Cinéma : « L’homme fidèle » un film de et avec Louis Garrel, avec Laetitia Casta et Lily-Rose Depp, en DVD le 7 mai
Abel et Marianne sont séparés depuis 10 ans. Alors qu’ils se retrouvent, Abel décide de reconquérir Marianne. Mais les choses ont changé : Marianne a un fils, Joseph, et sa tante, la jeune Ève, a grandi. Et ils ont des secrets à révéler….
Extrait d’une conversation entre Louis Garrel et Jean-Claude Carrière
Charles Tesson: Par quelles circonstances avez-vous été amenés à travailler tous les deux ?
Louis Garrel : Nous nous sommes rencontrés par une amie commune. Ça a commencé comme ça! Je n’habitais pas loin de Jean-Claude à un moment, donc je le voyais tous les matins. Du coup, je suis allé le voir un jour, et je lui ai dit : j’ai une idée de départ, un peu vague…
Jean-Claude Carrière : Mais non, d’abord tu m’as lu ton scénario «les Deux Amis»! C’est comme cela que nous avons commencé à travailler ensemble. Il était assis en face de moi, il l’a lu et de temps en temps je l’interrompais...
Louis Garrel : Pour me faire une petite remarque… Et d’ailleurs, il y cette scène dans l’église où on se parle et l’actrice me dit « tu vas te déshabiller…», et me fait une proposition sexuelle. Je disais à Jean-Claude, elle manque de quelque chose cette scène, elle est un peu plate. Il m’a dit, quand tu as un problème et que tu as deux personnages qui discutent, il faut déporter l’attention, tu peux mettre quelqu’un qui écoute, donc j’ai mis une dame qui écoute pendant la scène. Et en fait tout le monde s’est marré, parce qu’on écoutait à la fois le dialogue et on regardait à la fois la femme qui écoutait… Il est fort ce Carrière! Et donc du coup je suis allé voir Jean-Claude, avec le livre «La seconde surprise de l’amour» de Marivaux, sur la rencontre entre une veuve et un homme esseulé.
Jean-Claude Carrière : Et j’ai écrit la première scène…
C.T. : Cette litanie des annonces, jusqu’à celle du mariage et de leur rupture, c’est une scène formidable. Elle donne le ton.
J.C.C. : C’est une scène comme ça, de la vie de tous les jours, et cette scène lance le film tout de suite…
L.G. : Avec le recul, dans « Les deux amis », je regrettais que l’exposition soit trop longue, car l’action commence quand le personnage sort la jeune femme du train. Lorsque Jean-Claude m’a proposé la première scène, j’étais très content car l’action débute sans plus tarder. Ensuite nous sommes partis dans l’écriture, on a fait des allers-retours…
C.T. : Mais, la scène d’ouverture, elle a été pensée telle quelle tout de suite ?
J.C.C. : Oui selon le principe d’une réplique qui en entraine une autre.
L.G. : Comme un clou qu’on enfonce…
C.T. : Avec une heureuse nouvelle qui devient une catastrophe.
J.C.C. : D’entrée, les personnages sont définis par ce qu’ils disent. Tout en restant humains. Et il y a aussi le fait qu’il va devoir quitter l’appartement.
C.T. : On est face à un personnage nomade, qui n’a pas de chez lui. Dès la scène d’ouverture, il est question de ses affaires à lui et des affaires de Paul, quand il revient à l’appartement, affaires qui encombrent, dont le plan avec les chaussures… qu’Abel finira par porter.
J.C.C. : J’avais fait un schéma du film, comme si c’était l’histoire des affaires d’Abel. On voit souvent Abel trimballer ses affaires d’un lieu à un autre, et il se retrouve avec toute sa vie dedans. C’est intéressant de voir le chemin qu’elles suivent.
