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Reportage Dans le nord du Mali, la crainte d'un scénario à l'afghane : "Si Barkhane part, la nuit va tomber sur Tombouctou"

Article rédigé par Omar Ouahmane
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Soldats de l'opération Barkhane à Tombouctou, en septembre 2021. (OMAR OUAHMANE / RADIO FRANCE)

Notre reporter a pu se rendre au Mali, à Tombouctou, qui vit dans la crainte de voir les jihadistes profiter du retrait de la force Barkhane pour reprendre la ville.

À Tombouctou, les visages sont graves, inquiets. L’insécurité gangrène la ville, les agressions, enlèvements ou braquages sont fréquents, mais les habitants ont appris à vivre dans ce climat d’instabilité. Ce qui les préoccupe au plus haut point, c’est le départ des forces françaises de Barkhane avant la fin de l’année. Le désengagement progressif du Sahel annoncé par le président Emmanuel Macron prévoit que la France abandonne ses bases du nord du Mali – Tessalit, Kidal et Tombouctou d'ici à fin 2021.

L’annonce a eu l’effet d’un coup de massue pour Fadimata Tandina Touré, une enseignante d’histoire-géographie. "La question, c’est que va devenir la ville de Tombouctou après Barkhane ?" Comme beaucoup ici, elle ne fait pas confiance à l’armée malienne pour la protéger. "Nos territoires sont ouverts, c’est un combat que le Mali seul ne peut pas mener. Notre armée a encore besoin d’être soutenue. Si l’armée n’arrive pas à les arrêter, ils vont venir et ils vont imposer la charia." Fadimata Tandina Touré est encore sous le choc, comme dans un mauvais rêve, persuadée que les soldats français et leurs moyens militaires sont l’unique rempart contre les jihadistes qui contrôlent la région.

"Moi, j’ai déjà préparé mes bagages"

Seules les villes comme Tombouctou, Kidal ou Gao leur échappent encore. En dehors, en brousse, ce sont les jihadistes qui font la loi, selon Touré, un membre de la société civile : "À quelques kilomètres à peine de Tombouctou, ils imposent la zakat, ils forcent les femmes à se voiler et bientôt cela se passera à Tombouctou."

Cette inquiétude est partagée par Al Boukhari Ben Essayouti, le chef de la mission culturelle de Tombouctou. Il appelle la France "à revoir sa position", à tirer les leçons du fiasco afghan. "C'est certain, si Barkhane quitte, je pense que c'est la porte ouverte à toutes les dérives." Selon lui, les jihadistes vont profiter du vide laissé par le départ de la force Barkhane pour faire leur retour, avec des conséquences dramatiques sur les populations qui vivront de nouveau sous le joug de la charia : "Les jihadistes qui occupaient la ville sont d’obédience wahhabite, tenants d’un islam radical, alors que la population de Tombouctou est d’obédience soufie, donc modérée. Les habitants exècrent le wahhabisme !"

La mosquée Sankoré à Tombouctou. (OMAR OUAHMANE / RADIO FRANCE)

La cohabitation est donc impossible. Ou alors sous la contrainte, comme en 2012, quand les jihadistes ont fait régner la terreur dans la ville, allant jusqu’à s’en prendre à certaines mosquées et à détruire à coups de pioche les mausolées de terre crue du 14e siècle, patrimoine mondial de l'humanité. Ils ont été depuis reconstruits à l'identique sous l'égide de l'Unesco.

Les associations de jeunes de Tombouctou ont décidé de se mobiliser, elles ne veulent pas attendre le départ de Barkhane pour réagir. Elles ont prévu de manifester pour appeler Emmanuel Macron à reporter ce retrait en attendant le retour de l’ordre constitutionnel à Bamako, où la junte a pris le pouvoir à l’issue de deux coups d’État en moins d’un an. Khalid est membre de la société civile de Tombouctou, il ne cache pas son inquiétude : "Moi, j’ai déjà préparé mes bagages. Si Barkhane part, je m’en irai également, car la ville tombera immédiatement entre les mains des jihadistes."

Une perspective qui épouvante Mouneïssa, dont l'un des enfants est né le 5 février 2013, quelques jours après la libération de Tombouctou par les soldats français. Son fils Alpha a été surnommé Hollande. "Tout le monde l'appelle François Hollande, parce que c'est François Hollande qui nous a libérés. Ça ne va pas leur plaire, les terroristes, d'appeler un enfant François Hollande !" Elle craint, "bien sûr", des représailles. "On dit à la France : merci. On ne veut pas qu'ils partent maintenant."

Un restaurant de Tombouctou. C'est sous la présidence de François Hollande que la France s'est engagée au Mali, en 2013.  (OMAR OUAHMANE / RADIO FRANCE)

Également très inquiets, les artistes de Tombouctou, ennemis jurés des jihadistes. Comme Chaibani Coulibaly. Du haut de ses 22 ans, il est une des figures de la scène musicale de la ville. "Ça me fait peur. Si on joue de la musique aujourd'hui, c'est grâce à un Barkhane. Avec les jihadistes, on ne peut pas. Ils n'aiment pas la musique. Comment est-ce qu'on va vivre ? Si Barkhane part, la nuit va tomber sur Tombouctou."

De nombreux habitants ont juré de partir dans le sillage des convois de Barkhane mais ils ont conscience que la situation a changé. En 2012, le voyage vers Bamako pouvait se faire en relative sécurité alors qu’aujourd’hui, prendre la route est dangereux, les groupes armés pullulent et rançonnent les voyageurs quand ils ne les enlèvent pas. Certains habitants prédisent donc un retrait français accompagné de l’hostilité de la population, habitée par un sentiment d’abandon. "L'histoire, certainement, peut se répéter si les forces étrangères partent, redoute Salaha Maiga, directeur du festival Vivre ensemble. Cela se voit à travers le monde, si on voit aujourd’hui l’Afghanistan. Que sera le Mali après le départ des forces étrangères ?"

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