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«Vestiges d’empire», l’architecture coloniale française vu par Thomas Jorion

Article rédigé par Géopolis FTV
France Télévisions
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Le photographe Thomas Jorion a parcouru le monde, de la Louisiane à Shanghai, de Casablanca à Pondichéry, d’Alger à Port-au Prince pour témoigner de ce qui reste de l’ancien empire colonial français. Il en a fait un livre, «Vestiges d’empire», publié aux Editions de La Martinière. Une exposition se tient à la galerie Esther Woerdehoff, à Paris jusqu'au 26 novembre 2016.

A la suite de ses précédents voyages, le photographe a rédigé deux ouvrages, «Ilots intemporels» et «Silencio». On y découvrait déjà des lieux inanimés, figés par le temps, «démodés». Guerres, délocalisations industrielles, assauts du temps ont par la suite transformé radicalement ces salles de spectacles, ces usines, ces palais ou ces villas en ruines. Vestiges de notre civilisation, cette architecture aujourd’hui surannée nous raconte notre histoire contemporaine. Parfois, ces lieux reprennent vie, des habitants se rapproprient ces bâtisses délabrées.

Comme l’écrit François Cheval, commissaire d’exposition et directeur du musée Nicéphore-Niepce, avec ce nouveau livre, «Thomas Jorion a remonté dans ses filets quelques belles prises. Il va les chercher  presque par instinct, dans des endroits connus pour leur passé  foncièrement  imprégné par l’histoire. Mais contrairement à la photographie d’architecture, il ne cède pas à la tentation de la neutralité. Il signale la nature ambiguë de ces réalisations historiques. Il en salue la déchéance et n’émet aucun jugement de valeur sur la qualité esthétique des lieux. La question mémorielle, elle, affleure à chacune des stations de ce voyage. Ce qui pour certains est devenu motif d’excursions et de visites devrait être pour tous une leçon de choses. Il n’y a rien d’insignifiant dans ce spectacle recomposé de l’époque coloniale.»
 
Thomas Jorion travaille à l’ancienne avec chambre photographique sur pied et films argentiques. Il a obtenu plusieurs prix, dont l’Archiphoto Sélection internationale de la photographie d'architecture en 2010 et l’Honorable Mention winner the 2010-2011 Exhibit A Photography en 2011.
 
 Dans sa postface, Thomas Jorion raconte son travail. Et explique sa démarche.

«Lorsque j’ai abordé ce projet fascinant, je n’imaginais pas les nombreuses aventures qui m’attendaient et, encore moins prévisible, les rencontres qui allaient changer ma perception du monde. L’histoire de l’empire colonial français est ambivalente. Sujet sensible pour certains, il est chargé d’aventures et de récits imaginaires pour d’autres. (Thomas Jorion )
Les conquêtes successives du Premier empire, qui court des Amériques au Sénégal et à l’Inde, puis du Second empire, qui s’étend d’Afrique jusqu’en Asie du Sud-Est, ont permis la réalisation de bien des destins. On imagine ces hommes aux premières heures de la découverte du monde, quittant un pays, une famille pour un avenir au-delà des mers. Un univers inconnu et plein de promesses s’ouvrait alors à eux. (Thomas Jorion )
Vint ensuite une période d’installation et de construction. Chaque implantation développa un style architectural propre au lieu géographique, fusionnant parfois avec le style local pour donner naissance à un langage architectural nouveau.  (Thomas Jorion )
C’était ainsi l’occasion d’expérimenter les derniers styles en vogue et de nouvelles techniques pour l’habitat. Les contraintes climatiques et l’utilisation de matériaux locaux stimulèrent l’esprit des architectes et des ingénieurs qui, éloignés de la métropole, eurent alors plus de liberté.  (Thomas Jorion )
Si cet ordre politique et social du monde prit fin, il reste une empreinte visible de ces échanges et de cette présence française au-delà de ses frontières. De Casablanca à Pondichéry, en passant par Saint-Louis du Sénégal, Shanghai, Alger ou Port-au-Prince, ces vestiges sont à la fois modestes et grands. (Thomas Jorion )
Certains édifices et bâtiments ont traversé les années et racontent encore leurs histoires. Vivant un second souffle après l’indépendance, ils sont rarement restés inhabités. Mais faute d’entretien, beaucoup disparaissent sous les assauts du temps ou de l’homme.  (Thomas Jorion )
J’ai voulu les fixer sur mes négatifs afin que les récits qu’ils renferment continuent à vivre. J’ai réalisé cette série et orienté mes voyages en fonction des recherches documentaires effectuées en amont à Paris. J’ai ensuite produit ces photographies en utilisant exclusivement une chambre grand format 4x5” et des plans films couleurs.  (Thomas Jorion )
À travers mes rencontres et mes découvertes sur le terrain, j’ai compris que l’Histoire est bien souvent écrite par le fait d’une petite élite. Que le peuple, au sens large et dont je fais partie, vit dans l’incompréhension des autres par le jeu de cette même élite. J’ai ainsi été surpris par l’approche décomplexée des autochtones pour cette époque révolue. Cela m’a fait réaliser que bien souvent le choix de l’amitié ou de la repentance envers un autre peuple n’est que le fait de cette petite classe politique.  (Thomas Jorion )
L’homme de la rue – qu’il habite Paris, Hanoï, Dakar, Phnom Penh, Alger ou Port-au-Prince – n’a que faire des jeux d’intrigues et de cour. Il aspire à vivre dans la paix et le calme. Mon goût pour l’aventure, les traces du temps et les lieux de mémoire ont initié ce projet.  (Thomas Jorion )
Toutefois, avec du recul, j’ai compris que ces ruines ne pouvaient être présentées comme n’importe quelles ruines. Je ne pouvais pas me limiter à les montrer belles ou esthétiques, car elles portent le terrible poids de l’Histoire et de la domination d’un peuple sur un autre. (Thomas Jorion )
Peu à peu, ce projet m’est donc apparu comme l’opportunité d’aborder, sous un angle original, un sujet bien souvent mis de côté, alors qu’il est justement la source actuelle de nombreuses frictions tant au niveau national qu’international. Quand l’Histoire pèse autant sur le présent, il vaut mieux la connaître pour analyser ses conséquences. Nous sommes les héritiers d’une histoire dont la partie visible est composée de ruines évoquant la vanité de peuples suprématistes, et dont la partie invisible vient hanter les crises modernes.» (Thomas Jorion )

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