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Manifestations contre le racisme aux Etats-Unis : à Portland, activistes et forces fédérales s'affrontent toutes les nuits

Dans la plus grande ville de l'Oregon, les rassemblements contre le racisme et les violences policières durent depuis presque deux mois. Les méthodes des forces fédérales envoyées sur place par Donald Trump, sont décriées par les élus locaux et dénoncées par les manifestants.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des agents fédéraux (à gauche) font face à un manifestant qui porte un drapeau des Etats-Unis, le 21 juillet 2020 à Portland (Oregon). (NATHAN HOWARD / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Plus de cinquante nuits de manifestations consécutives. La mobilisation contre les violences policières et le racisme ne faiblit pas à Portland, dans le nord-ouest des Etats-Unis. Donald Trump a choisi d'employer la manière forte en envoyant les forces fédérales dans la plus grande ville de l'Oregon. "En trois jours, elles ont mis pleins d'anarchistes en prison", s'est félicité le président américain, lundi 20 juillet. Sur place, les élus démocrates estiment pourtant que cette présence ne fait que jeter de l'huile sur le feu.

L'étincelle du 4 juillet

La mort de George Floyd, le 25 mai à Minneapolis, a marqué le début d'une vague de protestations d'une ampleur inédite aux Etats-Unis. Après plusieurs semaines, la mobilisation s'est tassée dans le pays, même si des manifestations sporadiques continuent dans plusieurs villes, comme New York ou Chicago.

Portland a connu une nuit particulièrement mouvementée au soir de l'Independence Day, la fête nationale célébrée le 4 juillet. Des manifestants se sont réunis dans le centre-ville avec l'intention de tirer des feux d'artifice, près du palais de justice et du tribunal fédéral. "Les forces de l'ordre ont tiré des balles en caoutchouc, des balles en mousse, des bombes de poivre et des gaz lacrymogènes alors que la foule tournait autour du palais de justice et tirait des feux d'artifice sur le côté du bâtiment", raconte au New York Times (en anglais) Robert Evans, journaliste indépendant, sur place cette nuit-là.

Il y a eu une bataille de rue pendant trois heures. Je ne pouvais pas dire à qui appartenaient les explosions. Juste une série constante de secousses violentes.

Robert Evans, reporter

au New York Times

Selon le reporter, cette nuit a marqué un tournant : "Le président Trump a pris le cas de Portland personnellement après ça." Le président américain, qui s'est érigé en défenseur de "la loi et l'ordre", imputant les manifestations contre le racisme et les violences policières à de "dangereux anarchistes", a fait déployer des agents fédéraux dans la ville, sans consulter la municipalité.

Véhicules banalisés et interpellations inexpliquées

Des agents fédéraux en tenue de camouflage ont investi le centre-ville de Portland, dans la semaine du 13 juillet. Les médias locaux rapportent que ces agents circulent dans des véhicules banalisés et arrêtent des manifestants sans explication. Au moins 13 personnes ont ainsi été inculpées de crimes liés aux manifestations, en huit jours, selon la radio télévision publique locale OPB.

Mark Pettibone, un manifestant de 29 ans, raconte au Washington Post (en anglais) comment il a été interpellé, le 15 juillet, par des hommes en uniforme avec un simple écusson "police" qui ont surgi d'une fourgonnette civile. Il assure avoir été emmené dans un tribunal fédéral et relâché un peu plus tard, sans qu'on lui ait signifié les motifs de son arrestation.

On aurait dit un film d'horreur ou de science-fiction. C'était comme si j'étais une proie.

Mark Pettibone, manifestant

au Washington Post

L'agence des douanes et de la protection des frontières (CBP), qui dépend du département de la sécurité intérieure des Etats-Unis, affirme avoir eu des "informations" selon lesquelles Mark Pettibone était "soupçonné" de s'en être pris physiquement à des agents ou biens fédéraux. "Quand les agents du CBP ont approché le suspect, une foule imposante et violente s'est dirigée vers eux. Pour la sécurité de tous, les agents ont rapidement transféré le suspect vers un endroit plus sûr pour l'interroger", a justifié l'agence. Le CBP assure aussi qu'ils étaient identifiés en bonne et due forme, avec les insignes de leur organisation.

