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Etats-Unis: «L’immigration, un bienfait plutôt qu’un fardeau» pour Sylvain Cypel

Il y a 130 ans, le 28 octobre 1886, était dévoilée en rade de New York la statue de la liberté d’Auguste Bartholdi, offerte par la France en signe d’amitié. Liberty, qui continue de guider de son flambeau des millions d’immigrants vers l’Amérique, est aussi le magnifique titre d'un essai éclairant de Sylvain Cypel sur la politique migratoire des Etats-Unis en regard croisé avec celle de la France.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une vedette de garde-côte patrouillant autour de la Statue de la Liberté, dite également «La Liberté éclairant le monde», le 18 octobre 2016, un jour d'été indien à New York. (SPENCER PLATT/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP)

«Dans le réfugié syrien d’aujourd’hui, nous devrions voir le réfugié juif de la Seconde guerre mondiale.» Ces mots, lourds de signification, de Barack Obama sont rapportés dès les premières pages de son livre par l’auteur de Liberty.
 
Le président américain les avait prononcés, écrit-il, pour contrecarrer la vague de xénophobie que les républicains attisaient, lors des primaires, pour justifier le refus d’accorder l’asile à ceux qui fuyaient leur pays.

Un antagonisme qui n'a pas réussi à entamer l'ADN de la nation 
Tissant habilement Histoire, statistiques, enquêtes et entretiens, poésie et références cinématographiques, Sylvain Cypel s’emploie à brosser le portrait d’une Amérique oscillant sans cesse entre l’activisme des nativistes, partisans de la chasse aux immigrés, et réalistes ayant compris que l’immigration était consubstantielle du pays.
 
Un antagonisme qui n’a jusque là pas réussi à entamer ce qui fait l’ADN de la nation. En dépit de lois essayant au fil de l’Histoire de limiter ou de filtrer les arrivés de migrants, allemands ou italiens, juifs, asiatiques, latinos ou moyen-orientaux, le flux demeure constant.
 
Les Etats-Unis en ont accueilli 59 millions en 50 ans, et 1,2 millions d'immigrés y sont régularisés chaque année, contre 40.000 en France, précise l’auteur.
 
«La première raison qui m’a décidé à écrire ce livre, explique Sylvain Cypel, c’est la situation des immigrés aux Etats-Unis quand j’y suis allé en 2007. Je me suis rendu compte que sur le plan du racisme, la question noire écrasait toutes les autres. Mais aussi, que la question sociétale la plus prégnante était celle de l’immigration. Celle qui divisait l’Amérique très profondément.»

Aux Etats-Unis, les idées de Finkelkraut et Zemmour sont celles des «loosers» 
«Quant à la seconde, dit-il, c’est mon retour en France, qui a été assez éprouvant sur la question. Tous les discours empathiques qu’on entend aux Etats-Unis et tous les discours anti-immigrés de Trump et d’autres ont leur équivalent en France. En particulier ceux de Finkelkraut ou de Zemmour, qui occupent, eux, le premier plan. Ces gens existent aux Etats-Unis mais ils enragent du fait qu’ils sont de plus en plus minoritaires, incapables d’enrayer un processus par lequel le pays s’ouvre de plus en plus aux immigrants.»
 

Selon l’auteur, «en France lorsqu’on soutient Le Pen, Sarkozy ou Copé, on peut penser qu’avec le temps leurs idées sur l’immigration vont s’imposer. Tandis qu’aux USA les porteurs de ces idées sont considérés comme des loosers (perdants).»
 
Sylvain Cypel, ancien directeur de la rédaction de «Courrier international» et correspondant du «Monde» aux Etats-Unis de 2007 à 2013. Auteur des «Emmûrés. La société israélienne dans l'impasse» (La découverte, 2006) et d'«Un nouveau rêve américain» (Autrement, 2015). (Akos Szilvasi)

Cypel illustre son propos par l’exemple de deux shérifs de l’Arizona qu’il a rencontrés. L’un, Joseph Arpaio dit «Joe», partisan de la loi SB-1070 criminalisant les clandestins et légalisant pratiquement les contrôles au faciès. L’autre, Clarence Dupnik, opposé à cette loi «qui est le visage le plus dégueulasse de l’Amérique. Une loi qui flatte la xénophobie des gens sans rien résoudre.»
 
L’Etat de l’Arizona est avec le Texas et la Californie l’un des trois où le taux des immigrés latinos est le plus important du pays ainsi que celui des sans-papiers. Un Etat qui illustre l’impossible renvoi des sans papiers dans leur pays d’origine et l’impossibilité de mettre radicalement fin à leur venue.
 
Dans un chapitre intitulé Plus un pays a d’immigrés, plus il exporte son influence dans le monde, l’auteur s’attarde sur la Californie, berceau de la Silicon Valley. Avec plus de 10 millions d’immigrants (27% de sa population), elle est l’Etat le plus le démographiquement «mondialisé» des Etats-Unis, un véritable laboratoire de l’avenir américain.

L'Amérique montre la voie en termes de politique migratoire 
 Avec Liberty, Sylvain Cypel atteint le cœur de cible du XXIe siècle, la problématique des migrants des zones défavorisées de la planète en constante augmentation vers les eldorados nord-américains et européens.
 
Derrière son travail, il reconnaît qu’«il y a une ambition politique. Faire réfléchir les gens et leur montrer qu’on peut percevoir l’immigration comme un bienfait et non un fardeau. Je suis convaincu que l’Amérique montre la voie en la matière et qu’il arrivera aux Européens le même processus que connaissent les Américains. Autant décider d’avoir une politique migratoire consciente, ouverte, plutôt que de se barricader dans l’illusion qu’on pourra empêcher ce processus et plonger dans la sinistrose qu’on connaît.»
 
Pour lui, avec un accueil de réfugiés au compte-gouttes et à l’heure du démantètelement de la jungle de Calais, «il manque en France des politiciens qui aient le courage d’avoir raison trop tôt. Il faudrait qu’ils tiennent un discours positif, même s’il est inaudible pour le moment, mais qui devra s’imposer à l’avenir, si on veut éviter les pires affres politiques et sécuritaires.»
 
Lucide, Sylvain Cypel ajoute: «Je suis convaincu d’avoir raison à terme, mais je crains qu’il n’y ait beaucoup de drames en attendant.»

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