D'artiste raté à référence pop, comment le tueur Charles Manson a fasciné la culture américaine
Le criminel le plus célèbre des Etats-Unis est mort alors qu'il purgeait une peine de réclusion à perpétuité dans la prison d'Etat de Corcoran pour avoir commandité l'assassinat de neuf personnes. Il était devenu, de son vivant, une icône morbide.
Charles Manson rêvait de devenir "plus célèbre que les Beatles". Au lieu de cela, son nom "est devenu le synonyme du mal", selon les termes du procureur Vincent Bugliosi. Ancien gourou d'une secte emprisonné pour une série de meurtres commis durant l'été 1969 en Californie, dont celui de l'actrice Sharon Tate, épouse de Roman Polanski, Charles Manson est mort à l'âge de 83 ans, dimanche 19 novembre. Mais son nom et son histoire ont toujours de beaux jours devant eux.
Inspiration pour de nombreux artistes soucieux tantôt de choquer à peu de frais, tantôt de dénoncer les dérives d'une société américaine obsédée par la célébrité, le gourou est aussi devenu une icône pop pas tout à fait comme les autres. Voici l'histoire de l'autre facette du criminel qui horrifia l'Amérique.
Un auteur-compositeur raté aux côtés de Neil Young et des Beach Boys
Quand Charles Manson s'installe à Los Angeles, à l'automne 1967, il a 32 ans – dont de nombreuses années passées en prison pour des faits de délinquance – , il a été marié deux fois et est le père de plusieurs enfants qu'il a abandonnés. Il est voleur de voiture, proxénète, mais aussi musicien amateur. Dans la cité des anges, il passe des auditions dans des studios d'enregistrement, mais est systématiquement recalé. Quand deux des jeunes femmes qui l'accompagnent dans son errance sont prises en stop par Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys, il pense que sa chance va tourner. Charles Manson tente alors de décrocher un contrat sur le label du célèbre groupe mais il ne réussit pas à convaincre son leader, Brian Wilson.
Son style parvient tout de même à séduire Neil Young, qui le considère comme un authentique "songwriter". Finalement, une chanson écrite par Manson et légèrement revisitée par Dennis Wilson, devenu son ami, est enregistrée par les Beach Boys : il s'agit du titre Cease To Exist (dont voici l'original), retitrée Never Learn Not To Love, rappelle Rolling Stones. Quand Manson découvre, à la sortie du disque, que son ami ne l'a pas cité comme compositeur et a changé ses paroles, il lui fait parvenir une balle de revolver.
Pendant plusieurs mois, Charles Manson tente alors de convaincre le producteur Terry Melcher, l'homme derrière plusieurs grands succès de l'époque, de lui laisser sa chance. Mais, comme le raconte ABC, ce dernier lui confie que si ses chansons sont bonnes, il n'imagine pas faire du futur criminel une star. Charles Manson ne supporte pas ce rejet et voudra plus tard s'en prendre au producteur à son domicile. Mais celui-ci a depuis déménagé, remplacé dans la villa par une certaine... Sharon Tate.
Malgré cet échec, la musique inspire les pulsions meurtrières du gourou : dans ses meurtres, Charles Manson place notamment des références à l'album blanc des Beatles : il se réapproprie le titre Helter Skelter, et donne ce nom à la guerre qu'il envisage entre les Noirs et les Blancs. Les titres Piggies et I Will ont également une grande influence sur lui. Sur les lieux de ses crimes, les mots "pigs", "Death to pigs" and "healter skelter" (sic), sont écrits avec le sang des victimes.
Une influence pour une génération d'artistes rebelles
Après les meurtres et son arrestation, Charles Manson fascine l'Amérique, y compris les musiciens. Certains s'inspirent de sa personne, comme Brian Warner, qui choisit de se rebaptiser Marylin Manson, en hommage à deux icônes américaines – l'une glamour, l'autre morbide. D'autres s'inspirent de sa musique. Plusieurs groupes de la génération suivante, dans des genres particulièrement critiques de la société américaine, font référence à son activité de musicien dès le début des années 1980. A l'époque, Henry Rollins, leader du groupe de punk hardcore Black Flag, reçoit des lettres du tueur et entretient une correspondance avec lui. "Je t'ai vu à la télé et je t'ai trouvé cool", aurait dit Charles Manson à Henry Rollins dans un premier courrier, rapporte le Guardian. En 2010, l'icône punk est même sollicitée par Charles Manson pour produire son album de morceaux acoustiques, enregistré depuis sa prison.
Le groupe Cabaret Voltaire, figure de la cold wave britannique, est le premier à sampler la voix du tueur en 1985, rappelle Rolling Stone. En 1988, le groupe indie rock américain The Lemonheads reprend une de ces compositions (mais reverse les royalties au fils d'une victime). En 1989, la voix de Manson est à nouveau utilisée, cette fois par le groupe de rock industriel Skinny Puppy. Trois ans plus tard, Trent Reznor, leader de Nine Inch Nails, installé dans la maison jadis occupée par Sharon Tate, choisit d'incorporer des images de la villa dans un des clips du groupe. En 1992, c'est au tour des Guns N' Roses de reprendre un titre de Charles Manson.