"Habituellement, lorsque vous voyez des gens dans des voitures non siglées prendre de force quelqu'un dans la rue, cela s'appelle un enlèvement", dénonce Jann Carson, responsable de la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU dans l'Oregon, cité par l'AFP. "Ce qui se passe en ce moment à Portland devrait inquiéter tout le monde aux Etats-Unis."

Des tactiques de "régimes autoritaires"

Le maire de Portland et plusieurs élus de l'Oregon ont demandé l'ouverture d'une enquête et saisi la justice pour obtenir le retrait des troupes fédérales. "Cette comédie politique du président Trump n'a rien à voir avec la sécurité publique", écrit sur Twitter Kate Brown, la gouverneure de l'Oregon.

Ils rappellent que le dixième amendement de la Constitution américaine interdit à l'Etat fédéral d'intervenir de manière intempestive dans les affaires des Etats. Ces élus signalent que les interventions des agents fédéraux contribuent à "une escalade" de tensions. Ils n'hésitent pas à comparer cette méthode aux "tactiques utilisées par des régimes autoritaires".

La Maison Blanche rétorque que "l'Etat fédéral est habilité à s'interposer unilatéralement pour défendre les institutions fédérales et les bâtiments fédéraux, sans avoir à quémander le feu vert des Etats concernés", rapporte Le Monde. "Si nous n'étions pas là, ils brûleraient" les bâtiments fédéraux, a aussi clamé Chad Wolf, le patron de la Sécurité intérieure des Etats-Unis. Reprenant les termes de Donald Trump, il a qualifié les manifestants de "violents anarchistes", et dénoncé l'inaction des responsables locaux face à eux.

Satisfait des déploiements des forces de l'ordre fédérales à Portland, le président américain souhaite désormais les envoyer dans plusieurs grandes villes gouvernées par des démocrates, dont Chicago ou New York. "On va avoir plus de forces de l'ordre fédérales. A Portland, elles ont fait un travail fantastique", a déclaré Donald Trump à la presse, lundi.

"Les mamans sont là !"

Cette démonstration de force n'apaise pas les tensions. Des manifestants ont tenté de mettre le feu au siège de l'association de la police avant d'être dispersés par des gaz lacrymogènes, le 18 juillet.

D'autres, plus pacifiques, mènent des actions dans le calme pour montrer qu'ils ne sont pas menaçants. Ainsi, le même soir, une femme nue ne portant qu'un masque et un bonnet s'est présentée debout face aux forces de l'ordre. Puis elle s'est assise devant les agents, jambes écartées et bras levés, dans une position de yoga. Cette manifestante anonyme est désormais surnommée "Naked Athena" (Athena nue).

"Les fédéraux restent à l'écart ! Les mamans sont là !", ont scandé, au cours de la même soirée, un groupe de femmes vêtues de blanc. Elles ont formé un "Wall of Moms", un mur de mamans, pour protéger les manifestants. Cette chaîne humaine n'a toutefois pas empêché les forces de l'ordre de lâcher du gaz lacrymogène.

Ces groupes de mères ne désarment pas plus que les autres activistes. Elles ont à nouveau défilé mardi soir dans les rues de Portland, en criant "pas de justice, pas de paix" et d'autres slogans contre le racisme et les violences policières, autour du palais de justice fédéral. Elles étaient cette fois vêtues de jaune et encore plus nombreuses, selon un journaliste du New York Times.

Malgré ce défilé calme, dans la nuit, la situation s'est à nouveau tendue. Les manifestations se sont terminées, une fois de plus, dans un nuage de gaz lacrymogène.

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