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Attentats de Boston : le FBI s'est-il "raté" sur les frères Tsarnaev ?

Tamerlan Tsarnaev, l'aîné des terroristes présumés du marathon de Boston, a été signalé au FBI en 2011. Selon un élu américain, il aurait ensuite échappé aux radars de la police fédérale à cause... d'une faute d'orthographe.

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Djokhar Tsarnaev (casquette blanche) et Tamerlan Tsarnaev (casquette noire) sur un cliché pris environ 15 minutes avant les explosions des attentats de Boston (Etats-Unis), le 15 avril 2013. (BOB LEONARD / AP / SIPA)

"Nous sommes en guerre contre les islamistes radicaux : il va falloir passer à la vitesse supérieure." A l'instar de celle formulée par le sénateur républicain Lindsey Graham, les critiques se sont multipliées à l'égard du Federal Bureau of investigation (FBI) américain depuis la révélation de l'identité des auteurs présumés des attentats de Boston.

De l'aveu même du FBI, l'aîné des deux frères Tsarnaev, Tamerlan, 26 ans, a fait l'objet d'une investigation de ses services en 2011. Lindsey Graham affirme que le jeune homme a ensuite échappé aux radars du FBI à cause d'une faute d'orthographe... Une enquête parlementaire a été ouverte lundi 22 avril au Sénat pour identifier une éventuelle défaillance de la toute puissante police fédérale.

Le FBI a-t-il commis dans cette affaire une négligence coupable ? Pas si simple. 

Une radicalisation signalée au FBI dès 2011

Dans le fil des évènements qui ont pu conduire les deux terroristes présumés à passer à l'acte, une période focalise l'attention de la presse et des enquêteurs : celle entourant un séjour de six mois de Tamerlan Tsarnaev au Daguestan, une république russe du Caucase, frontalière de la Tchétchénie, de janvier à juillet 2012.  

L'aîné des Tsarnaev est soupçonné d'être le principal instigateur des attentats. Pendant son séjour en Russie, il "s'est trouvé au moins quatre fois dans la ligne de mire des forces de l'ordre" alors qu'il était en compagnie d'un autre jeune homme surveillé pour ses liens supposés avec le milieu islamiste clandestin, selon un enquêteur cité par l'AFP.

Quelques mois avant ce voyage, vraisemblablement en le préparant, le jeune homme attire l'attention des autorités russes. Début 2011, celles-ci expliquent au FBI avoir eu connaissance "d'informations selon lesquelles il est un adepte de l'islam radical, fervent croyant, et qu'il a radicalement changé depuis 2010" et demandent au Etats-Unis d'enquêter.

Un raté qui a des précédents

Tamerlan est à l'époque résident légal des Etats-Unis depuis quatre ans, il est marié et père d'une petite fille. Le FBI enquête sur son activité en ligne, son entourage, interroge Tamerlan Tsarnaev et des membres de sa famille. Mais ne trouve aucune trace "d'activité terroriste, sur le territoire américain et à l'étranger".

Tamerlan Tsarnaev reçoit un trophée dans un championnat de boxe amateur, le 17 février 2010 à Lowell, dans le Massachusetts (Etats-Unis). (JULIA MALAKIE / AP / SIPA)

Ce signalement entrave sa demande de naturalisation, mais le jeune homme ne sera plus inquiété. C'est pourtant lui qui, moins de deux ans plus tard, sera filmé par des caméras de surveillance en train de déposer ce que le FBI pense être un engin explosif conçu pour tuer et atrocement mutiler ses victimes.

L'échec est d'autant plus difficile à digérer que ce n'est pas le premier de ce type pour le FBI. Le républicain Michael McCaul, président de la commission de la Sécurité intérieure à la Chambre des représentants, souligne ainsi, dans une lettre adressée au FBI, que Tamerlan Tsarnaev "semble être la cinquième personne depuis [les attentats du] 11 septembre 2001 à prendre part à des attentats terroristes bien que faisant l'objet d'une enquête du FBI".

Parmi les exemples les plus notables figurent David Headley, un Américain d'origine pakistanaise impliqué dans les attentats de Bombay, en 2008, ou encore Nidal Malik Hasan, un psychiatre de l'armée américaine d'origine palestinienne qui a ouvert le feu en novembre 2009 sur la base militaire de Fort Hood, au Texas, tuant 13 personnes. 

Le FBI trompé par une faute d'orthographe ?

Les enquêteurs fédéraux ont-ils bâclé leur investigation sur Tamerlan Tsarnaev ? Difficile de l'affirmer. Les témoignages de plusieurs autres proches, interrogés par le Wall Street Journal (article en anglais), laissent penser que le virage du jeune homme vers l'islam radical s'est surtout produit à partir de la fin 2011.

