Cinéma : « De chaque instant », un film de Nicolas Philibert, au cinéma le 29 août
Chaque année, ils sont des milliers à se lancer dans les études qui leur permettront de devenir infirmiers et infirmières. Entre cours théoriques, exercices pratiques et stages sur le terrain, l’histoire d’un apprentissage qui confronte très tôt à la fragilité humaine et aux fêlures des âmes et des corps
Extrait d’entretien avec Nicolas Philibert, réalisateur
Comment est né le projet du film ?
Depuis un moment je tournais autour de cette idée, quand la providence m’a envoyé faire des repérages : en janvier 2016, une embolie m’a conduit tout droit aux urgences puis dans un service de soins intensifs. Ça a été le déclic. Une fois requinqué, j’ai décidé de faire ce film, en hommage aux personnels soignants, en particulier aux infirmières et infirmiers.
Pourquoi avoir choisi de le centrer sur l’apprentissage ? Après « Le Pays des sourds » et « Être et avoir », qu’est-ce qui vous a poussé une nouvelle fois de ce côté-là ?
Les situations d’apprentissage ont ceci de particulier qu’elles permettent de filmer les soubassements, de mettre en lumière ce que le temps et l’expérience finissent par rendre imperceptible. Quand vous voyez une infirmière exécuter un soin ordinaire, une injection, une prise de sang, cela paraît assez simple, c’est fluide. À moins d’être du métier, vous n’imaginez pas tout ce qu’il y a en amont, les erreurs qu’elle a appris à éviter, les règles d’hygiène, les protocoles, les mille et un détails que la dextérité a progressivement effacés.
Filmer des cours et des séances de travaux pratiques peut être rébarbatif, drôle, mystérieux, burlesque ou passionnant, cela ne tient parfois qu’à un fil, mais d’un point de vue dramaturgique, c’est très fécond. Voir les élèves tâtonner, se tromper, recommencer, les suivre dans leurs efforts nous les rend plus proches, plus humains : vont-ils y arriver ? Comment auraient-ils dû s’y prendre ? Et moi, serais-je capable d’en faire autant ? En somme, nous prenons fait et cause pour eux, nous pouvons nous identifier. Et puis filmer l’apprentissage c’est aussi filmer le désir. Désir d’apprendre, de s’élever. Désir de passer son diplôme, de s’insérer dans la société, de se rendre utile. Le métier d’infirmier est difficile, éreintant, mal rémunéré, souvent déconsidéré au sein de la hiérarchie hospitalière, et pourtant il demeure attractif, et jouit d’une excellente image dans l’opinion. Au point que cette image un peu idéalisée est souvent à l’origine de la décision de devenir infirmier.
Selon quels critères avez-vous choisi l’institut de la Croix-Saint-Simon ?
Je voulais tourner à Paris ou dans la proche banlieue, de préférence pas trop loin de chez moi, pour ne pas perdre trop de temps dans les trajets. J’ai visité six ou sept instituts de formation sur la soixantaine que compte la Région Île-de- France. L’équipe de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil, s’est vite montrée partie prenante. La grande mixité culturelle et sociale des élèves a également joué. En ces temps de repli identitaire, il ne m’était pas indifférent de filmer une jeunesse prête à s’engager sur la voie d’un métier tourné vers les autres. Enfin, l’institut de Montreuil est un établissement “à taille humaine” : ils ne sont “que” 90 élèves par promotion. Comme les études durent trois ans, cela fait tout de même 270 élèves sur l’ensemble de la filière, et dans le cadre d’un tournage c’est déjà beaucoup, mais certains instituts en accueillent trois fois plus. Celui de la Pitié-Salpêtrière compte près de 1000 étudiants !
Cela s’est trouvé comme ça, mais je dois préciser que l’institut de la Croix Saint-Simon est un établissement privé “reconnu d’utilité publique”. Privé ne veut pas dire que les élèves viennent d’un milieu aisé. À l’image du bassin de population dans lequel il est situé, la plupart d’entre eux sont d’un milieu modeste, et c’est la Région Île-de-France ainsi que divers organismes de formation professionnelle qui prennent en charge leurs frais de scolarité. Par ailleurs, c’est un établissement laïc. Son nom s’explique par le fait qu’au moment de sa création, la fondation dont il dépend était implantée rue de la Croix Saint-Simon, dans le 20è arrondissement de Paris.
Comme spectateur, on peut s’identifier tantôt aux élèves infirmiers, tantôt aux patients…
En effet. Imaginairement, on peut faire des allers retours entre les uns et les autres, se demander si on se sentirait capable de faire une piqûre, de nettoyer une plaie, et l’instant d’après, se dire qu’en cas de pépin, on aimerait bien se trouver entre les mains d’une infirmière sûre d’elle et expérimentée. Certaines séquences à l’hôpital nous renvoient à notre propre histoire, ou à nos proches. Dans notre entourage nous avons tous des parents, des amis malades, ou qui l’ont été, et nous savons que nous risquons de l’être un jour. C’est en quoi le film dépasse le cadre de son sujet. Comme c’est souvent le cas chez moi, le “sujet” est sinon un prétexte, du moins une porte d’entrée. Au-delà de l’apprentissage du métier d’infirmier, le filme nous parle de notre fragilité, de la fragilité humaine.
Plus d’informations sur le site des Films du Losange
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