Etats-Unis: quand le FBI manipule des musulmans à des fins terroristes
Réalisée entre avril 2012 et février 2013, l’enquête de l’ONG a examiné les cas de 27 personnes poursuivies par la justice américaine. A travers les parcours de ces «cibles» approchées par des agents du gouvernement ou du FBI puis incitées à commettre des attentats au nom de l’islam, il transparaît une profonde stigmatisation de la religion musulmane ainsi que le désir d’accumuler les arrestations, soi-disant preuves de réussite en matière de sûreté nationale.
Dans une vidéo réalisée par Human Rights Watch au sujet de l’enquête, Andrea Prasow, directrice de l’ONG, précise que «près de 500 personnes ont été reconnues coupables de terrorisme ou de crimes liés au terrorisme entre 2002 et 2011». «Le chiffre semble énorme et donne l’impression aux Américains qu’ils sont en sécurité», ajoute-t-elle.
A travers différents critères d’identification des «cibles» du gouvernement et du FBI, l’ONG a défini des profils types et identifié les lois enfreintes ainsi que les droits de ces personnes qui ont été bafoués.
«Terrorisme local» et radicalisation
C’est sur ces deux concepts que se baserait la théorie de l’administration Bush en matière de menace terroriste au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. La population américaine est traumatisée, il faut donc agir vite, quitte à inventer des coupables.
Le rapport de Human Rights Watch précise que «dans la plupart des cas étudiés (…), les accusés n’étaient pas engagés dans le financement du terrorisme lorsqu’on a commencé à mener une investigation à leur sujet». Mais suite aux attentats du World Trade center, l’administration Bush développe une «politique préventive».
Dès lors, le FBI favorise trois activités majeures sur le sol américain: une surveillance accrue des communications, une collecte exhaustive d’informations et une investigation «intrusive». Des communautés entières sont sous surveillance du FBI en raison de leur appartenance religieuse ou ethnique.
Agents en civil et informateurs rémunérés
Comment pousser au crime des jeunes gens qui, a priori, n’avaient pas de raison de passer à l’acte ? Le FBI aurait utilisé environ 15.000 informateurs, dont certains se faisant passer pour de jeunes convertis. Ils avaient pour mission de faire naître l’idée chez leurs cibles de pratiquer leur religion à travers un djihad violent.
Des informateurs au passé plutôt obscur. L’étude rapporte qu’un certain nombre d’entre eux seraient d’anciens criminels. L’un d’eux a, par exemple, admis lors de son procès qu’au moment où il avait été recruté par le FBI, il avait une cinquantaine de délits à son actif.
Vulnérabilité physique ou financière
Le profil des cibles choisies par le FBI est variable, mais toutes ont en commun, en plus de la religion musulmane, une certaine vulnérabilité: troubles mentaux, manque d’argent ou simple recherche d’une voie religieuse à laquelle s’identifier. Les cas de manipulation sont nombreux et débouchent la plupart du temps sur un passage à l’acte monté de toute pièce.
L’enquête rapporte par exemple l’histoire de Shawahar Matin Siraj. Contacté par un informateur alors qu’il travaillait dans la librairie de son oncle, il a raconté ce que la personne lui avait dit. A savoir: que «les attentats suicides étaient interdits par l’islam, mais pas de tuer des tueurs».
Or, une expertise psychologique a reconnu que le jeune homme avait «un sens critique et des capacités analytiques limités ainsi qu’un jugement inférieur à la moyenne». L’informateur du FBI avait été chargé de le convaincre d’attaquer la station de métro de la 34e rue, à Herald square, en plein centre de New-York.
Arrêté en août 2004 pour quatre chefs d’accusation, le jeune homme ne s’était pourtant jamais montré totalement d’accord pour participer à l’opération, soutenant qu’il devait «demander à sa mère avant».
James Cromilie, lui, avait du mal à joindre les deux bouts quand il a été approché par un informateur du FBI. Ce dernier lui conseille rapidement de passer au djihad violent et va jusqu’à lui proposer 250.000 dollars pour le convaincre de prendre part à une opération terroriste.
James hésite longuement puis, finalement, coupe tout contact avec l’informateur jusqu’à ce qu’il perde son emploi. Pris à la gorge, il revient vers lui mais se montre toujours circonspect. Pour lui, «(sa) mission n’était peut-être pas celle-ci» et surtout, il «ne veut faire de mal à personne».
Recherche identitaire
Les personnes en recherche d’autorité religieuse étaient également de bonnes cibles pour les agentes du FBI. A ce sujet, l’enquête de Human Rights Watch rapporte le cas de Barry Bujol, un jeune musulman entré en contact avec Anwar al-Awlaki, membre d’al-Qaida tué par un drone américain en septembre 2011.
Alors que l’imam lui a déjà envoyé son livre, Barry ne se montre pas convaincu et se dit toujours «à la recherche d’une nouvelle orientation». En novembre 2009, le jeune homme est arrêté et incarcéré pour contraventions impayées. LE FBI réussit alors à placer dans la cellule voisine de la sienne un informateur musulman d’origine arabe et se revendiquant «membre d’al-Qaïda dans la péninsule arabique».
«L’effet (des propos de cette personne) sur Barry a été profond. Quelqu’un apportait enfin une réponse à ses questions», a déclaré son avocat à Human Rights Watch.
Double peine
Manipulés par des informateurs dont la mission était de les transformer en terroristes, les cibles du FBI ont ensuite subi des procès loin d'être impartiaux. Selon Human Rights Watch, leur religion et leur appartenance ethnique ont été, dans la plupart des cas, un facteur de condamnation.
Par ailleurs, les juges n’ont pas pris en compte la «réticence des cibles à s’engager dans la voie du terrorisme». L’enquête sur les cibles du FBI souligne encore que ces personnes n’ont pas eu le temps ni les moyens nécessaires pour préparer leur défense, qu’un nombre suffisant de preuves n’a pas été apporté et enfin, que les jurés, particulièrement «effrayés et anxieux» dans ce genre d’affaire, n’ont pas fait preuve de clémence.
Dans un certain nombre de condamnations de personnes mises en cause pour acte de terrorisme, c’est une simple erreur de traduction ou d’interprétation qui a décidé de leur sort. Alors que la langue arabe comporte de nombreux mots dont le sens est multiple et prêtant à interprétation, c’est toujours la version la plus violente et agressive qui a été retenue.
Les conséquences de telles pratiques gouvernementales ont été de faire augmenter l’islamophobie aux Etats-Unis. Selon le FBI, les cas d’islamophobie auraient progressé aux Etats-Unis de 50% entre 2009 et 2010, en raison notamment de la crise financière de 2008.
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