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Mariages mixtes aux Etats-Unis: la révolution «Loving»

«Loving» de Jeff Nichols a ressuscité un couple bien nommé lors de l'édition 2016 du Festival de Cannes. L'arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis dans l'affaire «Loving contre l'Etat de Virginie» marque à la fin des années 60 un tournant dans l'histoire des droits civiques. Car il légalise les relations sexuelles et les mariages entre Noirs et Blancs, interdits dans plusieurs Etats du sud.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Photo du film «Loving» de Jeff Nichols. (DR)

«Ce couple méritait un grand film parce que ce qu’ils ont réussi à faire est incroyable», a déclaré le 16 mai 2016 l’actrice Ruth Negga qui incarne Mildred Loving dans le film de Jeff Nichols, Loving, en lice pour la Palme d’Or de la 69e édition du Festival de Cannes. La fiction est consacrée aux époux Loving qui ont transformé la législation sur les mariages mixtes aux Etats-Unis. Des années plus tard, la Cour suprême des Etats-Unis s'appuiera même sur cette jurisprudence pour constitutionnaliser l'union entre personnes de même sexe.

Mildred Jeter et Richard Loving s'unissent en juin 1958 à Washington, et non pas dans l’Etat de Virginie d’où ils sont originaires parce que les mariages mixtes sont considérés comme illégaux en vertu des lois ségrégationnistes qui persistent encore dans le sud des Etats-Unis.

Sur dénonciation, ils sont arrêtés en pleine nuit le 12 juillet 1958 à Central Point, leur ville d’origine et celle où ils ont élu domicile. Il leur est reproché d’avoir violé la loi sur «l’intégrité des races» en Virginie. Le couple est condamné à un an de prison avec sursis, à condition de quitter le comté de Caroline et l’Etat de Virginie et de ne jamais y revenir ensemble pour une période de vingt-cinq ans. Ils s’installent donc à Washington pendant plusieurs années.

En 1963, Mildred Loving fait part de leur situation à Robert F.Kennedy, alors ministre de la Justice. Les Loving, qui ne sont pas des militants, sont dirigés vers une association de défense des droits civiques (American Civil Liberties Union). Elle portera l’affaire devant la Cour suprême des Etats-Unis «qui ne juge qu’une affaire sur 400», rappelle l’un des avocats du couple Loving dans la fiction de Jeff Nichols.

La plus haute juridiction américaine leur donnera raison le 12 juin 1967: «En vertu de notre Constitution, la liberté d’épouser ou de ne pas épouser une personne d’une autre race relève du choix individuel et ne peut donc être limitée par un Etat.»


Pionniers malgré eux
«Dans cette célèbre affaire, explique l’Américaniste François Durpaire, la Cour suprême statue au regard du fait que le mariage est un droit civique et qu’aucun citoyen ne peut en être privé pour des motifs raciaux en vertu du 14e amendement de la Constitution des Etats-Unis. Par ailleurs, elle considère comme racistes les lois des Etats du Sud qui criminalisent les relations sexuelles et les mariages mixtes aux Etats-Unis, justement par qu’elles n'étaient destinées qu'à préserver la suprématie blanche. La Cour suprême a ainsi relevé le fait que l'Etat de Virginie n'interdise que les unions mixtes impliquant des Blancs.Toutes les autres relations interraciales n'étant pas prohibées.»

«L’affaire Loving constitue en 1967 une révolution juridique, poursuit l’historien François Durpaire, car treize Etats interdisent encore les mariages mixtes. Ces lois, qui considèrent comme illicites les relations sexuelles et les unions entre Noirs et Blancs, sont d’ailleurs antérieures à la création des Etats-Unis. La première loi date de 1664 et elle est prise par le Maryland.» A l'époque, ce dispositif s'apparente à une spécificité américaine. Ainsi, «jusqu’à ce que la Louisiane soit vendue par la France aux Américains, les unions entre Noirs et Blancs étaient autorisées. Trois ans après la vente de la Louisiane, l’une des premières décisions des Américains sera de mettre en place des lois anti-métissage.» 

L’arrêt rendu à la fin des années 60 marque symboliquement un coup d’arrêt à cette «singularité américaine». Cependant «même si la loi a été changée à cette époque, il a fallu attendre l’an 2000 pour que certains Etats modifient leur législation», souligne le réalisateur Jeff Nichols. L’Alabama est le dernier Etat à abroger ses lois pénalisant les mariages mixtes.  


Pas tabou mais pas encore tout à fait admis
Les mariages interraciaux ne peuvent plus être considérés aujourd'hui comme un tabou social aux Etats-Unis. Grâce peut-être à des personnalités engagées dans des unions mixtes. Quelques années après les Loving, en 1960, l'artiste afro-américain Sammy Davis Jr. convole avec l’actrice suédoise May Britt alors que les unions entre Noirs et Blancs étaient encore illégales dans 31 Etats. De même, la compagne de l'acteur Robert de Niro, Grace Hightower, est Afro-Américaine. «Aujourd’hui, aux Etats-Unis, 15% des unions sont mixtes. C’est le double de ce qu’on a connu en 1980 et c’est 25 fois plus qu’en 1960», précise François Durpaire.

 
«En 1968, 72% des Américains désapprouvaient les mariages mixtes. En 1991, ce chiffre est passé à 42%, selon une étude Gallup (1991). Et 48% des Américains sont favorables aux mariages mixtes.» Ces unions continuent de ne pas être facilement admises. Le fils du sénateur républicain John McCain en a fait les frais en 2013 quand il a épousé une Afro-Américaine. Des commentaires racistes sur les réseaux sociaux ont très vite succédé à des messages haineux et racistes.

«En dépit d’une plus grande acceptation des mariages mixtes aux Etats-Unis, Bill de Blasio (élu maire de New York en 2013) est le premier responsable politique américain élu, de premier plan, dont l’épouse est Afro-Américaine», constate le site de la chaîne publique américaine PBS dans un dossier consacré aux unions interraciales. Il n’est cependant pas le premier politicien américain à avoir une épouse noire.

«J’ai été parfois surpris par les réactions aux Etats-Unis, où dans certains Etats les gens ont peur du changement. Ces derniers pensent que ces peurs doivent être protégées par des lois», confiait le réalisateur Jeff Nichols lors de la conférence de presse de son film le lundi 16 mai 2016. «Il faut un certain temps à la société pour revoir ses positions.» C'est pourquoi, poursuit-il, «il faut toujours parler de ces questions pour que les choses évoluent». Les vertus pédagogiques de Loving sont indéniables. 

> «Loving» de Jeff Nichols avec Joel Edgerton et  Ruth Negga
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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