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Dans les arcanes géopolitiques de «Game of Thrones» avec Dominique Moïsi
Les fans de la série américaine «Game of Thrones» attendent de découvrir avec impatience la dernière saison le 24 avril 2016. Pour le politologue français Dominique Moïsi, les enjeux géopolitiques de l'œuvre méritent qu'on s'y attarde. Et c'est ce qu'il fait dans son dernier livre «La Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur», publié aux Editions Stock.
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«Les deux extrémismes que sont l’organisation de l’Etat islamique et le régime de Téhéran se livrent à un jeu de trône mortel», dixit le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, le 3 mars 2015 devant le Congrès américain.
Pour le politologue Dominique Moïsi, qui cite le responsable politique dans son dernier ouvrage, La Géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, ce n’est rien d’autre qu’une référence «explicite» à la série américaine Game of Thrones (GOT), dont la sixième saison démarre le 24 avril 2016 aux Etats-Unis sur la chaîne HBO.
«Game of Thrones» pose des «questions essentielles de géopolitique»
Adaptée de l’œuvre de George R.R.Martin La Guerre des Deux-Roses, récit fantastique se déroulant au Moyen-Âge, la série Game of Thrones pourrait se résumer en une guerre de pouvoir entre différents clans pour s’arroger le Trône de fer, siège (au sens propre comme au figuré) du pouvoir au royaume des Sept Couronnes.
Ainsi, de par sa trame, ses enjeux et ses sources d'inspiration, le propos de cette production américaine est à plus d’un titre géopolitique. «Les questions que pose avec habileté, sinon parfois une intuition créatrice, Game of Thrones, sont bien des questions essentielles de géopolitique.» Mieux: la série «offre une vision syncrétique de la politique internationale». Une analyse qu’il n’est pas le seul à faire, souligne Dominique Moïsi.
«La série Game of Thrones est de loin celle qui a attiré le plus de commentaires géopolitiques et politiques. A l’été 2015, Bill Clinton et George W.Bush (anciens présidents américains) se partageaient la couverture de Time Magazine sous le titre de Game of Thrones, comme pour souligner le fait que leurs épouse (la démocrate Hillary Clinton) et frère (le républicain Jeb Bush qui a jeté l'éponge depuis) respectifs allaient se livrer (s’ils étaient les deux candidats retenus par leurs partis) dans la conquête de la Maison Blanche, à un combat sans merci.»
Et avant Time Magazine, «la généralement sérieuse revue de politique étrangère américaine Foreign Policy s’était amusée à transposer le monde fantastique de la série dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui».
Réfugiés: Angela Merkel et Jon Snow, même combat?
De façon concrète, Game of Thrones renvoie à des thématiques qui interpellent. Comme la question liée à l’afflux des réfugiés en Europe.
«Les réfugiés sont-ils une menace ou un espoir? Ainsi dans la saison 5, l’un des rares héros positifs de la série, Jon Snow prend-il des risques – qui vont se révéler inconsidérés – pour faire ce qu’il considère comme un devoir moral: sauver des réfugiés (…). Angela Merkel, lorsqu’elle ouvre les portes de l’Allemagne aux réfugiés, obéissant à son seul instinct moral, n’est-elle pas une Jon Snow contemporaine?»
Par ailleurs, l'auteur de La Géopolitique des séries constate que «ce que "montre" la série, Daech le fait pour de bon, "en vrai"».
Si Game of Thrones, «qui traduit le triomphe de la peur» pour Dominique Moïsi, fait écho au monde contemporain, il s'appuie aussi sur l'histoire de la diplomatie.
Les auteurs de la série se seraient ainsi inspirés «des renversements d'alliance, chers à la diplomatie européenne du 19e siècle». Comme celle qui interviendra en 1756 entre la France et l'Autriche: les ennemies d'hier deviendront des alliées contre la Prusse.
Ces séries qui renforcent le soft power des Etats-Unis
«Les séries télévisées sont devenues aujourd’hui des outils incontournables de compréhension des émotions du monde, de la politique intérieure à la géopolitique, de la transformation des mœurs aux progrès de la science, sans parler du sport», estime le politologue français dans son ouvrage. Dans un passé récent, cela valait déjà pour la série policière allemande Inspecteur Derrick.
Car «les images d'un film ou d'une série peuvent préparer, bien plus qu'un livre ou un article, les esprits à la compréhension du monde». La preuve, en donnant à voir au travers des enquêtes policières «le style de vie qui pouvait exister à l’Ouest», avance Dominique Moïsi, «l’inspecteur Derrick n’a pas renversé le mur de Berlin, mais il a préparé sa chute, peut-être même y a contribué, en érodant les fondements du discours de la RDA (la République démocratique allemande, alors communiste).»
Dans le cas des séries américaines, qui tiennent le haut du pavé en matière de divertissement planétaire, elles sont une fenêtre sur l'évolution idéologique des Etats-Unis. Game of Thrones – à l’instar de Homeland (Showtime) ou encore de House of Cards (Netflix) – les productions qui ont retenu l'attention de Dominique Moïsi pour étayer sa thèse révèlent ses interrogations et ses contradictions politiques.
«La montée en puissance et en qualité des séries survient au moment précis où le 11-Septembre transforme le rapport de l’Amérique au monde, sinon à elle-même.» Ce drame «apparaît avec le recul du temps comme un tournant majeur mais contradictoire. Jamais l’Amérique n’est certes apparue plus vulnérable, mais jamais non plus son soft power (Influence par la culture,NDLR) n’a semblé plus grand (…). Les séries sont l’illustration la plus parfaite de cette dichotomie qui s’installe aux Etats-Unis entre hard et soft power.»
Résultat: «Au-delà de l’intrigue de ces séries, ce qui retient l’attention du public mondialisé, qui regarde fasciné l’étalage de toutes ces turpitudes, c’est la capacité de la première puissance mondiale à parler d’elle-même sans le moindre tabou (…). L’Amérique, elle, à travers ses séries, expose ses faiblesses au monde alors que la Russie et la Chine les cachent à leurs citoyens. La nation démocratique renforce ainsi son soft power au moment où les régimes autoritaires peinent à définir le leur».
Un «fan en chef»
Game of Thrones est sans conteste un succès international, «de très loin la série occidentale la plus regardée en Chine, par exemple». A quelques heures de la diffusion des nouvelles intrigues qui secouent le royaume des Sept Couronnes, les fans de la série auraient rêvé d'être à la place... d'un président américain. Ce dernier a demandé et a obtenu de voir la saison 6 de la série. Un privlège qualifié de «régalien» par Dominique Moïsi.
Et dans les mots des créateurs de Games of Thrones, David Benioff et D.B.Weiss, quand ils expliquent pourquoi ils ont accédé à la requête du fan Barack Obama, on retrouve des expressions comme «commandant en chef» et «leader du monde libre». Quand «l'hiver approche», il est toujours un peu question de pouvoir.
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