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Avril 1917: quand le jazz débarquait en France avec les troupes américaines

Avant la Première guerre mondiale, la France connaissait déjà le ragtime. Mais c’est après avril 1917, et l’entrée des Etats-Unis dans la Grande guerre, qu’elle va vraiment faire connaissance avec cette musique. Pour soutenir le moral des troupes, l’orchestre du 369e régiment d’infanterie de l’armée des Etats-Unis, dirigé par James Reese Europe, va donner des concerts dans tout l’Hexagone… Récit.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'affiche du film «Le Chanteur de jazz» (de Alan Crosland), sorti en 1927. Photo prise le jour de la première à New York le 6 octobre 1927. (AFP - Wolf Tracer Archive)

En 1900, la France avait déjà découvert le ragtime lors de l’Exposition universelle dans l’Hexagone. A cette occasion, l’orchestre de la Marine américaine, le US Marine Band, dirigé par John Philip Sousa, avait donné une série de concerts. Les auditeurs français s’étaient alors «entichés» d’une forme de musique vibrante et joyeuse. Par la suite, l’orchestre avait fait une tournée ailleurs en Europe.
 
Mais le jazz a vraiment conquis le Vieux continent avec la Première guerre mondiale. En avril 1917, les Etats-Unis décident de participer au conflit aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne. Les premiers contingents américains arrivent d’Outre-Atlantique à la fin de l’année.
 
Les soldats noirs constituent plus de 10% des quelque 4 millions de volontaires qui composent ces unités. Alors même qu’ils subissent dans l’armée de leur pays la même ségrégation qui traverse la société civile américaine. Leur patriotisme en est d’autant plus remarquable : les penseurs afro-américains voyaient «dans le conflit une occasion de changer les rapports entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis», explique Libération dans un excellent article sur «Les tranchées, berceau musical». Parmi ces volontaires, on trouve le musicien James Reese Europe, alors «star de l’intelligentsia noire de New York» et «propriétaire de deux clubs de jazz très courus». Celui-ci va rejoindre le 15e régiment d’infanterie, composé de Noirs, de la US Army.
 
«La musique du monde entier»
Le commandant de l’unité «a compris l’importance de la musique (…) pour le moral des troupes», rapporte l’universitaire Glenn Watkins cité par le site Doughboy Center, Il demande à James Reese Europe et à un autre musicien, Noble Sissle, de monter «le meilleur orchestre de l’armée américaine». Europe ira «jusqu’à Porto Rico pour constituer un all-stars band», raconte l’article de Libération.
 
Musiciens jouant dans un champ en 1916 dans la Somme (par Jean-Louis Lefort (1875-1954) (AFP -The Picture Desk - The Art Archive)

Le 15e régiment arrive dans l’Hexagone le 1er janvier 1918. A cette occasion, son orchestre va jouer une Marseillaise au «rythme effréné». Une Marseillaise dans laquelle «les soldats français auront du mal à reconnaître leur propre hymne national», observe Glenn Watkins…
 
La formation est ensuite envoyée pour jouer dans toute la France, où elle fait connaître ce qu’on appelle le «jass». «Tout un art savant est en train de sortir de ces chansons (de) nègres», constate alors l’Ouest-Eclair, futur Ouest France (cité par Libé).
 
Le jazz déconcerte et enthousiasme tout à la fois. Assistant (en 1919) à un concert au Casino de Paris, l’artiste-écrivain Jean Cocteau décrit un «ouragan de rythmes et de tambour» dans une salle applaudissant debout, «déracinée de sa mollesse par cet extraordinaire numéro qui est à la folie d’Offenbach ce que le tank peut être à une calèche de 70».
 
De son côté, le 15e régiment, devenu le 369e, finira par rejoindre l’armée française. Et ce parce que les autorités américaines refusent la cohabitation Noirs-Blancs.
 
Un jour, dans un village du Nord, la formation surnommée les Hell Fighters se met à jouer le refrain favori du colonel, Army Blues. Dans la foule «se trouvait une petite vieille d’environ soixante ans qui, à la surprise générale, se mit à esquisser sur notre musique un pas qui ressemblait tout à fait à notre danse Walking the Dog. J’eus alors la certitude que la musique américaine deviendrait un jour la musique du monde entier», rapporte Noble Sissle (cité par un cartel de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne dans la Somme). Belle prédiction.

Musiciens de jazz dans les années 40. Les personnes figurant sur la photo et le lieu où celle-ci a été prise ne sont pas connus. Une photo qui n'en exprime pas moins fort bien la magie du jazz... (AFP)


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