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Projet de loi antiterroriste : cinq mesures adoptées par le Sénat qui suscitent des critiques

Des associations et des syndicats dénoncent certaines mesures prévues dans le projet de loi antiterroriste adopté dans la nuit de mardi à mercredi par le Sénat. Déjà présentes dans l'état d'urgence, ils jugent celles-ci liberticides.

Article rédigé par franceinfo
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Un membre des forces de l'ordre à Paris, en France, durant une manifestation contre l'état d'urgence le 18 juillet 2017
 (JULIEN MATTIA / NURPHOTO)

"C'est une vraie régression des droits", lance Nicolas Krameyer, porte-parole de l'association Amnesty International France. Le projet de loi antiterroriste, adopté par le Sénat dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 juillet, provoque l'ire de certaines associations et syndicats. Ce projet de loi, qui sera examiné à l'Assemblée nationale à la rentrée, est censé renforcer "la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme", assure l'exécutif. Il inscrit dans le droit commun une partie des mesures prises lors de l'état d'urgence, instauré après les attentats de 2015. Franceinfo vous explique pourquoi certaines dispositions de ce texte sont controversées. 

Les assignations à résidence et les perquisitions administratives

De quoi s'agit-il ? L'état d'urgence permettait déjà au préfet d'assigner des personnes à résidence après en avoir avisé le procureur, "lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'elles constituent des menaces pour la sécurité et l'ordre publics". Cette possibilité est désormais inscrite dans la loi, sous le nom de "mesures individuelles de surveillance".

Ces assignations se limitent à la commune de résidence de la personne visée et non plus à son domicile. Elles durent trois mois, renouvelables si l'autorité administrative est en mesure d'apporter de nouveaux éléments. L'application des dispositions permettant de prendre ces mesures a été limitée dans le temps, au 31 décembre 2021, par les sénateurs. 

Aussi, les perquisitions administratives, rebaptisées "visites et saisies", pourraient de nouveau être autorisées par un juge judiciaire.

Ce qui peut poser problème. Avant la mise en place de l'état d'urgence, c'était le juge d'instruction ou le juge de privation des libertés qui décidait d'assigner, ou non, une personne à résidence. "Cela permettait de se protéger contre l'arbitraire de l'administration, pointe Katia Dubreuil, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature. On est en train d'outrepasser le principe de séparation des pouvoirs." La magistrate est formelle : dès qu'une mesure restreint la liberté, il faut passer par une autorité indépendante, l'autorité judiciaire. Même constat pour les perquisitions administratives, "des mesures d'exceptions introduites dans le droit commun". "Elles sont uniquement à la main de l’administration alors qu’elles sont restrictives des libertés", conclut Katia Dubreuil.

Les assignations à résidence ordonnées par le préfet sont parfois justifiées par des notes blanches, documents anonymes et pas toujours très précis, rédigés par les services de renseignement. "On enferme donc des gens sur la base de soupçons et de critères qui sont très flous, explique Katia Dubrueil. On ne précise pas d'où viennent ces informations ce qui peut être problématique." Les assignations décidées par les juges découlent d'une instruction.

Sihem Zine, la présidente de l'association Action droits des musulmans, qui assiste les personnes assignées à résidence, explique que certains personnes ont fait les frais de ces notes blanches. "Nous les avons analysées dans le cadre d'un suivi : ce ne sont que des allégations, des faits peu précis avec des erreurs d'appréciations." Elle ne mâche pas ses mots pour évoquer un système absurde, "plein d'amateurisme".

La fermeture administrative des lieux de culte

De quoi s'agit-il ? Le ministère de l'Intérieur et le préfet peuvent ordonner la fermeture provisoire d'un lieu de culte au sein duquel des propos constituant "une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'acte de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes" sont tenus. Cette mesure avait été prise durant l'état d'urgence. Le texte de loi prévoit de limiter cette fermeture à six mois maximum. Un délai de 48 heures avant la fermeture doit être respecté, de quoi permettre au gestionnaire du lieu de culte de déposer un recours suspensif sous certaines conditions auprès du tribunal administratif.

Ce qui peut poser problème. Là aussi, les critères retenus par le législateur pour entraîner la fermeture des lieux de culte sont jugés trop flous. "On peut fermer un endroit si n'importe quel particulier qui fréquente les lieux tient des propos de provocation à la haine ou d'apologie du terrorisme, même si cela ne vient pas du dirigeant de ce lieu", déplore Katia Dubreuil.

Pour Nicolas Krameyer, la notion même d'apologie du terrorisme est problématique. "On criminalise une opinion, aussi problématique soit-elle, et non une provocation directe à commettre un acte terroriste", déplore-t-il. Amnesty France estime que cette mesure peut entraîner deux restrictions : celle de la liberté d'expression et celle de la liberté de religion. "Les lieux de culte où sont commis les actes délictueux ou criminels existent et nous disposons d'un déjà arsenal judiciaire suffisant pour y faire face. Ces mesures n'apporteront rien de supplémentaire, juste une surenchère sécuritaire permanente."

