UE-Turquie : l’accord sur les migrants est-il légal?
La mesure phare, «temporaire et extraordinaire», du texte prévoit le renvoi vers la Turquie de tous les nouveaux migrants qui arriveront à partir du 20 mars sur les îles grecques. Y compris les demandeurs d'asile, notamment les Syriens fuyant la guerre.
La Commission européenne a assuré que le mécanisme respectait le droit international. Chaque demandeur d'asile qui arrivera sur les côtes grecques à partir du 20 janvier, aura droit à un examen individualisé et le droit de faire appel de la décision de renvoi, affirme-t-elle. «C'est un travail herculéen qui nous attend», a reconnu le président de l'exécutif européen, Jean-Claude Juncker. Il va en effet falloir, en un temps record, déployer une logistique complexe sur les îles grecques.
Pour chaque Syrien renvoyé, les Européens se sont engagés à «réinstaller» dans l'UE un autre Syrien depuis la Turquie. Ce dispositif sera plafonné à 72.000 places offertes en Europe. Ces renvois «commenceront à partir du 4 avril», a assuré la chancelière Allemande, Angela Merkel, qui a joué un rôle clé dans la genèse de l'accord.
Quoi en échange ?
En échange, les Européens ont accepté d'accélérer le processus de libéralisation des visas pour les ressortissants turcs. Tout en affirmant qu'ils ne transigeraient pas sur les critères à remplir. Ils ont surmonté les fortes réserves de Chypre pour promettre à Ankara d'ouvrir un nouveau chapitre (sur les finances et le budget) dans ses négociations d'adhésion à l'UE.
Sur le plan financier, l'UE s'engage à accélérer le versement d'une aide de 3 milliards d'euros, déjà promise à la Turquie, pour la prise en charge des 2,7 millions de réfugiés qu'elle accueille déjà. Elle a ouvert la porte à une nouvelle enveloppe du même montant d'ici fin 2018.
Quelle légalité?
«C'est un jour historique», a déclaré le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu. «Nous avons réalisé aujourd'hui que la Turquie et l'UE avaient la même destinée», a-t-il ajouté.
Alors qu'une crise humanitaire guette en Grèce, où 46.000 migrants sont bloqués dans des conditions épouvantables devant une «route des Balkans» désormais fermée, la pression était maximale sur les Européens pour trouver enfin une solution. Débordée par l'arrivée de 1,2 million de migrants en 2015, lesquels fuient pour la plupart les guerres en Syrie, en Irak et en Afghanistan, l'UE s'est divisée comme jamais ces derniers mois sur la réponse à apporter.
Jusqu'au dernier moment, certains Etats membres étaient très réticents pour conclure un accord. Ils ne voulaient faire trop de concessions à la Turquie, accusée de dérive autoritaire. Et craignaient aussi l'illégalité du renvoi de demandeurs d'asile.
«La Convention de Genève, intégrée aux traités européens, interdit par principe le refoulement des demandeurs d’asile», contrairement à ce que prévoit l’accord, explique Le Figaro. «Mais il existe une exception d’‘‘irrecevabilité’’, si le demandeur d’asile a transité par un pays ‘‘sûr’’, autrement dit un Etat qui lui garantit une protection internationale». Reste à savoir si la Turquie est un pays «sûr»…
Le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) a estimé que la manière dont l'accord sera mis en œuvre, serait «cruciale». «Les réfugiés ont besoin de protection et pas de rejet», a ajouté l'organisation dans un communiqué.
«Délocalisation» de la crise migratoire?
Mais avant l’annonce officielle de l’accord, le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad al Hussein, avait exprimé sa crainte que celui-ci n'entraîne des «expulsions collectives et arbitraires» illégales au regard du droit international.
Le député européen Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge aujourd'hui à la tête de l'Alliance des libéraux et des démocrates européens (ALDE), a eu des mots très durs contre cequ'il considère comme une «délocalisation» de la crise migratoire et un «refoulement collectif interdit par la Convention de Genève». «Le sultan Erdogan (le président turc, NDLR) détiendra désormais les clés de la porte de l'Union européenne», a-t-il dénoncé.
De son côté, la dirigeante d’Amnesty International pour le Royaume Uni, Kate Allen, a estimé que l’accord est un «jour sombre pour la Convention (de Genève, NDLR), un jour sombre pour l’Europe et un jour sombre pour l’humanité». «Il est absolument honteux de voir des dirigeants abandonner leurs obligations légales», a-t-elle ajouté. Selon elle, «renvoyer les réfugiés vers les passeurs (…) est évidemment de la folie».
Pour les responsables politiques européens, le texte conclu avec Ankara est au contraire un signal fort pour «briser le business model des passeurs» en mer Egée, où plus de 460 migrants se sont noyés depuis janvier 2016. D’une manière générale, plus de 143.000 personnes sont arrivées en Grèce via la Turquie. A elle seule, la Grèce a vu passer plus d'un million de migrants en 2015.
La fermeture ces dernières semaines de la «route des Balkans» a placé ce pays dans une situation intenable. «Ceci est comme un (camp de) Dachau des temps modernes, le résultat de la logique des frontières fermées», a déploré le 18 mars le ministre grec de l'Intérieur Panagiotis Kouroublis en visitant Idomeni, localité située à la frontière avec la Macédoine. Une frontière désormais fermée. Conclusion d’un diplomate européen : «Ce n'est pas un très bon accord, mais on est bien obligé. Personne n'en est fier, mais on n'a pas d'alternative».
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