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Mort de George Floyd : pourquoi des Noirs américains manifestent-ils à cheval contre le racisme ?

En Californie ou au Texas, dans les manifestations contre les violences policiĂšres et le racisme, des cavaliers noirs participent Ă  la mobilisation.

Article rédigé par franceinfo, Charlotte Causit
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Plusieurs cavaliers du Nonstop Rider club ont protestĂ© contre le racisme et les violences policiĂšres, mardi 2 juin 2020, Ă  Houston, au Texas.  (MARK FELIX / AFP)

PerchĂ©s sur leurs fiĂšres montures, les rĂȘnes relĂąchĂ©es, le buste droit, ils trottaient en tĂȘte du cortĂšge, Ă  Houston (Texas), la ville natale de George Floyd, mardi 2 juin. Dans les manifestations contre le racisme et les violences policiĂšres, qui se multiplient depuis la mort de cet AmĂ©ricain noir de 46 ans, aprĂšs son interpellation par un policier Ă  Minneapolis, difficiles de ne pas voir ces cowboys noirs et leurs t-shirts barrĂ©s du slogan "Black Cowboys Matter".

Les photos et vidéos de ces cavaliers protestataires ont inondé les réseaux sociaux. Le poing en l'air, la trentaine de membres du club équestre NonStop Riders rendaient hommage à George Floyd, avec qui certains avaient grandi dans le quartier du Third Ward. Des cavaliers en ville, au milieu d'un mouvement protestataire : l'image interpelle et impressionne. Pourquoi manifester à cheval et se revendiquer cowboy dans ce mouvement contre le racisme ?

Pour se faire entendre

Quelques jours plus tÎt, à Oakland (Californie) une jeune femme avait déjà attiré ainsi l'attention. Brianna Noble, Californienne de 25 ans juchée sur son cheval, Dapper Dan, ouvrait triomphalement le cortÚge de manifestants contre le racisme et les violences policiÚres, vendredi 29 mai. "Ce n'était pas tellement préparé", explique-t-elle au Guardian (en anglais). "J'étais assise à la maison, énervée en voyant les vidéos sur George Floyd", poursuit la cavaliÚre.

Je me suis dit : je ne suis qu'une protestataire de plus si j'y vais seule, mais personne ne peut ignorer une femme noire Ă  cheval.

Brianna Noble

au Guardian

Avec son compagnon alezan, la cavaliÚre capte l'attention de tous : les photos de son passage, reprises par les médias, fait oublier les débordements en marge de la manifestation. "Mon cheval a joué le rÎle d'un socle grùce auquel j'ai pu faire entendre ma voix", ajoute-t-elle dans un entretien à la radio publique locale KQED (en anglais).

Pour chasser les préjugés

L'imposant animal fait également appel à l'imaginaire collectif américain. "Le cheval est un symbole de puissance, de liberté et d'affranchissement", observe Claire Bourhis-Mariotti, maßtresse de conférence en histoire et civilisation des Etats-Unis, et spécialiste de l'histoire africaine-américaine.

S'afficher en tant que cavalier afro-amĂ©ricain sert Ă  contrer les idĂ©es reçues. Au Guardian, Brianna Noble explique qu'elle veut changer le regard sur l'Ă©quitation, une discipline trĂšs onĂ©reuse, majoritairement pratiquĂ©e par des Blancs. Elle espĂšre devenir la premiĂšre cavaliĂšre noire Ă  participer Ă  une Ă©preuve d'obstacles aux Jeux olympiques. "Je ne veux pas ĂȘtre connue pour avoir descendu Broadway Ă  cheval une fois. Je veux avoir un impact durable pour ma communautĂ©", dĂ©clare-t-elle encore au Guardian.

MĂȘme combat, toujours en Californie, pour les Compton Cowboys. Ce groupe d'amoureux du cheval et du rodĂ©o cherche Ă  "Ă©radiquer certains des stigmates nĂ©gatifs de leur ville", longtemps marquĂ©e par une grande pauvretĂ© et dont le nom Ă©voque toujours la criminalitĂ©.

Capture d'Ă©cran du compte Instagram des Compton Cowboys, le 5 juin 2020. (COMPTON COWBOYS / INSTAGRAM)

En 2018, Anthony Harris, l'un de ces cowboys, expliquait au New York Times qu'il n'Ă©tait jamais arrĂȘtĂ© par la police quand il se dĂ©plaçait Ă  cheval en ville. "Quand nous ne montions pas, les policiers pensaient que nous avions des armes ou de la drogue, mais les chevaux nous protĂ©geaient de ça", racontait-il. Les Compton Cowboys espĂ©raient aussi "s'introduire dans le circuit de rodĂ©o", un milieu "occidental Ă  prĂ©dominance blanche", dĂ©taille Walter Thompson-Hernandez, auteur d'un livre sur le sujet, dans le quotidien new-yorkais.

