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Primaires démocrates : pourquoi Michael Bloomberg ressemble à Donald Trump

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Le candidat à l'investiture démocrate Michael "Mike" Bloomberg, en déplacement de campagne, à Austin (Texas), le 11 janvier 2020.  (MARK FELIX / AFP)

Le milliardaire s'est lancé dans la course à l'investiture démocrate. Et depuis l'annonce de sa candidature, en novembre, l'ancien maire de New York s'attaque davantage au président des Etats-Unis qu'à ses rivaux des primaires. Car il entend bien "battre Donald Trump".

Imaginez un générique façon Amicalement vôtre : d'un côté, Donald Trump, 73 ans, petit-fils d'un immigré allemand, élevé dans le luxe, devenu un magnat de l'immobilier animé par la construction de sa propre légende ; de l'autre, Michael Bloomberg, 77 ans, petit-fils d'un immigré russe, juif, issu de la classe moyenne et désormais à la tête d'un empire financier extraordinaire. Deux hommes riches et puissants. Deux destins new-yorkais qui s'affrontent pour la position suprême, alors que Donald Trump, élu en 2016, remet son titre de président des Etats-Unis en jeu.

Mardi 3 mars, l'ancien maire de New York se lance officiellement dans la course à l'investiture, à l'occasion du "Super Tuesday". En une seule journée, 14 Etats américains voteront pour désigner l'adversaire de Donald Trump. Face à Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Joe Biden ou encore Pete Buttigieg, Michael Bloomberg, l'"autre" milliardaire de la campagne, va tenter de remporter un maximum de délégués, dans l'espoir de se frotter dans les mois qui viennent à son ennemi juré : l'actuel locataire de la Maison Blanche.

Michael Bloomberg ne cache pas son ambition de "faire tomber Donald Trump". Pour comprendre les origines de cet objectif, retour sur le parcours de ce frère ennemi du président des Etats-Unis, un homme au profil en certains points similaires.

Il est extrêmement riche

"Trump craint Bloomberg, car Bloomberg est le type que Trump a prétendu être à la télévision : un homme qui s'est construit tout seul une immense fortune, qui a des ressources illimitées et est prêt à dépenser", résume David Axelrod, ancien conseilleur de Barack Obama, dans le New York Times (en anglais). A raison. Car Michael "Mike" Bloomberg, né le 14 février 1942, dans une banlieue ouvrière de Boston, peut revendiquer ce statut de "self made man" constitutif du mythe américain – alors que Donald Trump, lui, est plutôt né avec une cuillère en argent dans la bouche. Avec un père comptable et une mère secrétaire, Michael Bloomberg est issue de la classe moyenne. S'il ne brille pas particulièrement au lycée, il parvient toutefois à intégrer la prestigieuse université Johns Hopkins. Pour payer ses études, il contracte des prêts étudiants, qu'il rembourse en travaillant dans un parking.

Diplômé en génie électrique, il décroche une maîtrise en administration des affaires à Harvard, laquelle le conduit tout droit à Wall Street. A l'âge de 22 ans, il entre comme banquier chez Salomon Brothers et il ne lui faut que quelques années plus tard pour devenir associé. S'il grimpe les échelons au fil des ans, il ne se fait pas que des amis, raconte Chris McNickle dans la biographie Bloomberg: A Billionaire's Ambition. Ainsi, en 1979, il est nommé à la tête du service informatique. Or, dans un secteur bancaire qui, à l'aube des années 1980, ignore largement le potentiel des ordinateurs, cette nomination n'est pas un cadeau. Il est finalement viré de chez Salomon Brothers en 1981, à l'âge de 39 ans, avec un gros chèque de 10 millions de dollars.

Michael Bloomberg va alors se construire un empire en mettant à profit ce pactole et ses compétences aux croisements de la finance et de l'informatique. Bloomberg LP développe un système informatique, un "terminal", qui permet aux professionnels de la finance de surveiller et d'analyser les transferts de données en temps réel des marchés et des places financiers. Dès le début des années 1990, sa fortune enregistre une croissance spectaculaire d'environ 18% par an. Bloomberg intègre le classement des grandes fortunes américaines du magazine Forbes en 1992, diversifie son activité et s'impose comme le géant américain de l'information financière, à travers une agence de presse et une chaîne de télévision à son nom, créées en 1994. Jackpot.

En janvier 2020, Michael Bloomberg pèse 61,5 milliards de dollars, estime Forbes (en anglais). Selon les données de 2018 publiées par le Fonds monétaire international, c'est plus que le PIB de la Croatie et beaucoup plus (environ 17 fois plus, toujours selon Forbes) que la fortune de Donald Trump. Sa richesse est telle qu'il peut se permettre de faire un don de 1,8 milliard de dollars à l'université Johns Hopkins, qui lui a donné sa chance dans les années 1960. En 2018, il bat ainsi le record de la plus importante donation jamais faite à une institution scolaire. Outre ces activités de philanthrope, le milliardaire peut évidemment financer de sa poche ses campagnes électorales.

