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Les réserves du contrôleur des prisons sur la lutte contre la radicalisation islamiste en milieu carcéral

L'institution indépendante pointe, dans un document publié mardi, plusieurs défauts dans ce dispositif, testé dans certaines maisons d'arrêt à la suite des attentats qui ont touché la France en janvier 2015.

Article rédigé par Florian Delafoi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Le centre pénitencier de Fresnes (Val-de-Marne) a été le premier en France à tester, en octobre 2014, un dispositif de lutte contre la radicalisation en prison. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

La lutte contre la radicalisation islamiste en prison est loin d'être au point. C'est ce qui ressort d'un avis publié par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) mardi 30 juin. L'institution indépendante pointe plusieurs défauts dans les mesures mises en place au sein de certaines maisons d'arrêt. Des dispositifs prévus dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, annoncé par Manuel Valls dans la foulée des attentats qui ont frappé la France en janvier 2015. Francetv info livre les principaux enseignements de ce rapport.

Le regroupement des détenus radicalisés a des "effets pervers"

C'était l'une des expérimentations importantes souhaitées par le gouvernement. Le 21 janvier 2015, Manuel Valls annonçait la création de cinq quartiers dédiés au regroupement de détenus identifiés comme des islamistes radicaux en région parisienne et dans le nord de la France. Objectif : enrayer le prosélytisme en isolant ces individus des autres prisonniers. Le centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) a été le premier à mettre en place ce dispositif dès octobre 2014, à l'initiative du chef d'établissement. "Selon la direction, le regroupement a eu un effet apaisant sensible sur le reste de la détention", rapporte le CGLPL.

Mais l'organisation de contrôle n'est pas favorable à sa généralisation. Ce dispositif pourrait même se révéler contre-productif. "Les personnes regroupées rencontrées par le contrôle général ont, pour la plupart, confié leur crainte d’être étiquetées durablement comme islamistes radicaux, et de ne pouvoir se défaire de l’emprise de leurs codétenus", assure Adeline Hazan, contrôleuse générale, dans son avis.

La prison n'est pas un "incubateur du terrorisme"

Après les attentats de janvier 2015, les centres pénitentiaires ont rapidement été pointés du doigt et identifiés comme des "incubateurs du terrorisme". Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se sont rencontrés dans la prison de Fleury-Mérogis (Essonne) et Mohamed Merah, auteur de l'attentat contre l'école juive Ohr Torah (ex-Ozar Hatorah) en 2012, avait affirmé que c'est lors de sa détention, en 2008, qu'il s'était radicalisé. Selon le rapport du contrôleur général, "les membres de l’administration pénitentiaire, de la direction aux surveillants, rejettent cette vision et refusent que l’administration pénitentiaire et ses personnels soient considérés comme comptables d’un phénomène qui prend sa source ailleurs"

Le CGLPL rappelle, d'ailleurs, que "16% seulement des personnes incarcérées pour des actes liés au radicalisme islamiste avaient déjà été incarcérées auparavant". Pour l'organisation, les causes de la progression d'un islamisme radical en milieu carcéral sont multiples, et se développe en amont. Elle met notamment en cause les conditions de détention (la surpopulation carcérale atteint, en moyenne, 134 %), ainsi que le trop faible soutien des détenus dans leur objectif de réinsertion. 

Les programmes de déradicalisation doivent encore faire leurs preuves

La prise en charge des personnes de retour en France après avoir fait le jihad est récente. L'Hexagone accuse un retard à ce niveau, en comparaison avec d'autres pays européens. La mise en place de mesures spécifiques n'a démarré qu'en mai 2015. "C’est la crise syrienne et le départ en nombre de jeunes Français vers les théâtres de guerre au nom du jihad qui ont provoqué des initiatives, très tardives", regrette le rapport du contrôleur général, qui ne souhaite pas tirer de conclusions hâtives sur les dispositifs de déradicalisation. Durant leur période de détention, les détenus - volontaires - peuvent réaliser des stages de citoyenneté d'une durée allant d'un mois et demi à deux mois.

A cette occasion, les prisonniers ont la possibilité de faire du théâtre, de participer à des débats avec des témoignages de victimes, d'experts en géopolitique, des associations de quartiers, etc. "L’idée est aussi de repérer les 'leaders négatifs' et les 'suiveurs'. De voir comment ils se positionnent au cours de 'chocs narratifs' avec des victimes", précise le rapport. Le CGLPL émet toutefois des réserves sur la nature de ces activités : "Il s’agit de proposer un accompagnement au renoncement à la violence et non pas de remettre en cause un attachement à la religion musulmane".

Soixante aumôniers musulmans à recruter

L'organisation indépendante rappelle que chaque détenu a le droit d'exercer le culte de son choix, dans le respect de la laïcité. Sauf que ce droit est mis à mal par le faible nombre d'aumôniers musulmans agréés. Au centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), on n'en trouve qu'un pour 2 200 détenus, alors que 60% d'entre eux sont de confession musulmane. 

Une pénurie qui peut être source de discrimination, selon le CGLPL. En janvier 2015, Manuel Valls avait annoncé un plan de recrutement de soixante aumôniers musulmans entre 2015 et 2017, soit 30% de plus. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté indique, dans son avis, qu'il est attentif à ce que les objectifs du plan soient bien réalisés. 

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