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USA : que sait-on de la mystérieuse démission du directeur de la CIA ?

Vendredi, trois jours après sa réélection, le président des Etats-Unis acceptait la démission de David Petraeus, militaire respecté, héros américain à la tête de la CIA, l'une des plus puissantes agences de renseignement du monde. En cause, sa supposée relation extraconjugale avec sa biographe. Les doutes bruissent : certains évoquent un complot pour protéger la Maison-Blanche. L'affaire en quinze points.
Article rédigé par Ludovic Pauchant
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
  (Maxppp)

Qui ?

David Petraeus : 60 ans, marié, ex-directeur de
la CIA, ancien commandant des forces américaines en Irak et en Afghanistan, où
il commandait les 140.000 soldats de l'Isaf. Héros américain, général quatre
étoiles, chef militaire respecté. Depuis 2009, il entretient une
relation houleuse avec la Maison Blanche. Lorsqu'il demande un renfort en hommes
pour sa mission en Afghanistan à la Maison Blanche, celle-ci ne lui accorde que
30.000 soldats supplémentaires. Lui en demandait beaucoup plus. Après l'attentat
de Benghazi en Libye pendant lequel l'ambassadeur américain trouve la mor
t, il
essuie le feu des critiques pour sa mauvaise gestion supposée : le Congrès
veut l'entendre le 15 novembre. Après sa démission, la presse apprend qu'il ne
témoignera finalement pas. Paula Broadwell : Sa biographe de 40 ans, mariée
et mère de deux jeunes enfants, avec qui il aurait eu une relation
extraconjugale. Elle rencontre le général lors d'une conférence qu'il donne à
Harvard, où elle étudie. Petraeus la fait entrer dans son cercle rapproché,
court quotidiennement avec elle 8 kilomètres le matin en Afghanistan, lui laisse l'accès
à des documents classés secret-défense, l'invite lors de missions officielles. Elle
aurait entretenu une liaison intime avec lui depuis l'automne 2011, soit après
sa nomination à la tête de la CIA. Elle croisera plus tard le chemin de Jill
Kelley, qu'elle aurait considérée comme une rivale potentielle et menacée par
mail. Jill Kelley :  37 ans, habite Tampa, en Floride, et serait
une amie de longue date du général. Elle n'avait aucun statut particulier au
sein de l'armée et travaillait comme "agent de liaison sociale "
bénévole avec une base aérienne en Floride. Effrayée par les menaces de
Broadwell, qui lui écrit notamment des mails tels que "Je sais ce que tu
as fait
", "Va-t'en ", "Éloigne-toi de mon mec ", elle demande
la protection du FBI. Si cette dernière était fréquemment invitée avec son mari
aux événements organisés par le général sur la base militaire, elle comme l'entourage
du général assurent que l'un et l'autre n'entretenaient pas d'autres relations
qu'amicales.

Quand ?