A Miami, début février, il a déboursé en une journée ce que certains candidats ont sans doute dépensé sur toute la durée de leur campagne, distribuant tee-shirts et rafraîchissements pour tout le monde. A l'occasion du Super Bowl, l'évènement sportif le plus regardé des Etats-Unis, Michael Bloomberg a sorti 10 millions de dollars pour pouvoir diffuser un seul spot publicitaire, d'une durée du 60 secondes. Le sujet : le contrôle des armes à feu, un combat dans lequel il a injecté des millions de dollars.

Donald Trump, qui s'était aussi payé une publicité ce soir-là, a peu goûté de voir celui qui n'est pas encore son adversaire l'attaquer à coups de billets verts. Car même le milliardaire républicain ne peut rivaliser avec le rythme de dépenses (100 millions par mois) imposé par l'ancien maire de New York depuis l'annonce de sa candidature, en novembre. D'ailleurs, Michael Bloomberg n'hésite pas à moquer la fortune de son rival publiquement. "Pensez-vous que cela intéresse les gens que de voir deux milliardaires s'écharper sur Twitter", a demandé en décembre un journaliste de CBS News au magnat de la finance, à la suite d'un échange houleux entre les deux hommes sur le réseau social. Réponse de l'intéressé : "Deux milliardaires ? Qui est l'autre ?" 

Son destin est lié à la ville de New York

Michael Bloomberg sait par expérience que l'argent peut acheter le pouvoir. A l'aube du troisième millénaire, sa richesse stratosphérique lui a déjà permis d'autofinancer sa course à la mairie de New York. En 2001, année de sa première campagne (et premier succès électoral), le milliardaire sort de sa poche 69 millions de dollars – au total, ces trois campagnes victorieuses lui ont coûté 268 millions de dollars, d'après les calculs du New York Times.

Pour décrocher "Big Apple", Michael Bloomberg compte davantage sur l'argent que sur sa ligne idéologique. Membre depuis toujours du parti démocrate, il décide en 2000 de se présenter à la mairie de sa ville sous les couleurs du camp adverse, le parti républicain, et ce alors que New York compte cinq fois plus de démocrates que de républicains, rappelle Politico (en anglais). Pourquoi ? Parce qu'à la fin de la mandature de Rudy Giuliani, les démocrates sont en embuscade. Les candidats, très nombreux à gauche, ont courtisé pendant plusieurs années les associations et syndicats de la ville, laissant peu de chance à Michael Bloomberg de remporter l'investiture du parti. Ce dernier, considéré comme "une blague" par les médias locaux, fait alors le choix d'obtenir la bénédiction de Rudy Giuliani et des républicains, pour mieux faire campagne au centre. Et ça marche. Trois fois même, puisqu'il renouvelle le succès en 2005 et en 2009, cette fois en tant que candidat indépendant.

Michael Bloomberg fête sa réélection à la mairie de New York, le 3 novembre 2009. (CRAIG RUTTLE/AP/SIPA)

Conservateur en matière d'économie et de fiscalité, progressiste sur les questions de société, comme le contrôle des armes à feu, le mariage des couples de même sexe ou encore l'environnement, Michael Bloomberg imprime sa marque sur la ville grâce à des mesures fortes. Il restreint le droit de fumer dans certains lieux publics, insiste sur l'Education, met en œuvre une politique de rénovation énergétique des gratte-ciel, de plantation d'un million d'arbres et d'instauration d'un péage pour les véhicules pénétrant dans Manhattan et se bat (sans succès) contre la vente de sodas extra-larges. "Après sept ans et demi au pouvoir, écrit en 2009 le New Yorker (en anglais), Bloomberg a amassé tellement de pouvoir et de respect qu'il tient plus du Médici [en référence à la puissante famille italienne qui fait la pluie et le beau temps sur Florence à la Renaissance] que du maire."

Cependant, sa mandature ne fait pas l'unanimité : sous les années Bloomberg, la police met en place la tactique du "stop and frisk" (arrêt et fouille), dans l'espoir de faire baisser la criminalité et en particulier la violence par arme à feu, l'un de ses chevaux de bataille. Mais cette approche de la sécurité, mise en pratique dans les quartiers populaires, provoque l'arrestation arbitraire de millions de jeunes hommes innocents, essentiellement noirs et latinos. Une mesure discriminatoire et raciste pour laquelle Michael Bloomberg s'est excusé en novembre 2019, rapporte NPR (en anglais). Pour autant, il apparaît comme un bon maire dans les quartiers aisés, et notamment à Wall Street, son ancien terrain de jeu. Les riches, comme Donald Trump, apprécient qu'il défende leur modèle économique, au point d'envoyer la police disperser la foule rassemblée sous la bannière Occupy Wall Street, en 2011.