Pour se réapproprier leur histoire

La figure du "black cowboy" invoquĂ©e par les cavaliers texans de Houston n'est pas nouvelle. Les historiens estiment qu'Ă  l'Ă©poque de la conquĂȘte de l'Ouest, un cowboy sur quatre Ă©tait noir. Pendant la guerre de SĂ©cession, des esclaves noirs s'occupaient des troupeaux et travaillaient avec les chevaux en l'absence des maĂźtres blancs partis combattre, explique le Smithsonian Magazine (en anglais).

"AprÚs l'abolition de l'esclavage en 1865, il y a beaucoup de Noirs qui se sont retrouvés sans travail, puisqu'ils étaient, pour la plupart, esclaves dans les plantations du Sud. Un grand nombre s'est reconverti dans le travail de cowboy", explique Claire Bourhis-Mariotti. Le site Wide Open Country (en anglais) met ainsi en lumiÚre plusieurs de ces cowboys qui ont contribué à façonner le Far West.

L'histoire populaire amĂ©ricaine a pourtant effacĂ© la trace de ces cavaliers noirs. "À l'Ă©cran tous les cowboys Ă©taient caucasiens, il n'y avait aucun Afro-amĂ©ricain", rĂ©sume Kesha Morse, prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration des cowboys noirs de New York, dans un reportage d'Arte intitulĂ© Black Cowboys, la lĂ©gende oubliĂ©e. "Ils ont pris l'histoire des Afro-amĂ©ricains et ils ont collĂ© des visages dessus et le racisme Ă  beaucoup Ă  voir avec cela", dĂ©nonce-t-elle.

"Depuis Buffalo Bill et son Wild West show (des spectacles itinĂ©rants populaires au dĂ©but du XXe siĂšcle), le cowboy, c'est l'archĂ©type du mĂąle blanc dominant", acquiesce Claire Bourhis-Mariotti. Le fait de s'exposer, en tant que cowboy noir, dans un Etat du Sud, Ă  Houston, une ville oĂč la diversitĂ© ethnique est trĂšs importante, n'est donc pas anodin. "Je me demande si ce n'est pas aussi ça l'idĂ©e de manifester Ă  cheval : montrer qu'ils sont les propres maĂźtres de leur destin", poursuit cette spĂ©cialiste.

Pour reprendre une place dans la pop culture

Les références à ce passé équestre des Noirs américains étaient déjà réapparues peu à peu ces derniÚres années. Elles semblaient toutefois moins politiques que la présence des manifestants à cheval de ces derniÚres semaines. Le personnage de Django, incarné par Jamie Foxx dans le western de Quentin Tarantino, Django Unchained, avait par exemple contribué à raviver les souvenirs de cette histoire, liée intimement au passé esclavagiste des Etats-Unis.

Plus ouvertement engagĂ©e, une statue de l'artiste Kehinde Wiley, reprĂ©sentant un jeune homme noir de notre temps montĂ© sur un cheval cabrĂ©, avait Ă©tĂ© installĂ©e temporairement temps au cƓur de New-York, avant de rejoindre Richmond, en Virginie.

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Depuis 2018, les rĂ©fĂ©rences aux cowboys se sont encore multipliĂ©es. Elles ont mĂȘme Ă©tĂ© baptisĂ©es "Yeehaw Agenda" sur les rĂ©seaux sociaux. De nombreux artistes et cĂ©lĂ©britĂ©s noires amĂ©ricaines (Cardi B ou Solange Knowles par exemple) ont commencĂ© Ă  s'afficher sur scĂšne ou dans des clips avec chapeaux, chemises et attitude faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la culture country. Le jeune rappeur Lil Nas X s'est ainsi illustrĂ© en utilisant cette imagerie des cowboys pour son tube Old Town Road.

Le chanteur n'a d'ailleurs pas manqué d'afficher son soutien aux cavaliers protestataires sur Twitter. "Le temps est venu", a-t-il commenté en partageant une vidéo des cowboys noirs de Houston. 

"L'agenda Yeehaw montre que nous avons l'opportunité de corriger les récits dans ce pays", analysait l'auteur et critique d'art Antwaun Sargent, interrogé par le magazine Time (en anglais). Ce que les cavaliers noirs vus dans les manifestations antiracistes ont bien compris.

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