Turquie : qui est Demirtas, le "Tsipras kurde" qui a affaibli le président ?
Le parti kurde HDP a obtenu 13% des voix aux législatives et 80 sièges au Parlement. Selahattin Demirtas, son leader, en ressort grandi.
Il est jeune, charismatique et moderne. Selahattin Demirtas, profil de gendre idéal et chef de file du parti pro-kurde HDP, a créé la surprise lors des élections législatives en Turquie, dimanche 7 juin, en obtenant 13% des voix et 80 sièges au Parlement. Un record pour son mouvement. A l'issue d'une campagne tendue, cet opposant au président Recep Tayyip Erdogan a réussi son pari : priver le chef de l'Etat d'une majorité absolue, pour faire dérailler son projet de réforme de la Constitution.
Après avoir frôlé les 10% lors de la présidentielle en 2014, cet avocat de 42 ans a ainsi confirmé qu'il était devenu l'une des figures politiques incontournables du pays. Francetv info résume les raisons de son succès dans les urnes.
"Je repasse mes chemises, et je fais de la bonne terrine"
Certains le comparent à Barack Obama ou à Alexis Tsipras. S'il rappelle le président américain, c'est d'abord parce que Selahattin Demirtas s'est volontiers présenté pendant la campagne en père de famille modèle, au côté de son épouse Basak et de ses deux filles, rappelle le Guardian (en anglais).
Le leader du parti kurde partage aussi avec Barack Obama son éloquence. Ainsi Selahattin Demirtas a-t-il joué de son sens de l’humour pour se distinguer du président turc Erdogan, colérique et autoritaire. Il a, par exemple, raillé son adversaire politique, censé rester à l'écart de la campagne électorale en tant que chef de l'Etat : "C’est comme s’il n’était pas président de la République, mais directeur chargé des inaugurations. Dites-lui que vous allez ouvrir une bouteille de soda, il viendra pour l’inaugurer. Il ne ratera pas une occasion pour faire la propagande de l’AKP", le parti au pouvoir.
Dans ce paysage médiatique dominé par le très mégalomane chef de l'Etat, le coprésident du HDP a également séduit par son côté cool et moderne, décrypte Libération. "Je repasse moi-même mes chemises et je fais de la bonne terrine", assure-t-il, désireux d'incarner cette Turquie plus ouverte. Bon client en interview, Selahattin Demirtas bat des records d'audience à la télévision, apprend-on encore dans Ouest-France.
Surnommé le "Tsipras de Turquie", en référence au Premier ministre grec, Selahattin Demirtas a réussi grâce à son talent oratoire à transformer le HDP, un parti cantonné à la seule communauté kurde du pays, en un mouvement à la fibre sociale, ouvert aux femmes et à toutes les minorités – notamment les militants LGBT.
Une politique marquée à gauche
Il est aussi parvenu à briser les préjugés de beaucoup de Turcs, qui considéraient le HDP comme une prolongation de l'organisation armée PKK. Son frère, Nurettin, a été condamné à 22 ans de prison pour avoir rejoint le maquis. Mais quand on le met en cause à ce propos, il balaye le sujet, arguant que son frère "combat en Irak les jihadistes de l'Etat islamique en partie armés par l'actuel pouvoir turc".
Traité d'"infidèle" par Recep Tayyip Erdogan après qu'il a proposé de supprimer les cours de religion obligatoires à l'école, ou encore de "pop star" parce qu'il joue du "saz", une sorte de luth kurde, Selahattin Demirtas a répondu avec intelligence aux provocations de son adversaire. Il s'est même posé en homme d'Etat quand un QG local du HDP a été l'objet d'une attaque à la bombe, causant la mort de deux personnes.
Selahattin Demirtas a défendu pendant la campagne une ligne marquée à gauche. Ses violentes critiques contre la voiture de luxe accordée à Mehmet Görmez, directeur des Affaires religieuses, symbolisant la corruption et le gaspillage de l’argent public, ont par exemple obtenu gain de cause : Mehmet Görmez a été contraint de rendre sa voiture.
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