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Vikings et Normands: une étude britannique sème la zizanie

Les Britanniques s’intéressent aux Vikings. Et à leurs racines scandinaves. La Normandie ayant été terre viking à partir de l’an 911, une équipe de l’université de Leicester mène une étude génétique sur la colonisation de la région française par ces guerriers aux casques pointus. Une étude qui n’est pas du goût de tout le monde de ce côté du Channel. By jove!
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Les Vikings ou «Les rois de la mer en expédition», gravure d'après Albert Sebille (1874-1953) (AFP - The Art Archive - Bibliothèque des Arts Décoratifs Paris - Gianni Dagli Orti)

C’était en 911 après J.-C. Incapable d’arrêter les envahisseurs vikings et leurs pillages, le roi franc Charles le Simple décide de céder à l’un de leurs chefs, Rollon, des terres normandes. L’affaire est conclue par le traité de Saint-Clair-sur-Epte (aujourd’hui dans le Val-d’Oise). Lesdits envahisseurs ont laissé peu de traces matérielles. Mais l’on retrouverait leur présence dans les toponymes se terminant en «fleur» (Honfleur…) ou en «bec» (Houlbec…). Ou encore dans des noms de famille comme «Anquetil, Dutot, Equilbec, Gonfray, Ingouf, Ansgot, Lanfry, Osouf, Osmont, Quetel, Tougis, Tostain»…
 
Les îles britanniques, elles aussi, ont eu à subir les visites quelque peu intempestives de ces rugueux et non moins intrépides guerriers. De nos jours, leurs scientifiques s’intéressent à ces racines scandinaves. Le British Museum leur a consacré une fort belle exposition en 2014, affirmant que cette «exposition majeure» était «la première du genre depuis 30 ans». C’était oublier un peu vite celle organisée au Grand-Palais à Paris en 1992?...
 
De son côté, une équipe de l’université de Leicester (nord de l’Angleterre) a lancé une étude génétique sur ce dossier historique. Objectif : comparer les diasporas scandinaves de quatre régions, trois Britanniques et une française. En l’occurrence le Nord-Cotentin. Les membres de l’équipe précisent qu’ils auraient également pu travailler dans le pays de Caux (en Haute-Normandie).
 
«La Normandie est la seule fondation politique durable établie par les Vikings sur le continent» européen, rappelle Richard Jones, maître de conférence à Leicester, qui dirige le volet normand de l’étude. «Une telle stabilité dans la localisation géographique, et sur une période de trois générations en arrière, est un moyen très efficace d'utiliser l'ADN pour remonter dans le temps, et ce même sur de très longues périodes», précise Ouest France.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a autorisé l’expérience. Elle a donné deux jours aux chercheurs, en l’occurrence les 15 et 16 juin 2015, pour effectuer leurs prélèvements de salive. Pour participer, il fallait avoir un nom de famille présent depuis le XIe siècle en France ou d'origine scandinave. Ou bien avoir quatre grands-parents ayant toujours vécu dans un rayon de 50 km autour de son lieu de vie actuel… Budget de l’enquête française: 300.000 euros, financés par la fondation Leverhulme Trust.

Les données fournies doivent compléter celles fournies notamment par l’archéologie.

Chaque volontaire recevra son résultat individuel à la fin de l'année 2015. Concrètement, les participants recevront une feuille avec des codes et leur interprétation. Une interprétation quelque peu obscure pour le commun des mortels. Le code «I1» est par exemple «un sous-groupe de I, peuple de chasseurs-cueilleurs présent en Europe il y a plus de 10.000 ans. I1 est fréquent en Scandinavie et par conséquent un possible signe d'un ancêtre viking», explique Richard Jones. Reste à savoir si ces données, dont les chercheurs garantissent la confidentialité, sont réellement fiables…
 

Procession de personnes déguisées en Vikings à Edimbourg (Ecosse) le 30 décembre 2014, pendant la fête Up Helly Aa.  (REUTERS - Russell Cheyne )

Polémique
Dans le même temps, l’affaire soulève une polémique. «On craint que cela développe l'idée qu'il y a de vrais Normands et de faux Normands. Quand on voit en une de certains journaux  des photos de guerriers vikings brandissant leurs armes avec en titre ‘Avez-vous du sang viking?, on ne peut que s'inquiéter», pense Jacques Declosmenil, président du MRAP (Mouvement contre le racisme) dans la Manche. «Dans le contexte actuel de montée de la xénophobie, c'est extrêmement dangereux, certains racistes pourraient par exemple se dire: ‘‘J'aurai la preuve que j'ai pas de sang arabe’’», ajoute-t-il.

«Personne ne pourra dire cela», répond Richard Jones. «Nous n'étudions que 2% de l'ADN pour en conclure éventuellement qu'il y a une probabilité qu'autour du Xe siècle, une personne donnée ait un ancêtre scandinave.»  La démarche des chercheurs n'a rien à voir avec celle d'entreprises privées qui commercialisent ce genre de tests sur internet (autour de 450 euros) et en tirent des conclusions «souvent sans fondement scientifique», tient à préciser le chercheur.

A l'université de Caen, on reste prudent. «J'ai prévenu mes collègues britanniques que c'étaient des questions extrêmement sensibles en France. Nous, on ne pratique pas cela», explique Pierre Bauduin, professeur d'histoire médiévale. «Il faut faire effectivement très attention à ce qu'il n'y ait pas de récupération.»

De leur côté, les quelques volontaires rencontrés à Valognes (Manche) par l’AFP semblent loin de ces questions. «Cela nous intéresse de savoir d'où on vient. C'est marrant de savoir, et puis, on donne un coup de main», explique Clovis Rolland. Reste à savoir quels résultats fournira l’étude. Et ce qu’elle apprendra sur la présence viking en Normandie. Fin du suspense en 2016.

Pierre sculptée viking datée du IXe siècle et provenant de l'île de Gotland (Suède): des Vikings morts font leur dernier voyage sur un drakkar. (AFP - The Art Archive - Historiska Muséet Stockholm - Gianni Dagli Orti)

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