fonctionnaires spécialisés n'ont même pas eu à intervenir dans ce dossier, la signalisation ayant eu lieu en amont. Restent les doutes concernant Thomas Thévenoud lui-même. Thomas Thévenoud avoue ainsi des retards "personnels" dans ses déclarations de 2012 à 2014, s'expliquant par sa vie animée de député et d'élu local. En 2013, il a subi une "taxation d'office", l'administration fiscale lui prélevant directement les sommes indues et pénalités après contentieux. Thomas Thévenoud le jure : "Aujourd’hui, au regard de l’administration fiscale, je suis à jour de mes obligations déclaratives et de paiements ".
Une procédure trop longue ?
L'une des questions importantes, mais pour l'instant insoluble, est celle du règlement de ces pénalités : avant ou après son entrée au gouvernement, ou son élection à l'Assemblée nationale en juin 2012 ? Seul Thomas Thévenoud a la réponse à cette question, ainsi qu'à une autre : pourquoi n'a-t-il pas fait état de ses problèmes fiscaux quand la proposition d'entrer au gouvernement lui a été faite ? Et, s'il l'a fait, de quand datent ses problèmes ? Car, malgré tous les dispositifs de vérification mis en place, ce ne sont que des procédures a posteriori, qui présupposent une transparence totale de la part de la personne concernée. Comme le souligne Vincent Drezet, secrétaire général des Finances publiques, "le fait d'avoir payé n'efface pas le fait de ne pas avoir déclaré ". Dans son entretien au Journal de Saône-et-Loire , Thévenoud explique : "Je pensais qu’en ayant entamé les démarches nécessaires à la régularisation de ma situation fiscale, j’avais prouvé ma bonne foi et espérais pouvoir repartir du bon pied ".
Pour René Dosière, député PS et grand spécialiste de la gestion des comptes publics, "ce n'est pas un truc arrivé il y a deux mois ". Par conséquent, la faute de Thomas Thévenoud est évidente pour lui : "Cela ne me viendrait pas à l'idée d'accepter ce poste" , tout en soulignant, lui aussi, que "maintenant la Haute Autorité joue son rôle ". La procédure a rattrapé les errances de l'homme, en clair...
Peut-on aller plus loin ?
Si on l'en croit, Thomas Thévenoud a donc réglé son différend avec le fisc, pénalités comprises. De source proche du dossier, la procédure de contrôle fiscal est pourtant toujours en cours. En théorie, il ne risque rien de plus sur le plan pénal, même si sur le plan politique on peut se poser la question de son maintien à son fauteuil de député de Saône-et-Loire. Par exemple, même s'il s'agissait d'une fraude fiscale avérée, donc bien au-delà des faits reprochés à Thomas Thévenoud, Jérôme Cahuzac avait fini par renoncer à siéger à l'Assemblée nationale. Rien, dans le droit fiscal français, ne vient sanctionner le mensonge, ou l'oubli comme se défend Thomas Thévenoud.
Dans cette affaire, Matignon plaide la bonne foi ; le Premier ministre n'était pas au courant de la situation fiscale de Thomas Thévenoud. Et vu la crise au sommet de l'État, la précipitation dans laquelle s'est déroulée la composition du nouveau gouvernement, la priorité était sûrement ailleurs. C'est pourquoi il a fallu du temps pour aboutir à cette démission. Pour Vincent Drezet, il faudrait "renforcer le contrôle ". Par exemple en introduisant, au moment de la désignation au gouvernement, une "attestation sur l'honneur ".
En prenant exemple sur les États-Unis ? De l'autre côté de l'Atlantique, la vie de chaque candidat à un poste de l'administration fédérale est passée au peigne fin. Et pour cela, le FBI est réquisitionné au côté du fisc américain (Internal Revenue Service). L'étape d'après n'est pas moins stressante pour le candidat, auditionné par une commission spéciale du Sénat. En cas de mensonge enfin - ou parjure dans le droit anglo-saxon - la peine encourue est très sévère : le "ministrable" risque jusqu'à la prison.
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