2010  : David Petraeus,  est nommé à la tête des 140.000 soldats des
forces internationales en Afghanistan (ISAF). Il remplace le général Stanley
McCrystal, contraint à la démission après ses critiques virulentes
sur l'administration Obama. 2011 : David Petraeus est nommé à la tête de la
CIA. Durant l'année, il entretient une relation intime avec Paula Broadwell, qu'il
connaît déjà. Certains, à la CIA, s'inquiètent de la liberté qu'a Broadwell
pour accéder à un certain nombre de documents classés secret-défense et de sa
proximité avec Petraeus. 11 septembre 2012 : Attaque contre le consulat
américain à Benghazi (Libye), dont la gestion par l'administration Obama ne
cesse de faire polémique : le soupçon d'un complot de la CIA ne s'est pas
éteint. L'ambassadeur est tué avec trois autres officiels, alors qu'un commando
de la CIA est posté à proximité de l'ambassade : ni les explications de la
CIA, ni les explications de la Maison-Blanche ne parviennent à dissiper le
soupçon de complot qui plane autour de l'évènement. Entre temps, Jill Kelley s'est rapprochée
du FBI pour demander sa protection après les mails menaçants de Broadwell. Plus
tard, le Bureau fédéral approche David Petraeus : ses agents ont mis au jour
une correspondance de milliers de mails entre lui et sa supposée maîtresse, tous
envoyés depuis leurs comptes personnels. Les fédéraux disent avoir alors
suspecté une affaire de sécurité nationale, eu égard notamment aux risques de
chantages auxquels s'exposait alors le général, ou que certains documents
secret-défense aient pu quitter le secret des murs de l'agence. Jeudi 8 novembre 2012 :
David Petraeus est reçu, 48h après sa réélection, par le président Obama. Vendredi 9 novembre 2012 : le
président des Etats-Unis annonce avoir accepté la démission du général
Petraeus. "Après plus de 37 ans
de mariage, j'ai fait preuve d'un énorme manque de jugement en m'engageant dans
une relation extraconjugale. Un tel comportement est inacceptable à la fois
comme mari et comme dirigeant d'une organisation comme la nôtre
", écrit
Petraeus dans un communiqué adressé aux employés de l'agence.
Dimanche 11 novembre  : La
démission surprise du directeur de la CIA fait bruisser la presse. La relation du couple
adultère aurait-elle exposé le général à un chantage qui aurait pu
compromettre la sécurité nationale ? La présidente de la puissante commission
du renseignement du Sénat américain, la démocrate Dianne Feinstein, assure pourtant
de son côté qu'il n'y a eu "aucune atteinte à la sécurité nationale ". Le doute gagne les commentateurs, notamment parce que sa démission intervient
trois jours après la réelection de Barack Obama. Et que, le 15 septembre, le
Congrès devait l'entendre sur sa gestion de l'attentat de Benghazi, en Libye,
où l'ambassadeur des USA avait trouvé la mort. Lundi 12 novembre : Le New-York Times rapporte
que de hauts responsables du FBI et du département de la Justice ont eu
connaissance de l'affaire dès l'été dernier, mais ont attendu début novembre pour
qu'elle sorte du cercle des enquêteurs, soit une semaine avant la démission du
général. Une partie de la classe politique américaine réclame des
éclaircissements sur le calendrier de l'enquête, qu'elle juge peu
vraisemblable. Jeudi 15 novembre : La Commission du
renseignement du Sénat doit commencer des auditions sur l'attaque du consulat de
Benghazi. David Petraeus faisait partie des responsables appelés à répondre aux
questions. Il ne témoignera finalement pas.

Les questions en
suspens :

Certes, Bill Clinton est tombé pour adultère. Mais... Même si
David Petraeus a probablement forgé un sens particulier de ce qui relève de l'honneur
et de la rigueur tout au long de sa carrière, nombreux doutent que,
même dans la puritaine Amérique, un homme de son envergure puisse être
contraint à démissionner pour une affaire d'adultère. D'autant plus que tant le
FBI que la CIA disposaient des ressources nécessaires pour enterrer l'affaire. L'incohérence du
calendrier.
La thèse selon laquelle le directeur du FBI n'aurait informé qu'en novembre la
présidence de son enquête sur une personnalité telle que le directeur d'une des
plus puissantes agences de renseignement du monde, alors que les investigations ont
débuté six mois plus tôt, laisse certains dubitatifs. Que s'est-il vraiment passé à Benghazi ? L'ambassadrice
des USA à l'ONU assurait que l'attaque du consulat de Benghazi était liée à
une manifestation ayant dégénérée de musulmans offensés par la fameuse vidéo
blasphématoire "Innocence
of Muslims"
.  Il n'y
aurait en fait eu aucune manifestation ce jour-là devant le consulat américain.
On ne connaît toujours pas les circonstances exactes de l'attentat. En outre,
il est avéré qu'un commando de la CIA se trouvait à proximité du bâtiment attaqué.
Pourquoi n'est-il pas intervenu ? Est-ce une erreur de l'agence de
renseignement ? Ou une décision de la Maison-Blanche ? Un témoin gênant réduit au silence par la Maison Blanche ? Après avoir l'annonce
de la démission du général, la Commission du renseignement
du Sénat, qui devait l'entendre le 15
novembre, annonce que ce dernier ne témoignera plus. Est-ce pour réduire au
silence celui qui aurait pu donner une version embarrassante de l'affaire de Benghazi ? La CIA aurait elle délibérément caché ses
erreurs pour ne pas fragiliser le candidat Obama ?

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