L.G. : On comprend aussi dans cette première scène que c’est un personnage qui subit, qui ne va pas réagir. Il est docile et obéissant. Quand j’ai reçu la première scène, je me rappelle avoir dit à Jean-Claude : « Tu es sûr que cela va passer ? Il pourrait quand même un petit peu se rebeller là ? » Et tu m’as répondu s’il se rebelle, ça en fait une réaction attendue face à la violence de la rupture, selon la convention du théâtre bourgeois, ça annonce une scène de ménage, qui est pourtant une figure clé du cinéma. Là, c’est l’anti-scène de ménage absolue. La première scène donne le ton sur le personnage d’Abel, qui va être à la manière d’un clown, c’est-à-dire qu’il va se prendre tout dans la figure sans jamais se plaindre. Ce qui fait aussi sa force, parce que ça va lui permettre d’être imperméable aux peines qui lui sont infligées, ce qui lui donne une espèce de puissance. Quand je jouais Abel, je me disais ça, pour arriver à accepter de ne pas m’énerver. Je pensais à Buster Keaton, qui, quand il se prend un pot de fleurs sur la tête, se gratte la tête pour savoir s’il saigne, mais il ne lèvera jamais la tête pour s’énerver. C’est quelqu’un qui vit, un éternel naïf qui ne cesse de naître.
C.T. : La scène d’ouverture se termine par un gag burlesque, sonore, dans l’escalier, comme une réaction à retardement.
J.C.C : Je me rappelle m’être dit très tôt, il ne faut pas qu’on prenne ce personnage pour un imbécile, un passif. Il a un secret et son secret c’est l’amour, il est follement amoureux de Marianne, et c’est pour ça que c’est un homme fidèle. Dans le synopsis qu’on a écrit c’est ça, il est fidèle à tout, il est fidèle à elle, quand il la redoute, quand il la craint, tu vois, même quand elle n’est pas là, quand elle le demande, c’est un homme fidèle…
L.G. : Ce qui était amusant avec Jean-Claude, c’était de déjouer les attentes des spectateurs: on partait sur un triangle amoureux avec deux femmes, un homme, un enfant, un appartement… Je me disais, Jean-Claude a déjà vu et écrit cela plein de fois, donc il fallait tout le temps arriver à surprendre. Le tout premier plan du film avec la Tour Eiffel et Paris est un adorable cliché, comme pour dire au spectateur vous êtes chez vous, et soudain, d’un coup, vous n’y êtes plus, parce que la scène suivante, personne ne s’y attend ni ne comprend pourquoi ce personnage ne réagit pas. Et puis il me semble que, pendant la première demi-heure du film, on a du mal à savoir ce qu’il va se passer, et c’est grâce à Jean-Claude, qui a pris ça comme un jeu de bonneteau où le spectateur croit deviner la prochaine scène (tirer la bonne carte) et se trompe.
J.C.C : Ça, c’est ma formation Tati-Etaix. Comme on disait toujours avec Milos Forman, une bonne scène doit être inattendue et inévitable. On a notamment beaucoup aimé créer le personnage de l’enfant qui ne s’intéresse qu’à ses histoires, qui voit la vie comme un roman policier, avec des meurtres partout …
C.T. : L’enfant est étonnant, il apporte une étrangeté un peu inquiétante qu’on croit sur parole. Il intrigue dans son rôle d’entremetteur. Sinon « L’homme fidèle » prolonge « Les deux amis » car Abel et Paul sont deux amis.
L.G. : « Les deux amis » avec des personnages qui veulent rester adolescents, et ici ce sont des adultes précoces. Dans «Les deux amis », je voulais que le sentiment soit tout le temps exprimé, dévoilé fiévreusement, tandis que là les personnages cachent, ils ne savent pas ce qu’ils ressentent, car c’est sur le moment que le sentiment se définit… Le sentiment s’invente quand les personnages parlent. Lorsque Marianne invite Abel à rejoindre Eve et qu’Abel prend ses affaires, Marianne ne sait pas très bien ce qu’elle éprouve. Une scène de Marivaux, pas un marivaudage comme on l’entend souvent, à savoir passer d’une femme à l’autre, c’est plutôt laisser entendre une chose pour que l’autre comprenne autre chose. On donne le contraire d’un sentiment pour que le vrai sentiment soit mieux lu. Il n’y a pas de sentiment préétabli, si ce n’est l’amour d’Abel pour Marianne.
Plus d'informations sur le site de Ad Vitam
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