Cinéma : « Shéhérazade », le nouveau film de Jean-Bernard Marlin, en DVD le 8 janvier
Zachary, 17 ans, sort de prison. Rejeté par sa mère, il fugue de son foyer et traîne dans les quartiers populaires de Marseille. C'est là qu'il rencontre Shéhérazade, une jeune prostituée…
Primé trois fois au festival du film francophone d’Angoulême : Valois de diamant, Valois Magelis des étudiants francophones et Valois Sacem de la musique de film.
Extrait d’entretien avec Jean-Bernard Marlin réalisateur de "Shéhérazade"
D’où vient l’idée de ce film ?
Le point de départ, c’était il y a cinq ans, à Marseille, un fait divers sur un petit proxénète. Un adolescent de 16 ans, en fugue, est arrêté dans un hôtel de passe du centre-ville où il vit avec deux filles prostituées de son âge. Pendant plusieurs mois, ils vivent de l’argent de la prostitution. On l’accuse de proxénétisme. Eux, ils vivent une histoire d’amour. C’était assez violent entre eux, il y avait des coups échangés. Mais les protagonistes l’identifiaient bien comme une histoire d’amour. Cette histoire, je l’ai rencontrée plusieurs fois dans la rue, à Marseille. J’ai vu des jeunes filles prostituées se battre et tenter de survivre sur le trottoir pendant que leur copain était en galère. Certaines leur ramenaient même de l’argent en prison.
Avez-vous connu pendant votre enfance marseillaise des gens comme les personnages de Shéhérazade ?
C’est arrivé, sporadiquement. Je ne baignais pas dans ces milieux, sinon j’aurais sombré dans la délinquance, moi aussi. J’habitais dans le 13ème arrondissement qui, en termes de sociologie, se situe entre les cités pauvres et les quartiers tranquilles. Et j’étais plutôt bon à l’école. Plus tard, en passant quasiment une année dans les Centres Éducatifs Fermés pour un documentaire, j’ai tissé des liens avec cette jeunesse. J’ai même essayé de chercher les protagonistes du fait divers qui m’inspirait. Je ne les ai pas trouvés, mais j’ai rencontré des gens qui les connaissaient, cela a conforté l’idée que cette histoire était assez banale.
Montrer une réalité dont vous avez été le témoin, c’est une nécessité ?
Pour écrire ce film, je suis revenu habiter dans la ville où j’ai grandi. J’ai passé plusieurs mois avec des jeunes femmes qui se prostituent dans le quartier de la Rotonde, où a eu lieu cette histoire. Elles ont entre 16 et 24 ans, elles traînent en bande. Elles vivent dans des chambres d’hôtel du quartier. J’ai observé leur vie dans la rue, je leur ai demandé de me parler de leur vie amoureuse. Je me suis rendu compte que beaucoup d’entre elles étaient passées par des foyers. Ça s’inscrivait dans la continuité de mon travail, un documentaire et un court métrage sur un jeune de foyer. Au départ, ce n’était peut-être pas conscient, mais je sais aujourd’hui qu’à la base d’un projet, il y a toujours pour moi une exigence documentaire. J’ai besoin d’y croire, j’ai un problème de croyance avec un cinéma trop artificiel. Je peux aimer le cinéma fantastique ou de science-fiction, mais il faut que ce soit réaliste. Le cinéma est un sport de riches et mettre en avant des personnes qui restent habituellement dans l’ombre, essayer de le faire de façon authentique, cela me paraît très important. C’est un geste politique. D’où le choix de comédiens non-professionnels : ils ont instinctivement le langage, les gestes des personnages. Leur visage raconte une histoire. Mon producteur, Grégoire Debailly, aime aussi les histoires ancrées dans le réel, avec une approche documentaire. Il produit les films de Samuel Collardey. Mais, avec Shéhérazade, je suis allé un peu plus vers la fiction.
Comment s’est déroulée l’écriture du scénario ?
À Marseille, j’ai rédigé une première version assez documentaire. Puis je suis reparti à Paris, et la scénariste Catherine Paillé m’a fait des retours : ce qui ne devait être qu’une collaboration est devenu une vraie co-écriture. Elle a apporté une sensibilité qui lui est propre, quelque chose de poétique, et aussi beaucoup de bon sens. Les dialogues étaient déjà très écrits parce que je connais le langage de ces jeunes, je connais leurs expressions, je les maitrise même très bien. Ce qui ne m’a pas empêché, au tournage, de laisser parfois les jeunes improviser. Et puis Lisa Amedjout, qui joue le rôle de Sabrina dans le film, m’a aussi aidé : elle connaissait bien les filles du quartier de la Rotonde, elle m’a dit ce qui sonnait juste ou pas dans leurs scènes.
Le casting a dû être une étape longue et capitale...
Il a duré près de huit mois jusqu’à fin août 2017 - alors que le tournage démarrait en septembre. On savait que le film serait vraiment centré sur les acteurs, on a pris le temps qu’il fallait. On a fait essentiellement du casting sauvage. La directrice de casting, Cendrine Lapuyade, et toute son équipe, a cherché dans tous les quartiers de la ville pour dénicher les acteurs principaux du film, en passant par les foyers, les sorties de prison. Dylan Robert, le comédien principal, est très proche de Zachary, son personnage. Je l’ai rencontré en casting, juste après sa sortie de prison de l’Établissement pénitentiaire pour mineurs de Marseille, le même que celui que l’on voit dans le film. Quand il sort de prison au début du film, il « rejoue » donc ce qu’il a vécu vraiment dans la vraie vie, trois mois auparavant, avec les mêmes surveillants de l’administration pénitentiaire... Avec les autres acteurs, j’ai recherché de la même façon cette coïncidence entre le réel et le scénario du film. Du coup, beaucoup d’acteurs jouaient leur propre rôle, y compris les avocats et les éducateurs que cela amusait beaucoup. La juge est jouée par une avocate.
Plus d’informations sur le site d’Ad Vitam
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