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Xénophobie, refus d'asile... Le laborieux exil des Vénézuéliens

Avec l'aggravation de la crise économique et politique, les habitants sont de plus en plus nombreux à émigrer hors du Venezuela. A l'étranger, ils font de plus en plus face aux difficultés administratives et à la xénophobie.

Article rédigé par franceinfo - Yacha Hajzler
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Publié Mis à jour
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Alba Lerma a décidé de partir vivre en Colombie. Dans ses bras, son neveu. Ils ont été victimes de vol en quittant le pays.  (GEORG ISMAR / DPA)

Pedro Rojas, un Vénézuélien de 35 ans, ne reconnaît pas son pays d'adoption, le Mexique, où il a émigré il y a neuf ans. Avec l'aggravation de la crise au Venezuela, de plus en plus de ses compatriotes choisissent l'exil et, selon lui, le regard a changé sur ses compatriotes. "Il y a beaucoup de Vénézuéliens qui restent bloqués dans les aéroports, à Madrid, ou à Barcelone, parce qu'ils ne peuvent pas prouver qu'ils sont là pour le tourisme, ou qu'ils n'ont pas assez d'argent pour financer leur séjour", témoigne-t-il pour franceinfo.

La crise économique et politique qui frappe le Venezuela depuis plusieurs années s'est aggravée en 2016, et plus encore depuis la décision du Tribunal suprême de justice de confier des pouvoirs élargis au très contesté président Nicolas Maduro, le 28 mars 2017. Les manifestations sont devenues quotidiennes et la révocation de cette décision n'a pas apaisé les esprits. Le 25 avril, ces protestations avaient déjà fait 24 morts et environ 500 blessés, dont une grande partie due à la répression policière. Les Vénézuéliens font aussi face à la pénurie d'aliments de base et de médicaments. Leur pays figure par ailleurs sur la liste noire de la Commission interaméricaine des droits de l'Homme. 

Pendant les manifestations du 1er mai, un opposant renvoie aux policiers une bombe de gaz lacrymogène.  (RONALDO SCHEMIDT / AFP)

En Espagne, plus de demandes d'asile que les Syriens

Conséquence de cette crise, les Vénézuéliens sont de plus en plus nombreux à s'expatrier. Ils sont 3 960 à avoir demandé l'asile en Espagne en 2016. Selon l'association CEAR (Commission espagnole pour l'aide au réfugié), ils y sont devenus le premier groupe demandeur, devant les Syriens. Pourtant, le quotidien espagnol El País accuse le gouvernement de n'avoir traité à ce jour que 40 dossiers. On est loin du délai de six mois qu'impose la loi espagnole. Et sur ces dossiers traités, seuls quatre auraient été acceptés. La CEAR dénonce une discrimination envers les Vénézuéliens.

Le ministère de l'Intérieur ne le reconnaîtra jamais, mais nous avons 35 ans d'expérience, et nous savons qu'ils utilisent un critère commun par nationalité, au lieu d'examiner les demandes une par une comme l'imposent les textes.

Paloma Favieres, conseillère juridique pour la CEAR

à franceinfo

Même chez leurs voisins colombiens, l'accueil des Vénézuéliens est houleux. En 2016, 8 306 201 entrées ont été recensées sur le territoire colombien depuis le Venezuela. Ces trajets sont en majorité des allers-retours pour ramener de la nourriture ou des médicaments, mais une partie de ces transfrontaliers viennent aussi chercher un travail au noir, voire un refuge. L'année dernière, 2 500 Vénézuéliens sans papiers ont été ramenés dans leur pays d'origine, selon les chiffres de l'immigration colombienne. 

La carte d'immigration frontalière permet aux Vénézuéliens de rester huit jours en Colombie, mais n'est accessible qu'aux résidents de dix zones frontalières.  (SCHNEYDER MENDOZA / AFP)

"Qu'ils retournent dans leur pays crasseux"

Maintenant qu'ils sont plus nombreux, les exilés Vénézuéliens affrontent une xénophobie croissante. En janvier 2017, le vice-président colombien German Vargas Lleras inaugure le chantier de 200 logements sociaux. Il déclare, devant les maires et le gouverneur de la province : "N'y mettez pas des Vénézuéliens, pour rien au monde !" De plus, il emploie le terme "venecos", un diminutif de "vénézuélien", chargé de connotation négative.

Le racisme, Pedro Rojas Alcala s'en croyait protégé, depuis Veracruz, au Mexique, où il vit avec sa femme et ses enfants. Pourtant, le 29 avril, il tombe sur une publication Facebook du journal local, Xeu (en espagnol). L'article relate, photo à l'appui, le rassemblement de quelques Vénézuéliens au port de la ville, en signe de protestation contre le gouvernement Maduro.

Sous la publication, il tombe des nues à la lecture des commentaires. "Qu'ils retournent dans leur pays crasseux !" , "Déportez-les !" ou autre "Allez vous faire foutre, putain de réfugiés"...

"Cette animosité s'ajoute à celle de certains Panaméens, Dominicains, Colombiens, Espagnols, et Chiliens, qui ont récemment dénigré mes compatriotes, insensibles face à la difficulté et à l'injustice d'abanbonner sa terre et les êtres qui nous sont chers", écrit Pedro Rojas sur son blog, dans un long texte intitulé "Xénophobie amnésique".

Pas une raison selon lui pour faire preuve d'amertume ou céder à la peur. "Ces démonstrations de racisme et de rancœur ne m'empêcheront pas de faire ce que je fais chaque jour. Je continuerai d'aimer le Mexique et son peuple. Je continuerai à donner le meilleur de moi-même pour ce pays auquel je dois tant, et je continuerai à me comporter de la manière la plus honorable et la plus décente possible pour montrer aux Mexicains et au monde que les Vénézuéliens sont des gens travailleurs et honnêtes."

Face à ces discriminations, des voix se sont fait entendre. En visite dans la ville frontalière de Cucuta le 28 avril, le président colombien Juan Manuel Santos a contredit son vice-président et son rejet des "venecos".

Nous ne pouvons pas tomber dans la xénophobie, dans la discrimination. [...] J'appelle les Colombiens à adopter cette attitude : ne commençons pas à accuser les Vénézuéliens de tous nos maux, surtout à la frontière. Au contraire, nous allons leur tendre une main solidaire et leur dire : frères, nous sommes avec vous.

Juan Manuel Santos, président de la Colombie

à Ntn24

Commentaire sobre de Pedro Rojas, le blogueur vénézuélien qui dénonce la xénophobie au Mexique : "Santos est conscient que, par le passé, nous avons tendu la main à la Colombie. Et que ce qui se passe chez nous peut arriver à n'importe quel pays."

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