Marqué par la mort d'un ami et les ennuis de santé de son père, Tamerlan Tsarnaev traverse alors une période difficile et se réfugie, semble-t-il, dans la religion. Mais ce n'est qu'en novembre 2012, peu après son retour de Russie, que plusieurs incidents attirent l'attention de sa communauté. Un jour, il invective un commerçant musulman qui solde ses produits pour Thanksgiving, une fête laïque ; un autre, il interpelle l'imam de la mosquée sur un prêche qui donne, selon lui, une place abusive au pasteur Martin Luther King, leader des droits civiques, raconte le Wall Street Journal.

Reste le voyage en Russie : pourquoi le FBI n'a-t-il pas été alerté lors du passage aux frontières du jeune homme, de retour d'une région instable et où opèrent des islamistes radicaux ? Selon le sénateur Lindsey Graham, Tamerlan Tsarnaev a bien été placé sur une liste de surveillance du gouvernement américain après son signalement en 2011. 

Mais son nom n'aurait "pas déclenché d'alerte dans le système" parce qu'il était "mal orthographié", selon l'élu, qui affirme tenir ces informations du FBI. Ces dernières sont cependant à prendre avec prudence : Graham ne précise pas sur quel document l'erreur aurait été commise, et admet ne pas savoir si la faute supposée vient du FBI, du principal intéressé ou de la compagnie aérienne, Aeroflot. 

Du jihadisme "globalisé" mais "individualisé"

Plus généralement, la difficulté du FBI à identifier les incidents de parcours de Tsarnaev est en partie liée au profil du jeune homme. Lors de ses premiers interrogatoires, Djokhar Tsarnaev a expliqué aux enquêteurs que lui et son frère n'étaient liés à aucun groupe international.

Les deux terroristes présumés relèvent de ce qu'Olivier Roy, chercheur à l'Institut universitaire européen de Florence, en Italie, et spécialiste de l'islam politique et radical, appelle le jihadisme "globalisé et individualisé". Ce que confirme Louis Caprioli, qui fut responsable de la DST de 1998 à 2004, dans une interview à francetv info.

Souvent très jeunes, ces terroristes ont en commun d'être nés ou issus de parents nés dans une région musulmane, mais d'avoir grandi dans un pays occidental, sans s'y être intégrés de manière satisfaisantes. Des individus qui "s'autoradicalisent non pas par rapport à un conflit précis, qui pourrait être ici la guerre de Tchétchénie, mais pour venger les musulmans du monde entier", qu'ils perçoivent comme persécutés, explique le chercheur. 

Un agent du FBI parle à un homme devant l'appartement d'Alina Tsarnaev, la soeur de Djokhar et Tamerlan Tsarnaev, à West New York, dans le New Jersey (Etats-Unis), le 19 avril 2013. (EDUARDO MUNOZ / REUTERS)

Cette radicalisation se fait avant tout via la propagande jihadiste disponible sur internet, de manière individuelle plutôt que via des proches ou une communauté. Ainsi, si Tamerlan Tsarnaev fréquentait une mosquée de Cambridge (Massachusetts), celle-ci n'avait, selon les premiers éléments, rien d'un repère de l'islamisme radical.

L'isolement de ces "terroristes de l'intérieur" les rend particulièrement difficiles à repérer pour les agences antiterroriste.

Au FBI, 100 signalements par jour sur le terrorisme

Or ces individus, qui ont grandi dans les sociétés occidentales, constituent selon Olivier Roy le terreau de recrutement privilégié du terrorisme islamiste. L'imaginaire collectif tend à se représenter la filière jihadiste comme nourrie par des éléments spécialement entraînés et venus du Moyen-Orient ou du Pakistan, mais ce cas de figure est "plutôt une exception""Le FBI, comme la DCRI en France, qui a une pratique de terrain, le sait."

Problème : ce "profil" définit une population très large. Et tous les individus ayant consulté un site jihadiste ne sont pas des terroristes en puissance. Selon une source haut placée dans les services de sécurité américains interrogée par Reuters, le FBI reçoit au moins 100 signalements par jour susceptibles de concerner des activités terroristes.

Les hauts responsables américains de la lutte anti-terroriste, dont le directeur du FBI, Robert Mueller (de face, tout à droite), briefent le président Barack Obama sur les attentats de Boston, le 16 avril 2013, à la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis). (REUTERS)

Dès lors, la difficulté que rencontre la lutte antiterroriste ne réside pas tant dans la collecte d'informations que dans leur analyse : il s'agit de faire la différence entre les individus vraiment dangereux et les autres. "Si nous explorions dans le détail toutes les pistes éventuelles qui nous sont signalées, nous ne pourrions aller au bout d'aucune", résume un autre cadre américain de la lutte anti-terrorisme. Reste à assumer, a posteriori, la lourde responsabilité de ces arbitrages.

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