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Présidentielle américaine : pourquoi le vote par courrier pourrait être un facteur décisif de l'élection

Au grand dam de Donald Trump, qui pense que le dispositif est favorable aux démocrates, un nombre inédit d'électeurs devraient voter par correspondance à cause de la pandémie de Covid-19. Mais les retards chroniques affichés par l'US Postal Service laissent craindre que certains d'entre eux soient privés de vote.

Article rédigé par franceinfo
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Temps de lecture : 8 min
Le président des Etats-Unis Donald Trump lors d'un discours de campagne dans un golf à Bedminster (New Jersey, Etats-Unis) le 14 août 2020. (JIM WATSON / AFP)

Confrontés à une épidémie de coronavirus encore vivace, les Américains pourront-ils voter par courrier plutôt que se rendre aux urnes le 3 novembre pour l'élection présidentielle ? Alors que de nombreux Etats ont facilité le recours à cette option, c'est l'état de la poste américaine qui inquiète.

Vendredi 14 août, le Washington Post a révélé qu'elle avait prévenu la quasi-totalité des Etats du risque qu'elle ne puisse pas livrer tous les bulletins à temps. Et que des votes ne soient donc pas pris en compte... Le résultat de dysfonctionnements apparus après des réformes mises en place par un proche de Donald Trump, nommé en mai à la tête de l'US Postal Service (USPS). 

Le président des Etats-Unis, lui, ne cache pas son opposition à la généralisation du vote par correspondance, qu'il juge propice aux fraudes. Mais aussi trop favorable aux démocrates. Vendredi, il a reconnu refuser sciemment un financement en faveur de la poste réclamé par les démocrates et destiné à faciliter l'acheminement des bulletins par la poste. Franceinfo vous explique pourquoi le sort de l'US Postal Service pourrait être déterminant dans l'issue de l'élection.

Parce qu'il concerne un nombre inédit d'électeurs

Exotique vu de France, le vote par correspondance est déjà répandu aux Etats-Unis. Les citoyens de cinq Etats votent déjà uniquement par ce biais, et c'est aussi une des options offertes aux personnes qui ne peuvent pas se rendre aux urnes le jour J, avec le vote anticipé. Lors de la présidentielle de 2016, 33 millions de bulletins avaient été envoyés par la poste, soit près du quart du total de suffrages exprimés. Et ils devraient être beaucoup plus nombreux cette année avec l'épidémie de Covid-19.

Selon un décompte du New York Times (en anglais), mis à jour le 14 août, 29 des 50 Etats américains ainsi que le district de Columbia (où se trouve la capitale Washington) ont pris des mesures pour simplifier le vote par correspondance. Et tous les Etats à l'exception de huit d'entre eux autoriseront le vote par correspondance sans autre justification que le contexte sanitaire. Ce sont donc jusqu'à 76% des électeurs qui auront droit d'envoyer leur bulletin de vote par courrier – un nombre totalement inédit, qui fait de l'organisation de ce système un enjeu important.

Parce que l'US Postal Service va mal

Mais cette élection se profile dans un contexte inédit pour la poste américaine. En mai, Donald Trump a nommé à sa tête Louis DeJoy, un homme d'affaires venu du privé et important donateur du parti républicain. Depuis sa nomination, celui-ci a mis en place une série de mesures drastiques en vue, assure-t-il, de redresser les comptes de l'US Postal Service. Les heures de travail des employés ont été réduites. Les facteurs sont désormais envoyés en tournée à heure fixe, que le courrier soit trié ou pas – ce qui, selon les syndicats, les oblige à des aller-retours qui les retardent.

Dans plusieurs Etats de l'ouest du pays, la poste américaine a commencé à retirer certaines boîtes aux lettres des rues, avant de finalement suspendre l'opération jusqu'aux élections, rapporte CNN (en anglais). La chaîne a aussi consulté des documents (en anglais) prévoyant le retrait d'un huitième des machines de tri du courrier dont disposent l'USPS. Dans les deux cas, c'est la baisse du volume de courrier qui est évoquée pour justifier ces décisions.

Une manifestante glisse une enveloppe marquée de l'inscription "Sauvez la poste, sauvez la démocratie" dans la porte du patron de la poste américaine, Louis DeJoy, le 15 août 2020 à Washington. (MICHAEL A. MCCOY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Mais sur le terrain, des employés de l'US Postal Service et des élus locaux expliquent être submergés de plaintes concernant des retards apparus depuis la mise en place des mesures. "Dans la campagne du Michigan, des médicaments pour le diabète qui mettaient trois jours à arriver prennent maintenant près de deux semaines", écrit le New York Times (en anglais), qui a recueilli de nombreux témoignages de ces dysfonctionnements. Pour aider le service postal à reprendre pied et gérer l'afflux de bulletins attendu en novembre, les parlementaires démocrates ont inclus 3,5 milliards de dollars destinés à l'USPS dans le cadre d'un plan de sauvetage de l'économie en négociation avec la Maison Blanche. Mais ces fonds sont bloqués par Donald Trump, qui s'y oppose.