L'instauration d'un périmètre de protection

De quoi s'agit-il ? Selon le texte de loi, un périmètre de protection peut être mis en place par le préfet. La loi prévoit que ce dernier peut le demander uniquement dans un lieu ou lors d'un évènement susceptible d'être exposé à un risque terroriste. Il est possible d'organiser des opérations de filtrage ou de fouilles avec s'il le faut l'aide d'agents de sécurité privée qui procèdent à des palpations. Les sénateurs ont renforcé les garanties relatives à la vie privée, professionnelle et familiale des personnes contrôlées au sein de ces périmètres.

Ce qui peut poser problème. Pour la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, la définition mise en avant pour justifier cette mesure – "d'un évènement susceptible d'être exposé à un risque terroriste" – est encore une fois trop vague. "N'importe quel endroit répond à cette définition, soupire Katia Dubreuil. Dès qu'il y a plus de trois personnes quelque part, il est possible de réaliser un acte terroriste." Même son de cloche du côté d'Amnesty International : "On a vu par le passé que certains préfets ne donnaient pas d'éléments précis pour justifier l'instauration de ce périmètre mais se contentaient de parler de risque de manière évasive", lance Nicolas Krameyer.

Un autre point abordé par la loi provoque des interrogations : celui de la formation des agents habilités à fouiller les badauds. "Il pourra s'agir de policiers municipaux et d'agents de sécurité privée, qui ne disposent d'aucune formation en la matière. Une étude d'impact gouvernementale a montré qu'ils ne disposaient pas de formation assez technique, déplore la magistrate Katia Dubreuil. Bien sûr le texte prévoit que ces opérations se déroulent sous le contrôle d'un officier de police judiciaire, mais il ne pourra pas être derrière chaque personne qui contrôle, surtout sur des zones très étendues."

Ces fouilles ont déjà, lors de l'état d'urgence, compliqué l'organisation de manifestations pour les syndicats. "Avec l'état d'urgence, on pensait que cela ne durerait qu'un temps mais désormais c'est une mesure qui n'est plus exceptionnelle, soupire Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. L'instauration de ce périmètre a déjà complexifié nos possibilité de nous rassembler, on pense que ça va continuer." 

Les contrôles aux zones frontalières élargis

De quoi s'agit-il ? Les forces de l'ordre ont actuellement la possibilité d'effectuer des contrôles d'identité aux frontières, y compris dans les gares qui desservent des destinations internationales, sans justifier la raison de ceux-ci. Le périmètre dans lesquels ces contrôles peuvent être effectués a été élargi par le projet de loi de lutte antiterroriste. En cas de contrôle normal, rappelle le Syndicat de la magistrature, les forces de l'ordre doivent pouvoir justifier les raisons de celui-ci. Ce qui n'est pas le cas dans le cas d'un contrôle aux frontières.

Ce qui peut poser problème. "Cela va permettre aux forces de l'ordre de contrôler tout le monde sans aucune considération du comportement dans une zone donnée plus large, explique Katia Dubreuil. Ce qui était avant limité aux gares internationales sera étendu aux abords de celles-ci, ce qui ne devrait pas arranger les contrôles aux faciès abusifs."

La pérennisation du système de suivi des passagers aériens

De quoi s'agit-il ? Le "Passenger Name Record" (PNR) est un fichier composé d'informations, non vérifiées, transmises par les passagers aux transporteurs aériens. On peut y trouver le nom, le prénom, le numéro de téléphone ou encore des informations concernant les bagages des voyageurs. Soumis au vote du Parlement européen le 14 avril 2016 et adopté, il doit être transposé par les parlements nationaux pour être effectif. Le projet de loi validé par le Sénat pérennise donc ce système de suivi des passagers aériens et autorise la création d’un nouveau traitement automatisé de données à caractère personnel pour les voyageurs de transports maritimes.

Ce qui peut poser problème. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), autorité administrative indépendante, est chargée de vérifier que l'informatique ne porte pas préjudice aux droits et libertés des citoyens. La Cnil regrette, dans une note sur le projet de loi publiée le 11 juillet, de ne pas avoir été consultée sur ce point. "Indépendamment de l’obligation juridique de recueillir l’avis de la Cnil, l’importance des questions soulevées par diverses dispositions, du point de vue du droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles, aurait dû, par elle-même, justifier la consultation de la Cnil", a déploré l’instance. Elle rappelle que ce projet relève "d'un type de traitement de grande ampleur, susceptible d’avoir une incidence majeure sur le droit au respect de la vie privée". 

Un constat partagé par Katia Dubreuil : "Ce sont des mesures de fichage, massif et l’ensemble des déplacements des citoyens sont concernés sur des durées très longues. C’est un fichier de population qui nous paraît trop large dans sa nature."  

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