Selon The Guardian (en anglais), Michael Bloomberg et Donald Trump évoluent dans des cercles différents et ne sont pas amis. Reste qu'ils entretiennent des "rapports cordiaux" et se croisent à l'occasion, dans les hautes sphères, comme lors d'un des mariages de Rudy Giuliani (le prédécesseur de Michael Bloomberg compte aujourd'hui parmi les avocats de Donald Trump). En 2004, le magnat de l'immobilier invitait l'ancien banquier à participer à son émission "The Apprentice". Trois ans plus tard, lors d'un gala de charité, le magnat de l'immobilier se réjouissait de "recevoir un homme qui est, je le pense, un des meilleurs maires, si ce n'est le meilleur maire de New York". Et Bloomberg de lui répondre, à l'occasion d'une cérémonie d'inauguration : "S'il y a bien quelqu'un qui a changé cette ville, c'est bien Donald Trump."

Il mène une campagne peu commune

Michael Bloomberg, qui a fait campagne pour la réélection du républicain George W. Bush en 2004 et pour celle du démocrate Barack Obama en 2012, ne veut pas que Donald Trump reste quatre ans de plus à la Maison Blanche. S'il avait déjà évoqué la possibilité de briguer la présidence des Etats-Unis, Michael Bloomberg ne cache pas sa motivation d'y aller pour "battre" son rival et "reconstruire l'Amérique", d'après sa description sur Twitter

Sur son compte Twitter, Michael Bloomberg affiche ses intentions : "battre Donald Trump" et "reconstruire l'Amérique". (TWITTER / FRANCEINFO)

Sa fortune et son parcours, estime-t-il, font de lui le seul candidat capable d'affronter Trump sur le terrain de l'argent et de la communication. Ainsi promet-il de mettre ses ressources au service du candidat qui sera choisi pour affronter le président s'il ne remporte pas l'investiture démocrate. En attendant, Bloomberg se positionne au-dessus de la mêlée : à la mi-février, il s'est permis de sécher le caucus (catastrophique) de l'Iowa et la primaire du New Hampshire, les deux premiers rendez-vous de la course à l'investiture, préférant inonder de publicité et de militants les habitants des Etats qui comptent le plus grand nombre de délégués.

Et pour cause, ces premiers caucus permettent surtout de déterminer une dynamique susceptible d'entraîner une levée de fonds pour le candidat victorieux. Ce dont Bloomberg se moque. "C'est beaucoup plus efficace de se concentrer sur les gros Etats, les 'Swing States' [Etats susceptibles de pencher pour un camp comme pour l'autre], a-t-il confié au New York Times. Les autres ont choisi d'entrer en compétition dans les quatre premiers Etats. (...) Je pense que c'est parce que c'est la coutume que de penser 'Oh, tu ne peux pas l'emporter sans ces Etats'. Ce sont des règles obsolètes." Et alors qu'un embarrassant imbroglio dans le comptages des voix a humilié le parti, Bloomberg autorisait son équipe de campagne à doubler ses dépenses de publicités télévisées et a recruter 2 000 militants de terrain supplémentaires, rapporte le New York Times.

La fortune de Michael Bloomberg est à la fois un outil et un argument de vente :  selon son équipe, il est si riche qu'il ne peut être corrompu. Mais si l'argument peut séduire l'électorat de Donald Trump, il hérisse les poils des partisans de ses adversaires, comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren. Marqués à gauche, ces derniers ne manqueront pas de souligner la proximité de l'ancien maire de New York avec les milieux financiers qu'ils dénoncent. Pourtant, son équipe rêve de se battre contre un candidat à l'investiture jugé "radical", afin de rassembler les modérés et les centristes du parti, convaincus qu'il n'est pas possible de remporter une élection américaine avec un discours de gauche.

Et quoi de mieux pour apparaître comme le seul démocrate susceptible de battre Donald Trump que d'être celui qui combat déjà le président des Etats-Unis ? Dans les médias, mais aussi sur les réseaux sociaux, Michael Bloomberg s'en prend frontalement à lui. Comble du trolling, il a envoyé son directeur de campagne étriller la politique de Donald Trump chez "Fox and Friends", l'émission préférée de son rival. Et quand celui-ci moque sa taille [Michael Bloomberg mesure 1m73, contre 1m90 pour Donald Trump], le candidat démocrate accuse le président d'être "un menteur pathologique, qui ment sur tous les sujets : son toupet, son obésité, son auto-bronzant". De l'argent, de la répartie et une primaire en cavalier seul... La méthode Bloomberg n'est pas sans rappeler celle qui a conduit au pouvoir son frère ennemi. Reste à savoir si le slogan "Mike Get it Done !" (que l'on pourrait traduire par "Mike fait le job") saura vendre le rêve et les promesses d'un "Make America Great Again".

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