Les signes avant-coureurs de la démission du pape
Benoît XVI a annoncé sa renonciation, qui prendra effet le 28 février. Rétrospectivement, plusieurs indices suggèrent une décision mûrie et préparée.
C'est un "coup de tonnerre dans un ciel serein", selon le doyen du collège des cardinaux, Angelo Sodano. La décision de Benoît XVI de démissionner le 28 février a surpris les catholiques, lundi 11 février. Certes, l'état de santé du pape suscitait de nombreuses questions sur sa capacité à accomplir son pontificat, mais avant lui, Jean-Paul II avait été également confronté à ces interrogations.
Pour justifier son choix, Benoît XVI, de son vrai nom Joseph Ratzinger, a expliqué qu'il n'avait "plus les forces" de diriger l'Eglise catholique à son âge. Les avis des fidèles sont contrastés, comme le rapportent nos confrères de France 2. Certains estiment qu'il est "normal qu'il démissionne", tandis que d'autres évoquent "une mission à accomplir, [qu'] il doit (...) terminer même s'il est très fatigué".
Certains proches étaient dans la confidence depuis longtemps, à l'image de son frère, informé depuis plusieurs mois des intentions de Benoît XVI. Et rétrospectivement, certains indices annonçaient une telle décision.
Il conseillait Jean-Paul II sur la possibilité d'une démission
Ironie du sort, Benoît XVI a longuement travaillé sur la question de la démission, au milieu des années 1990. Le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, était proche de Jean-Paul II, un pape affaibli qui a parfois songé à quitter le pontificat. Suffisamment proche pour préfacer le Triptyque romain, un poème de Jean-Paul II paru en 2003. "Joseph Ratzinger a travaillé sur ces questions à la demande de Jean-Paul II. Ce cardinal très proche du pape a alors longuement mûri sa réflexion consacrée au thème de la démission", précise l'historien Hervé Yannou, auteur de Jésuites et compagnie (éd. Lethielleux).
Contacté par Le Point, le journaliste Christophe Dickès complète cette analyse. "Il faut se souvenir aussi que Benoît XVI fut un jour le cardinal Ratzinger et qu'il a assisté aux derniers mois de Jean-Paul II. Je pense que l'expérience a dû être assez traumatisante pour lui." La phrase célèbre d'un médecin à Jean-Paul II prend aujourd'hui tout son sens. A l'époque, il lui déconseillait de démissionner : "Il n'y pas de place dans l'Eglise pour un pape émérite." Son successeur a finalement osé franchir le pas.
Il évoquait sur son départ depuis 2010
Dans Lumière du monde, un livre d'entretiens paru en 2010 avec le journaliste allemand Peter Seewald, Benoît XVI abordait sans tabou la question de sa démission. "Oui, si un pape se rend compte clairement qu'il n'est plus capable physiquement, psychologiquement ou spirituellement d'accomplir les tâches de sa fonction, il a le droit et, selon certaines circonstances, le devoir, de démissionner". Une idée sans doute mûrie lors de sa période passée au côté de Jean-Paul II.
Benoît XVI détaillait même le bon moment pour se lancer. "On peut démissionner quand la période est calme ou lorsqu'on ne peut tout simplement plus continuer." Interrogé sur les voyages répétés qu'il devait accomplir pour remplir ses fonctions, Benoît XVI avait marqué quelques limites. "Bien sûr, je suis parfois préoccupé et je me demande si je pourrai y arriver, même d'un point de vue purement physique."
Des rumeurs faisaient état de sa santé fragile
La santé du souverain pontife s'était dégradée depuis quelques mois. En septembre 2011, le quotidien italien Libero notait que "des sources au sein du Vatican" avaient "affirmé que [Benoît XVI] envisageait sérieusement de prendre sa retraite après son 85e anniversaire", en avril 2012. Joseph Ratzinger "craint de ne pas pouvoir assumer le poids de sa charge", rapportait le journal cité par L'Essentiel. Une rumeur aussitôt démentie par le père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican.
A la fin de l'année 2011, Benoît XVI était apparu fatigué, amaigri. Il devrait être soutenu par le bras quand il montait ou descendait un escalier. Coupant court à toute spéculation sur sa santé, le père Federico Lombardi assurait alors que "le pape n'avait aucun type de maladie particulière" mais "simplement son âge"."Pour une personne âgée, il est dans une forme optimale", avait-t-il souligné. Et d'ajouter que Joseph Ratzinger montrait "toujours une grande lucidité et une grande présence".
Il éprouvait un attachement particulier pour le pape Célestin V
Les points de convergence entre Benoît XVI et son (très) lointain prédécesseur Célestin V ont été largement approfondis par le prêtre Stéphane Lemessin, sur son blog hébergé par le site de La Croix. Coïncidence ? Le pape Célestin V est l'un des seuls papes à avoir démissionné dans l'histoire, quelques semaines après avoir été élu contre son gré, en 1294. Très vite, il avait abdiqué, par humilité et pour des raisons de santé.
En avril 2009, Benoît XVI lui a rendu hommage, lors de sa visite à L'Aquila (Italie), après le dramatique tremblement de terre, en déposant le pallium – une sorte d'étole – qu'il portait lors de son intronisation, sur le gisant de son prédécesseur.
Un an plus tard, le 4 juillet 2010, Benoît XVI loue à nouveau la mémoire de Célestin V dans une homélie prononcée à Sulmona (Italie), fait remarquer Stéphane Lemessin, qui en rapporte de longs passages. "Je voudrais alors tirer plusieurs enseignements de la vie de saint Pietro Celestino [Célestin V], valables également à notre époque." De quoi ériger ce dernier en modèle. "Certainement que la tendresse particulière de Benoît XVI pour Célestin V lui aura donné l’énergie et la force de prendre cette décision", conclut Stéphane Lemessin.
Il faisait des visites appuyées au cardinal Angelo Scola
Benoît XVI nomme Angelo Scola archevêque de Milan en 2011. Beaucoup d'observateurs, dont l'hebdomadaire La Vie, soulignent à l'époque la proximité intellectuelle entre les deux hommes. "Par une superbe ironie, c'est un Benoît XVI en pleine forme qui a appuyé sur la gâchette des spéculations à propos du prochain conclave". Une missive rendue publique par Federico Lombardi, porte-parole du pape, précisait d'ailleurs que le souverain pontife aurait "déjà clandestinement désigné son successeur en la personne du cardinal Angelo Scola", rapportait Paris Match, en avril 2012.
Philippe Harrouard, journaliste et spécialiste des questions religieuses, est revenu sur ce point, lundi au JT de France 2. "Le pape Benoît XVI lui a rendu visite dans son diocèse deux fois, et certains se sont demandés si ce n'était pas une façon de dire : ce serait bien que ce soit mon successeur." En 2005, Angelo Scola était un papabile, c'est-à-dire l'un des candidats sérieux au pontificat. Fait inédit, il pourrait bien triompher grâce à la confiance accordée par un autre pape.
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