Officiellement, la direction de la poste assure qu'elle sera "pleinement capable de livrer le courrier électoral de l'Amérique". Mais dans des lettres datées du 29 juillet dont le contenu a été dévoilé vendredi par le Washington Post (en anglais), l'US Postal Service a prévenu 46 Etats et le district de Columbia qu'il ne pouvait pas garantir que tous les bulletins seraient livrés à temps pour être décomptés, y compris s'ils sont envoyés dans les délais prévus. Un problème d'autant plus grave dans les Etats où les électeurs doivent envoyer par courrier un premier formulaire pour réclamer leur bulletin de vote postal. Le risque, reconnu par l'USPS dans ces lettres, est de priver de leur vote certains électeurs. "Si vous prévoyez de voter par courrier, je vous dirais de voter tôt, a prévenu la cheffe de file des démocrates à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, vendredi sur la chaîne MSNBC. Ils feront tout ce qu'ils peuvent pour ralentir le courrier."

Parce que Trump pense qu'il lui est défavorable

Donald Trump est loin de déplorer les difficultés du vote par correspondance. Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, il a critiqué à de nombreuses reprises la généralisation du vote par courrier, dont il affirme qu'il est sujet à la fraude. "Ils veulent 3,5 milliards de dollars pour quelque chose qui se révélera frauduleux", a-t-il encore déclaré jeudi au sujet de la somme réclamée par les démocrates pour financer ce mode de scrutin. Une affirmation maintes fois contestée par les médias américains. "Le type de fraude électorale le plus courant aux Etats-Unis implique les bulletins de vote par correspondance", mais "la fraude électorale" sous toutes ses formes "est très rare", explique ainsi au New York Times (en anglais) Richard L. Hansen, spécialiste des élections à l'université de Californie.

Mais Donald Trump a également évoqué une autre raison, plus politique. Dès avril, sur Twitter, il affirmait que "pour je ne sais quelle raison, [le vote par courrier] ne se termine pas bien pour les républicains" – revendiquant donc de défendre son propre intérêt politique en s'opposant à sa généralisation. Une réflexion qui s'inscrit dans une crainte plus large que les mesures favorisant la participation tournent en faveur des démocrates – en mars, le président des Etats-Unis expliquait sur Fox News s'être opposé à des mesures qui auraient garanti "un niveau de participation tel que plus aucun républicain n'aurait jamais été élu dans ce pays".

Une boîte aux lettres de l'US Postal Service à Chicago (Etats-Unis), le 13 août 2020. (SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Il est incontesté que faciliter le vote par courrier encourage la participation, notamment dans les catégories les plus abstentionnistes de la population. Mais rien ne prouve que cela bénéficie davantage à un camp. En 2014, quand le Colorado a basculé vers le vote par courrier, le regain de participation a été un peu plus important chez les républicains, conclut une étude évoquée par le New York Times (en anglais). Deux ans plus tard, dans l'Utah, une mesure similaire a plutôt aidé les démocrates, mais là encore dans des proportions très minces, explique le quotidien. En Californie, une étude a conclu que les électeurs noirs et latino-américains, qui penchent davantage du côté démocrate, étaient moins enclins à vote par correspondance.

A l'inverse, dans certains Etats comme la Floride, ce sont les retraités, plus souvent républicains, qui le réclament. Donald Trump s'est d'ailleurs déclaré favorable au vote par correspondance dans leur cas, ainsi que pour les militaires. Mais les récents débats sur la question ont pu faire bouger les lignes – un sondage publié jeudi par le Pew Research Center (en anglais) établit que 80% des soutiens de Trump interrogés préféreraient voter en personne, quand 58% des partisans du démocrate Joe Biden préféreraient le vote à distance.

Parce qu'il présage de résultats contestés

Le débat est loin d'être terminé. Les dysfonctionnements du vote par correspondance menacent à la fois la prise en compte du suffrage de certains électeurs, mais aussi la capacité à établir un résultat clair et incontesté au soir du 3 novembre. Certaines primaires organisées depuis le début d'épidémie font figure d'exemple à ne pas suivre, comme celles de l'Etat de New York. Le scrutin s'est tenu le 23 juin, mais les résultats définitifs ont été annoncés le 5 août, le temps de compter les bulletins reçus par courrier et d'en invalider un quart pour des retards ou des irrégularités, explique le New York Post (en anglais).

Si une telle situation se produisait dans un ou plusieurs Etats-clés, lors de l'élection présidentielle, elle plongerait l'Amérique dans le doute. Donald Trump, qui avait déjà affirmé à tort que les élections de 2016 avaient été "truquées" en sa défaveur malgré sa victoire, a déjà laissé entendre qu'il n'aurait pas forcément confiance dans le verdict des urnes : le scrutin sera "un bazar frauduleux. Nous ne saurons peut-être jamais qui a gagné !" a-t-il tweeté samedi. De quoi inquiéter ceux qui voyaient déjà dans sa proposition de reporter l'élection jusqu'à la fin de l'épidémie de coronavirus, par opposition au vote par courrier, un signe qu'il n'accepterait peut-être pas une éventuelle défaite.

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