Evidemment, Marilyn Manson fait à son tour un clin d'œil à Charles Manson, en 1994. Il incorpore un extrait d'un titre du tueur dans sa chanson Monkey, mixée chez Trent Reznor, rappelle Rolling Stone.
En 2006, un film d'animation réalisé par John Roecker, Live Freaky, Die Freaky, illustre encore le lien persistant entre l'histoire de Manson et une génération de rockers. Le film raconte l'histoire d'un homme qui découvre un livre consacré à Charles Manson en 3069. Il est en partie interprété par Billie Joe Armstrong, chanteur de Green Day, qui reprend ici un titre de Manson lui-même, Mechanical Man.
Le hip-hop s'est lui aussi parfois inspiré du personnage : Ice Cube et Dr Dre citent Charles Manson dans leur chanson Natural Born Killaz. Avec leur groupe NWA, ils évoquent encore le tueur dans le morceau Straight Outta Compton. Au début des années 2000, un rappeur américain nommé Necro consacre même un album entier au gourou, The Pre-Fix for Death. En 2011, Death Grips sample également une interview du tueur en intro de son titre Beware.
Une inspiration pour des scénarios de fiction
"Ce qu'il faut retenir avant tout, c'est que l'histoire de Charles Manson est une histoire d'Hollywood", commençait le podcast, "You Must Remember This" en 2015. Parce qu'il a assassiné l'actrice Sharon Tate, épouse de Roman Polanski, au beau milieu de la capitale du show-business, parce qu'il s'est retourné contre cette industrie du rêve après en avoir été rejeté, Charles Manson et l'histoire de la Manson Family est intrinsèquement liée à Hollywood.
Sans surprise, la folie meurtrière a inspiré nombre de scénaristes. Les massacres perpétrés ont donné lieu à de nombreux films d'horreur, réservés aux fans du genre : du très particulier The Cult (de Kentucky Jones, 1971), à The Manson Family (de Jim Van Bebber 2003), en passant par Manson Family Movies (1984) et House of Manson (2014) rapporte le site Crimefeed.com. Beaucoup de nanars et de séries Z.
En juillet, le Hollywood Reporter a cependant révélé que Quentin Tarantino apportait la touche finale à un scénario de film relatant la vie de Charles Manson. Cette fois, le projet se veut plus ambitieux, notamment financièrement. La preuve : Brad Pitt et Jennifer Lawrence ont été approchés pour y figurer, rapporte Première.
Quid du petit écran ? A la télévision, cette histoire a fait l'objet de nombreux documentaires, mais aussi de docu-fictions. Dès 1976, la chaîne CBS produit le téléfilm Helter Skelter, tiré du livre écrit par le procureur Vincent Bugliosi. Très populaire aux Etats-Unis, il fait l'objet d'un remake en 2004. En 2016, la chaîne Lifetime, spécialisée dans les téléfilms tirés de faits réels, a également diffusé Manson's lost girls, une production revenant sur les crimes de la Manson Family.
Plus étonnant, l'histoire du gourou a inspiré un opéra, en 1990 et une comédie musicale, jouée en Allemagne, en 2014, souligne le New York Times.
Un personnage de la culture pop
Connu de tous aux Etats-Unis, Charles Manson est rapidement devenu une référence culturelle à l'écran. Au milieu des années 1990, dans le Ben Stiller Show, le comédien Bob Odenkirk se glisse dans sa peau, en l'imaginant répondre à des courriers depuis sa cellule. Dans l'extrait ci-dessous, une mère de famille lui demande comment ravoir une tache de sauce tomate sur un tapis. "Ils ont dit que j'étais la tâche, ils ont voulu m'effacer mais tout ce qu'ils ont fait, c'est me répandre", répond le comédien, mimant la folie. Et il a raison : Manson est désormais partout.
Des centaines d'œuvres télévisuelles et cinématographiques, parfois sans aucun lien avec l'histoire de la Manson Family, y font aujourd'hui référence. En 1998, dans South Park, les enfants rencontrent Charles Manson pendant des vacances de Noël dans le Nebraska. La série Aquarius, diffusée sur NBC en 2015, imagine David Duchovny en policier infliltrant la secte du gourou avant les meurtres de l'été 1969. Dans la série Scream Queens, un personnage est présenté comme la fille de Manson. Enfin, dans American Horror Story, Evan Peters incarne plusieurs leaders de sectes, dont Charles Manson. Le dernier épisode de la saison a été diffusé le 15 novembre aux Etats-Unis, quatre jours avant la mort du criminel le plus célèbre du pays.
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