"L'élection du pape n'est pas un scrutin politique, mais un acte religieux"
Spécialiste de l'histoire religieuse contemporaine, Yves Chiron dévoile les coulisses du conclave qui débute aujourd'hui au Vatican.
De l'élection d'Angelo Giuseppe Roncalli (Jean XXIII) à celle du "jeune" Polonais Karol Wojtyla (Jean-Paul II), le conclave, qui débute mardi 12 mars, est souvent le théâtre de grandes surprises. Spécialiste de l'histoire religieuse contemporaine, Yves Chiron a consacré une multitude d'ouvrages aux papes, et vient de publier une Histoire des conclaves (éditions Perrin) dans lequel il décrit le secret des délibérations. Pour francetv info, ce spécialiste de la fumée blanche explique ce que va vivre la chapelle Sixtine dans les prochaines heures.
Francetv info : Quel a été le conclave le plus surprenant ?
Yves Chiron : Celui de 1740, qui allait donner lieu à l'élection du futur Benoit XIV. Les polémiques et batailles en tous genres faisaient rage dans l'Eglise. Après 360 tours de vote, il restait trois candidats. Le cardinal bolonais Prospero Lambertini s'est alors adressé aux autres cardinaux, et leur a dit, en substance : "Si vous voulez choisir un fin politique, prenez le premier. Si vous voulez un homme très pieux, le deuxième. Mais si vous voulez choisir un couillon, prenez-moi." Et ce fut un excellent pape.
Cette fois, Benoit XVI s'est retiré et dans la chapelle Sixtine, on choisit son successeur. Est-on dans un cas de figure radicalement différent de ce qu'a pu connaître le Vatican ?
Absolument. Certes, l'organisation matérielle reste immuable, avec les congrégations qui sont suivies du conclave. Mais Benoit XVI a eu la sagesse de s'éloigner de Rome pour ne pas perturber le processus qui a déjà commencé. Pour autant, sa présence morale, son autorité spirituelle se font bel et bien sentir. De sorte que ceux qui sont donnés comme favoris, les fameux papabili, sont des "ratzingeriens". Avec en premier lieu celui qui a dirigé les débats des congrégations, le cardinal canadien Marc Ouellet.
Si l'on regarde les élections passées, les favoris ont été rarement présents à l'arrivée...
C'est vrai, avec toutefois quelques exceptions. S'il y a souvent des surprises, c'est parce que cette élection ne ressemble pas aux scrutins politiques que nous connaissons. Il n'y a pas de candidat ouvertement déclaré, et pas davantage de campagne ouverte. Pour tous ces hommes, il ne s'agit pas de se demander simplement "qui est le meilleur ?", cela va bien au-delà.
D'autant que cela se passe dans la chapelle Sixtine. C'est une chapelle pontificale dotée d'un puissant héritage historique. Les 115 cardinaux ne rentrent pas là comme dans un vaste isoloir ! Une dizaine de congrégations générales ont eu lieu, des débats se sont tenus, mais l'essentiel va se dérouler à huis clos. Tous ceux qui sont là attendent une inspiration intérieure. C'est pour eux un acte religieux, spirituel, liturgique. La prière prend autant de temps que le vote. Ils choisissent en conscience, c'est une réunion "surnaturelle".
Beaucoup pensent que l'enjeu de cette élection est considérable. L'Eglise doit se réformer en profondeur. Êtes-vous d'accord sur ce point ?
Oui, les problèmes sont graves. Certains sont résolus, d'autres restent entiers. L'Eglise passe son temps à se réformer. Mais à son propre rythme. Et puis, quand les choses bougent, cela se fait de façon feutrée. Par exemple, de nombreux hommes d'Eglise ont été forcés de démissionner, sans bruit, dans le cas des dossiers de pédophilie. C'est d'ailleurs le droit en vigueur dans l'Eglise, le droit canon, qui permet d'éloigner certains grâce à deux dispositions : la règle qui impose aux évêques de présenter leur démission au pape lorsqu'ils ont atteint 75 ans, et la possibilité de mettre à l'écart ceux qui commettent des délits graves. Mais cette fois encore, le profil de celui qui sera choisi dans la chapelle Sixtine, qu'il l'ait ardemment désiré ou pas, marquera l'histoire du Vatican et de toute l'Eglise catholique.
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