Cet article date de plus de six ans.

Comment la diplomatie française gère tant bien que mal Donald Trump

Emmanuel Macron se rend à Washington, du lundi 23 au mercredi 25 avril. Il s'agit de la première visite d'Etat d'un dirigeant étranger sous la présidence Trump.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le président américain Donald Trump et le président français Emmanuel Macron assistent au défilé du 14-Juillet, à Paris, en 2017. (MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP)

L'Elysée évoque "un moment politique très fort et symbolique". Emmanuel Macron se rend à Washington D.C., la capitale fédérale américaine, du lundi 23 au mercredi 25 avril. Plus qu'une visite officielle, c'est une visite d'Etat : le plus haut niveau d'importance pour la réception d'un dirigeant étranger. Surtout, il s'agit du premier événement d'un tel calibre depuis l'accession de Donald Trump à la Maison Blanche. Mais comment la France gère-t-elle les relations diplomatiques avec les Etats-Unis, avec un président qui détonne par son style impulsif et provocateur ?

Sur la forme, Emmanuel Macron met en scène une relation au beau fixe

Emmanuel Macron l'avait reconnu lui-même en janvier, à la BBC : Donald Trump "n'est pas un homme politique classique". Cela n'empêche pas les deux présidents d'afficher une proximité certaine. A la surprise générale, en 2017, peu après son élection, le chef d'Etat français avait invité son homologue américain au défilé du 14-Juillet. Ils avaient alors affiché une relation idyllique, avec notamment un dîner des couples présidentiels à la tour Eiffel. 

Depuis, Donald Trump a présenté (en anglais) Emmanuel Macron comme son "ami", évoquant un "mec bien". Et en lui accordant le privilège de la première visite d'Etat, le président américain entend consolider cette entente, que la communication élyséenne n'hésite pas à vanter. Au palais, on affirme qu'il y a "des échanges extrêmement réguliers et intenses entre les deux présidents" et que ce déplacement devrait "poursuivre et renforcer cette dynamique". Dans la presse, Emmanuel Macron joue sur le même registre.

Oui, nos pays sont amis et donc, nous aussi, nous devons l'être.

Emmanuel Macron

au "Journal du dimanche"

"Mon objectif avec Donald Trump, c'est de le réancrer dans cette amitié franco­américaine qui contribue à défendre nos valeurs de démocratie et de liberté, avait ajouté le président français dans les colonnes du JDDC'est donc important de lui parler pour éviter qu'il ne construise des alliances opportunistes avec d'autres nations qui pourraient mettre à mal cette grammaire internationale dont nous avons besoin."

Des proches du président français ont expliqué la méthode à Politico (en anglais). Selon le récit du journal, après avoir étudié la psychologie de son homologue américain, ils ont décidé qu'Emmanuel Macron devait montrer de l'"affection personnelle", rester près de Donald Trump et "éviter les critiques directes" qui pourraient "enflammer son tempérament".

Sur le fond, il peut difficilement se passer de son homologue

La "relation personnelle très directe" entre les deux présidents a une importance non négligeable, estime auprès de franceinfo Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau de Paris du German Marshall Fund of the United States, un think tank dédié à la coopération entre Europe et Etats-Unis. Entretenir cette relation est d'autant plus essentiel qu'"il y a un recentrage très net sur le duo franco-américain".

Emmanuel Macron devient un interlocuteur privilégié pour Donald Trump, dans un contexte où le Royaume-Uni quitte l'Union européenne et où l'Allemagne sort d'une longue campagne avec une Angela Merkel affaiblie aussi bien à l'intérieur qu'à l'international.

Alexandra de Hoop Scheffer

à franceinfo

Avant d'être un choix, cette stratégie amicale est d'abord une nécessité. "Emmanuel Macron ménage Donald Trump parce qu'il sait qu'une mauvaise relation avec lui rendrait impossible le travail entre les administrations française et américaine sur des dossiers comme la Syrie, la lutte contre l'Etat islamique, l'Ukraine, le futur des relations avec l'Otan ou l'accord iranien", commente auprès de franceinfo Nicolas Tenzer, président du centre d'études et de réflexions pour l'action politique, chargé d'enseignement à Sciences-Po Paris. 

Les divergences entre les deux pays sont nombreuses – "l'accord sur le climat", "le fait que Jérusalem soit annoncée comme capitale d'Israël", "la manière d'appréhender la question iranienne", un certain nombre de questions commerciales", liste Jean-Yves Le Drian sur BFMTV – mais sur plusieurs thématiques importantes, Paris et Washington sont sur la même ligne. "Nous sommes ensemble dans le combat contre le terrorisme, souligne le ministre des Affaires étrangères. Nous étions ensemble contre la Syrie [pour les frappes occidentales, dans la nuit du 13 avril au 14 avril]. Nous sommes ensemble au Sahel pour combattre le terrorisme africain. Nous sommes d'accord sur la non-prolifération nucléaire."

