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Attentats de Boston : Djokhar Tsarnaev encourt la peine de mort

Accusé d’avoir perpétré, avec son frère, les attentats de Boston, le jeune homme naturalisé américain, sera jugé par un tribunal civil.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
"C'est fini, nous l'avons eu !" Cette inscription est écrite sur un panneau où est affichée la photo de Djokhar Tsarnaev après son arrestation, samedi 20 avril 2013, à Boston (Etats-Unis).  (TIMOTHY A. CLARY / AFP)

Il encourt la peine de mort. Djokhar Tsarnaev, accusé d’avoir perpétré, avec son frère, les attentats de Boston, est notamment accusé par la justice d'avoir utilisé "une arme de destruction massive". Toutefois, il ne sera pas traduit devant un tribunal militaire d'exception, comme l'exigeaient certains élus républicains. Il sera déféré devant la justice fédérale civile et "ne sera pas traité en combattant ennemi", a affirmé, lundi 22 avril, le porte-parole du président Barack Obama, Jay Carney.

Une semaine après les deux explosions qui ont coûté la vie à trois personnes et en ont blessé plus de 170 autres, le principal suspect, Djokhar Tsarnaev, a été formellement mis en accusation sur son lit d'hôpital. Interrogé dans sa chambre, le suspect est incapable de parler à cause de ses blessures, mais il communique par écrit avec les enquêteurs.

Douze ans après les attentats du 11 septembre 2001, le traitement des suspects ainsi que leur statut juridique continuent de diviser l'opinion américaine. Alors que les motivations du jeune homme de 19 ans restent floues, francetv info revient sur les questions posées par le cas Tsarnaev : à la fois terroriste présumé, citoyen naturalisé américain d'origine tchétchène, étudiant ordinaire et potentiel membre d'un réseau jihadiste. 

Pourquoi ne sera-t-il pas jugé par un tribunal militaire d'exception ?  

"La loi dit que les ressortissants américains ne peuvent pas être jugés par des commissions militaires", des juridictions d'exception, a rappelé Jay Carney.

Pour le juriste Alan Dershowitz, professeur de droit à l'université de Harvard, interrogé sur la chaîne CNN, "d'aucune façon un citoyen américain qui commet un crime sur le sol des Etats-Unis, dans la ville de Boston, ne peut être considéré comme un ennemi combattant. C'est impossible", a-t-il martelé, indiquant que de telles demandes "montrent une ignorance totale de la loi".  

"Révoquer le droit constitutionnel d'un citoyen américain, sur le sol américain, pour un crime supposé, ouvre la porte à une justice à deux vitesses et à des abus du pouvoir exécutif", a également noté le procureur Ari Melber, sur son blog hébergé par l'agence Reuters. Dans le passé, rappelle-t-il, George W. Bush a ainsi renoncé à accorder le statut d'ennemi combattant à des citoyens américains : José Padilla, condamné pour ses liens avec Al-Qaïda, a été jugé par un tribunal civil après un passage à Guantanamo, comme le précise Le Monde. Quant à Yaser Hamdi, désigné "combattant ennemi", il a été autorisé, du fait de sa citoyenneté américaine, à contester son jugement, avait indiqué Libération, en 2004. 

"Ce qui s'est passé cette semaine à Boston relève de la criminalité intérieure", poursuit un éditorialiste de The Atlantic (lien en anglais), même si "ce n'est pas ce que l'Amérique a envie d'entendre". Un terrorisme intérieur "avec un parfum international", concède-t-il, traduisant surtout l'érosion des droits constitutionnels en douze ans de lutte contre le terrorisme. Et l'auteur de rappeler l'attentat d'Oklahoma City en 1995 : perpétré par des sympathisants d'extrême droite, Timothy McVeigh et Terry Nichols, l'attentat avait fait 168 morts et 680 blessés. McVeigh a été exécuté en 2001 tandis que Nichols purge une peine de prison à perpétuité. A l'époque, personne n'avait évoqué ni "l'exception à la sécurité nationale", ni le concept de "combattant ennemi".

Que demandaient certains républicains ?

"Si vous êtes un combattant ennemi des Etats-Unis, impliqué dans une guerre contre les Etats-Unis, alors vous serez jugé comme un criminel de guerre", déclarait sur la radio nationale NPR (lien en anglais) John Ashcroft, ancien chef du département de la Justice de George W. Bush, chargé de définir un cadre juridique à la lutte antiterroriste. Et selon lui, établir un lien entre son frère aîné et des combattants se revendiquant d'Al-Qaïda "constituait une puissante connexion" permettant d'appliquer ce jugement à Tsarnaev.

Pour le sénateur de Caroline du Nord Lindsey Graham, ce statut (réclamé par plusieurs élus républicains) aurait permis d'obtenir des renseignements utiles à la lutte antiterroriste. Des informations qui, néanmoins, "ne pourront être retenues contre lui lors de son procès" devant une cour fédérale, a-t-il nuancé dimanche. Soit une sorte de requalification temporaire du statut.

Pourquoi le suspect n'a-t-il pas les mêmes droits que tout citoyen américain ?

"Vous avez le droit de garder le silence. Dans le cas contraire, tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous devant un tribunal (...)." Djokhar Tsarnaev n'a pas entendu ce célèbre avertissement sur le chemin de l'hôpital où il a été conduit, samedi, après son arrestation. Si le jeune homme a été naturalisé le 11 septembre 2012 (soit dix ans après avoir posé le pied sur le sol américain pour la première fois, en provenance du Daguestan), il n'a pas bénéficié de la totalité de ses droits. En l'occurrence, il a été privé des "droits Miranda", lesquels consistent à prévenir le suspect de son droit au silence et à un avocat commis d'office.  

Pour justifier cette décision, la procureure générale, Carmen Ortiz, a fait valoir "l'exception de sécurité publique" : autrement dit, le besoin de récolter au plus vite un maximum d'informations afin de ne pas mettre en danger la population dans l'éventualité de nouvelles attaques. Depuis 1984, il s'agit de la seule restriction possible aux droits Miranda, note le FBI (lien en anglais), qui a recouru à cette exception pour interroger Umar Farouk Abdulmutallab et Faisal Shahzad, tous deux suspectés d'avoir tenté de perpétrer des attentats sur le sol américain en 2009 et 2010 : dans un avion pour Detroit (Michigan), pour le premier, et sur Times Square, à New York, pour le second. 

Jusqu'où le FBI peut-il l'interroger sans lui fournir un avocat ?

Le contexte de la lutte contre le terrorisme dans l'Amérique post-11-Septembre a évidemment modifié la sphère juridique : en 2010 déjà, le procureur général Eric Holder a demandé à ce qu'une loi permette de repousser le cadre de "l'exception de sécurité publique" pour les présumés terroristes. Les agents seraient alors autorisés à poser des questions non liées à une menace immédiate, rappelle Emily Bazelon, pour Slate.com (lien en anglais). Surtout, les réponses données pourraient faire office de preuves valides devant un tribunal, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles ont été obtenues. 

Un an plus tard, le département de la Justice de l'administration Obama adopte cette mesure, sans même passer par le Congrès, a rapporté le New York Times (lien en anglais). Selon le journal, un mémo interne au FBI indique que la "complexité" de la menace terroriste justifie "une interprétation plus large de l'exception de sécurité publique". Ainsi, Djokhar Tsarnaev pourra être interrogé sans avocat sur un spectre de questions bien plus large : par exemple, ses liens avec son frère ou ses motivations.

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