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Cinéma : "Une femme fantastique" de Sebastian Lelio, en DVD, le 14 novembre

Marina et Orlando, de vingt ans son aîné, s’aiment loin des regards et se projettent vers l’avenir. Lorsqu’il meurt soudainement, Marina subit l’hostilité des proches d’Orlando : une « sainte famille » qui rejette tout ce qu’elle représente. Marina va se battre, avec la même énergie que celle dépensée depuis toujours pour devenir la femme qu’elle est : une femme forte, courageuse, digne… Une femme fantastique !

Article rédigé par franceinfo
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Un femme fantastique (Fabula /Michelle Bossy)

Entretien avec Sebastián Lelio

Quel est le point de départ d’Une Femme fantastique ?

L’origine du projet est liée à mon film précédent, Gloria. D’une certaine manière, Gloria résumait ce que j’avais eu envie de dire dans mes trois premiers films (La Sagrada familia, Navidad et El Año del tigre). C’est un film qui marque la fin d’une étape. Mais j’ai eu envie de passer à autre chose, d’aborder d’autres sujets. Avec Una Mujer Fantástica j’ai voulu répondre à cette question : que se passe-t-il quand on meurt dans les bras de la mauvaise personne ? Je trouvais ce point de départ très puissant mais il me manquait un personnage. Pendant l’écriture du scénario, j’ai essayé de mettre un homme au centre de l’histoire. Plus tard, une femme plutôt âgée. Puis, une jeune fille. J’ai tout essayé, mais l’histoire ne prenait pas. Un jour, j’ai eu une autre intuition, celle de choisir une femme transgenre. Ce fut le déclic. Je trouvais l’idée exaltante mais j’avais un petit problème car je ne connaissais rien au sujet. Je me suis rendu compte que je n’avais aucun ami trans, ni à Santiago ni à Berlin, où je vis désormais. Avec mon coscénariste, Gonzalo Maza, nous avons décidé d’arrêter l’écriture pour rencontrer des femmes transgenres.   

Et c’est là que votre actrice, Daniela Vega, est apparue.

Daniela a été la troisième personne que nous avons rencontrée. En sortant du rendez-vous, je me suis dit que c’était tout à fait impossible de faire le film sans une actrice transgenre. Pour moi, cela aurait été une aberration, un anachronisme esthétique dans une époque où l’on voit émerger un nouveau paysage des genres. Faire l’inverse m’aurait rappelé les débuts du cinéma, quand les noirs avaient l’interdiction de jouer dans des films et les comédiens blancs se mettaient en scène, grimés en noirs. Tourner mon film sans un vrai personnage trans aurait été aussi brutal. D’autre part, il s’agit d’un film transgenre à part entière : il oscille entre plusieurs genres différents, du cinéma romantique au thriller, en passant par les films de fantômes et même aux comédies musicales. Que l’actrice principale soit une femme transgenre le rapproche, sinon du documentaire, du moins du « document ». Elle fait battre le réel au coeur du film. Elle pousse le film vers un territoire cinématographique plus épineux, plus provocant et plus précieux. Daniela a une immense énergie, beaucoup d’intelligence et d’humour. Elle a un talent rare : elle est à la fois très politique et très légère. J’ai été fasciné par sa présence. Elle a quelque chose d’un personnage cubiste. Cela dit, au début, elle n’a été associée au projet qu’en tant que consultante. C’est quand j’ai fini le scénario que j’ai compris que mon héroïne, c’était elle. Je lui ai envoyé le scénario avec une petite note : " Voudrais-tu être Marina ? ". Elle a accepté sur-le-champ. Elle attendait depuis un bon moment qu’on lui propose un film qui puisse la lancer. Elle était prête pour relever ce défi. 

Définissez-vous votre film comme étant militant ?

Il n’y a jamais eu un aspect militant dans ma démarche. Je suis un homme blanc et hétérosexuel. Mes expériences vitales ont été jusque-là très éloignées de la cause des minorités sexuelles. Ce n’était donc pas un sujet qui répondait à une inquiétude personnelle. Cela dit, tout cela n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est le film et sa résonance dans notre société. Autrement dit, même s’il ne s’agit pas d’un film militant, car il pose plus de questions qu’il ne donne de réponses, je serais ravi que des spectateurs militants s’en emparent. Qu’ils s’en servent, s’ils le souhaitent. Mon film est un Cheval de Troie. Il démarre comme un spectacle mais il contient d’autres sous-textes. J’ai un très grand respect pour ces minorités, mais je préfère le voir comme un spectacle que comme un pamphlet. 

 

Pensez-vous que le cinéma latino-américain soit plus à l’aise pour aborder des sujets liés à la sexualité et au genre que d’autres cinémas plus liés aux besoins du marché ?

Il ne faut pas généraliser. On peut trouver des espaces de liberté dans plein d’autres pays. Plutôt que l’origine géographique, je pense que cela dépend de la volonté des personnes qui font le film. Cela dit, tourner dans un pays comme le mien où l’industrie du cinéma demeure très fragile, peut-être, dans ce sens-là, un atout. C’est un pays où les films sont artisanaux. C’est une autre réalité, très difficile mais très belle aussi. Ce qui nous fait bouger, c’est la soif de faire un film. Il n’y a pas une structure industrielle qui nous soutienne, comme elle existe dans d’autres pays. Il n’y a pas d’agents ni de projets de scénario qui circulent. En contrepartie, il y a beaucoup de liberté. On peut faire un film sur une femme transgenre sans que cela pose vraiment problème. Les filtres sont moindres que dans des réalités plus industrielles où l’on doit répondre à certains codes dictés par un marché.

Dans Gloria comme dans Una Mujer Fantástica, vous dressez un portrait de femme indépendante et laissée pour compte. Pour quelles raisons ?

Ce n’est pas un objectif stratégique mais je ne peux pas nier qu’il existe chez moi une fascination pour le féminin. Peut-être parce qu’il est synonyme de ce qui est menacé, marginalisé et laissé pour compte. J’ai toujours vécu entouré de femmes, dans ma famille comme dans ma vie professionnelle. Je les ai vues être heureuse, épanouies mais aussi souffrir. Je m’inspire évidemment de ce que je vois. Dans Gloria, le personnage principal avait des points en commun avec la génération de ma mère. Elle était un Frankenstein créé avec des bouts de ma mère et de ses amies. Cette fois-ci, c’est différent. Je n’ai pas eu de modèle particulier, mais je continue effectivement à parler du féminin. Mon prochain film, Disobedience, que je viens de tourner en anglais avec Rachel Weisz, ne fera pas figure d’exception.

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