Affaire des documents classifiés : pourquoi Donald Trump fait-il face à la justice quand Joe Biden y échappe ?
Pour la première fois dans l'histoire des Etats-Unis, un ancien président comparaît devant la justice fédérale. Donald Trump est accusé d'avoir emporté à l'issue de son mandat, en janvier 2021, des documents confidentiels susceptibles de mettre en péril la sécurité du pays et de les avoir conservés sans précaution dans sa luxueuse résidence de Floride. Le milliardaire de 76 ans est arrivé mardi 13 juin dans un tribunal fédéral à Miami, en milieu d'après-midi (le milieu de la soirée en France). Le magistrat lui a notifié les 37 charges retenues contre lui. Après avoir répondu aux mêmes formalités que tout prévenu, il a plaidé non-coupable.
Depuis des mois, Donald Trump et ses soutiens dénoncent une manœuvre politique visant à l'affaiblir, alors qu'il entend reprendre la Maison Blanche à Joe Biden en 2024. Ils rappellent que l'actuel président a lui aussi été inquiété dans une affaire de documents classifiés et confidentiels non restitués, sans avoir eu à en répondre devant la justice. "Il est inadmissible qu'un président inculpe le principal candidat qui s'oppose à lui", a pesté vendredi le président de la Chambre des représentants, le républicain Kevin McCarthy, sur Twitter. "Joe Biden a gardé des documents classifiés pendant des décennies", a-t-il argumenté. Mais les cas des 45e et 46e présidents des Etats-Unis sont-ils vraiment comparables ?
Des documents obtenus par la contrainte
Pour Donald Trump, les ennuis ont commencé en février 2022. Les Archives nationales (Nara), chargées de consigner pour l'histoire les activités présidentielles, s'alarment que l'équipe du président sortant rechigne à leur transmettre les documents (dont certains confidentiels) qui leur reviennent de droit. Lors de perquisitions en août, les enquêteurs mettent la main sur quelque 300 documents classifiés, conservés dans l'illégalité, malgré les sollicitations de la justice.
L'affaire qui embarrasse Joe Biden concerne quelques dizaines de documents datant de l'époque où il était vice-président de Barack Obama, entre 2009 et 2017, selon la presse américaine. Ils ont été retrouvés au mois de novembre, dans l'ancien bureau de l'actuel président, à Washington, ainsi qu'à sa résidence personnelle de Wilmington, dans le Delaware. Surtout, les circonstances diffèrent : si la justice est intervenue pour enquêter puis perquisitionner afin de retrouver les documents conservés par Donald Trump, le camp Biden a lui-même informé la Nara après que des conseillers sont tombés sur des cartons contenant des documents classifiés, en vidant un ancien bureau de l'actuel président au Penn Biden Center, un think tank situé à Washington.
Une volonté de dissimuler
Selon un avocat spécialisé dans la sécurité nationale, cité en janvier par Business Insider, "l'équipe de Biden a fait exactement ce qu'il fallait faire" en contactant la Nara. Selon lui, il n'est pas rare que des documents confidentiels se retrouvent dans la nature et que les Archives nationales soient contraintes d'intervenir pour les récupérer. Selon le New York Times, les proches du démocrate ont pensé que cette mise en règle, gage de bonne foi, éviterait à Joe Biden l'embarras d'une enquête plus poussée.
Cette opération "transparence" contraste avec les incohérences et omissions révélées dans l'acte d'accusation publié vendredi contre Donald Trump (PDF). L'ex-président est accusé d'avoir volontairement soustrait ces documents confidentiels à la justice, avec son assistant personnel, un certain Waltine Nauta. Fin mai, apprenant que la justice lui réclame tout document manquant qui se trouverait encore à Mar-a-Lago, il évoque devant des conseillers la possibilité de "ne pas jouer le jeu" et s'interroge : "Ne vaudrait-il pas mieux leur dire que nous n'en avons pas ?"
Quand des agents fédéraux se présentent chez Donald Trump, le 2 juin, des membres de son équipe juridique leur transmettent 38 documents classifiés. Mais, selon l'acte d'accusation, qui cite les auditions de proches du républicain ainsi que des SMS, des cartons ont entre-temps été déplacés et stockés ailleurs dans la résidence.
Pour l'ancien procureur fédéral Robert Mintz, interrogé par le Washington Post, "cette affaire ne porte pas sur le type de documents qui ont été emportés mais sur ce que le président Trump a fait au moment où le gouvernement cherchait à les retrouver". En ce sens, l'acte d'accusation est "plutôt très détaillé. Et il est accablant", a asséné sur Fox News l'ancien ministre de la Justice de Donald Trump, Bill Barr, désormais très critique.
Une défense sans fondement légal
Côté Joe Biden, on plaide l'étourderie, à défaut d'assumer une négligence. Chez Donald Trump, la défense consiste à assurer que l'ancien président avait tout à fait le droit de garder chez lui ces documents. Et pour cause, il les "avait déclassifiés", a assuré son avocate Alina Habba. "Ce sont des notes, des choses qu'il a le droit d'emporter", a-t-elle ajouté. "Il a dit qu'il avait déclassifié ce matériel, il peut le mettre où il veut, il peut le traiter comme il veut", a renchéri sur CNN le président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jim Jordan, proche allié de l'ancien magnat de l'immobilier.
Or, l'acte d'accusation révèle que Donald Trump était conscient de ne pas avoir déclassifié les documents confidentiels en sa possession. C'est ainsi qu'il est accusé d'avoir montré à des personnes dépourvues d'habilitation secret-défense, venues l'interviewer en Floride, "un plan d'attaque" que lui avait préparé le ministère de la Défense. "En tant que président, j'aurais pu les déclassifier (...) maintenant, je ne le peux plus, mais il s'agit toujours de secrets", se vante l'ancien chef d'Etat sur un enregistrement audio cité par le document judiciaire.
Pour l'ancien ministre Bill Barr, interrogé sur Fox News, "l'idée que le président a une totale autorité pour décréter que tout document est personnel est ridicule". Et sa défense est un modèle de mauvaise foi, peut-on lire dans The Atlantic. "Trump savait exactement à quel point la découverte des documents serait néfaste et il voulait qu'ils soient détruits ou cachés", assure dans une chronique le journaliste politique David A. Graham. Aux 37 chefs d'inculpation dont l'ancien président devra répondre, il en ajoute un 38e, certes irrecevable devant un tribunal mais acerbe : celui d'avoir commis "les crimes les plus stupides qu'on puisse imaginer".
Les cas de Donald Trump et de Joe Biden divergent donc en de nombreux points. Mais dresser un parallèle entre eux permet à l'ancien président d'illustrer son discours bien rodé contre des institutions qu'il estime injustes et illégitimes, alors que s'ouvre la course à l'investiture républicaine. Selon un récent sondage CBS News/YouGov, trois quarts des électeurs susceptibles de voter aux primaires républicaines jugent que les accusations portées contre Donald Trump sont motivées par des considérations politiques. Porter un tel discours pourrait ainsi lui être favorable, au moment où il devance dans les sondages le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, et son ancien vice-président, Mike Pence.
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