Pour Thomas Snegaroff, Elizabeth Eckford "est une espèce de résumé dramatique de l’Histoire américaine"
À Little Rock en 1957, neuf élèves noirs ont le droit d'intégrer un lycée blanc pour la première fois. Elizabeth Eckford était de ceux-là. Thomas Snegaroff raconte son histoire bouleversante dans son livre.
"Elle s’appelle Elizabeth Eckford. Elle est née le 4 octobre 1941 à Little Rock. Elle va devenir mondialement célèbre le jour où son histoire va bouleverser une ville, un État : l’Arkansas, un pays : les États-Unis et même le monde entier." Le 4 septembre 1957, Elizabeth Eckford fait partie des neuf premiers lycéens noirs à intégrer le lycée blanc de la ville, suite à une décision de la Cour suprême de 1954. L’historien Thomas Snegaroff raconte son histoire bouleversante dans son livre Little Rock, 1957, l'histoire des neuf lycéens noirs qui ont boulversé l'Amérique.
"Elle n’a qu’une trouille, c’est d’être en retard à l’école et elle se retrouve dans une manifestation qui la dépasse très largement."
Le jour de la rentrée, "elle est seule, face à une marée humaine qui l’insulte." explique Thomas Snegaroff. Cette journée a été immortalisée par une photo qui "fera le tour du monde le lendemain" : "On voit Elizabeth avec ses lunettes de soleil énormes qui permettent de ne pas voir qu’elle est en train de commencer à pleurer et, derrière, d’autres jeunes filles qui l’insultent, notamment Hazel Bryan qui est en train de lui hurler 'Go back to Africa !', 'Rentre en Afrique !'."
Cet appel au lynchage, l’historien l’explique par le fait qu’à cette époque, "pour les élèves blancs venant de milieux très défavorisés et leurs parents, l’idée que des Noirs puissent avoir les mêmes études qu’eux, c’est la certitude que désormais ils seront tout en bas de l’échelle." Ils étaient dès lors dans un sentiment "d’insécurité et de peur" qui s’est traduit par "une incroyable colère". Une colère que subit Elizabeth contre son grès : "Elle n’a qu’une trouille, c’est d’être en retard à l’école ce jour-là et elle se retrouve prise dans une manifestation qui la dépasse très largement."
Finalement, ce 4 septembre 1957, les neuf élèves ne peuvent pas faire leur rentrée. Il leur faudra attendre trois semaines et l’intervention du président Eisenhower. Toutefois, leur entrée n’a pas été "banale", mais elle s’est faite "sous la protection des soldats américains. Chacun avait son garde du corps." raconte Thomas Snegaroff. Une rentrée assez annonciatrice du reste de l’année : "Ça va être une année scolaire très violente. C’est par exemple une jeune fille qui va recevoir de l’acide dans les yeux."
60 ans plus tard, Elizabeth est "une femme qui a souffert toute sa vie et qui souffre encore"
Après le lycée, Elizabeth Eckford fait des études d’Histoire avant de s’engager dans l’armée, où elle occupera un poste administratif. Mais aujourd’hui, raconte l’historien, "c’est une femme qui vit dans une maison, certes jolie, mais dans un quartier très défavorisé. Elle vit seule, elle a perdu son fils tué par la police. C’est une espèce de résumé dramatique de l’Histoire américaine qu’est cette femme aujourd’hui." Pour autant, l’historien ne la considère pas comme "une icône de la lutte pour les droits civiques, si ce n’est par cette photo."
Cette photo d’ailleurs, Thomas Snegaroff invite à la dépasser pour voir "le drame que ça représente" : "Ce n’est pas quelqu’un qui a été ensuite le porteur d’un étendard ou d’un discours. C’est une femme qui a souffert toute sa vie et qui souffre encore. Quand je vois les médicaments qu’elle prend plus de 60 ans après le choc post-traumatique, on se rend compte qu’elle s’en serait bien passée et qu’elle n’a pas envie d’être l’icône de quoi que ce soit."
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