"Jacques Chirac a dit, en 1995, que les relations entre la France et les Etats-Unis 'ont été, sont et seront toujours conflictuelles et excellentes'. Cette phrase résume toujours très bien les liens entre les deux pays", synthétise Alexandra de Hoop Scheffer. "Washington et Paris ont toujours réussi à dépasser leurs désaccords et à les clarifier", conclut-elle.

Au quotidien, les diplomates font face à une administration américaine "déstabilisée"

Mais comment faire de la diplomatie avec un président qui tweete à tout va avec, parfois, des formules peu diplomatiques, comme lorsqu'il qualifie le président syrien Bachar Al-Assad de "monstre" ou d'"animal", écrit "Tiens-toi prête, Russie, les missiles arrivent !", ou surnomme "rocket man" [l'homme fusée] Kim Jong-un, le leader nord-coréen ?

L'Elysée botte en touche. "La présidence française ne porte pas de jugement sur ce que le président américain écrit sur Twitter", déclare-t-on simplement à franceinfo.

La diplomatie française ne se cale pas sur les tweets du président Trump.

L'Elysée

à franceinfo

"La parole présidentielle américaine a perdu de sa gravité. Maintenant, on cherche toujours à vérifier auprès de l'administration une information tweetée par Donald Trump", remarque auprès de franceinfo la politologue Célia Belin, spécialiste des relations transatlantiques au sein de la Brookings Institution, à Washington. Selon elle, il est délicat de prendre au pied de la lettre les tweets du président américain mais il faut les considérer "dans leur ensemble" car ils permettent à Donald Trump de "faire connaître sa volonté".

Si le courant passe bien entre l'Elysée et la Maison Blanche, le ministère des Affaires étrangères doit, lui, composer avec la crise qui secoue le département d'Etat. Quelque 60% des hauts responsables du secrétariat d'Etat américain ont quitté leur poste depuis l'élection de Donald Trump, rapportait Vox (en anglais) en novembre. "J'avais l'habitude de me réveiller chaque matin en sachant comment travailler pour faire un monde meilleur", a déclaré à Foreign Policy (en anglais), en juillet 2017, un haut diplomate américain sous couvert d'anonymat. Je passe maintenant la plus grande partie de mes journées dans un bourbier. Il n'y a pas de vision."

"Cette administration est extrêmement démunie et déstabilisée", rapporte auprès de franceinfo Nicolas Tenzer, président du centre d'étude et de réflexion pour l'action politique, chargé d'enseignement à Sciences Po Paris.

L'administration présidentielle actuelle est marquée par une forme d'incertitude et une absence de stratégie.

Nicolas Tenzer

à franceinfo

Ce climat est "très paralysant et très angoissant", poursuit-il. "Quand une personne tente d'avancer dans un dossier, elle ne sait pas si son initiative va véritablement aboutir, puisque c'est Donald Trump qui décidera et tranchera à la fin". "Il y a aussi beaucoup d'ambassadeurs, sur le terrain, qui font leur travail, au quotidien, de manière discrète, et qui se disent 'on va faire le gros dos, ce n'est que quelques années un peu compliquées à passer'", abonde le spécialiste.

"Comment est-ce qu'un pays comme la France peut définir une politique à moyen terme, par exemple sur la Russie, avec une administration qui ne sait pas où elle va ?", s'interroge ce spécialiste. Sollicité par franceinfo pour tenter d'en savoir plus, le Quai d'Orsay s'est contenté de renvoyer vers l'Elysée. Au palais, on préfère insister encore une fois sur la relation directe qui "fonctionne très bien entre les présidents Trump et Macron""Je n'étais pas là pendant les années Obama mais je peux vous dire que la semaine dernière [avant les frappes en Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril], ils se sont eus au téléphone presque tous les jours", lance une conseillère du chef de l'Etat Français.

Un nouveau chapitre s'ouvre avec des changements au plus haut niveau. Le chef de la diplomatie américaine, le respecté et expérimenté Rex Tillerson, a été remplacé par Mike Pompeo. Et d'autres personnalités, très proches idéologiquement du président américain, ont été nommées. "Maintenant Donald Trump s'est entouré de personnes qui comprennent ce qu'il veut avant même qu'il le disent", remarque Célia Belin. De quoi rendre plus facile la communication entre diplomates ? "L'aspect positif, c'est qu'ils ont un accès plus direct au président, avance Alexandra de Hoop Scheffer. L'aspect négatif, c'est qu'il y a des désaccords qui vont s'accentuer et qu'il va y avoir une accélération de l'agenda America first [l'Amérique d'abord]."

Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, à Washington DC, la capitale fédérale américaine, le 12 avril 2018. (JEFF MALET/NEWSCOM/SIPA / SIPA USA / SIPA)

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.