Cet article date de plus de dix ans.
USA: quand «César», photographe syrien, témoignait des tortures du régime Assad
A l'été 2013, «César», photographe médico-légal de la police militaire syrienne s’enfuyait, emportant avec lui des milliers de clichés de corps torturés des victimes du régime. Un an après, il les présentait devant le Congrès US. Le 30 septembre 2015, une enquête a été ouverte en France visant le régime Assad pour «crimes contre l'humanité» pour des exactions commises en Syrie entre 2011 et 2013.
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Temps de lecture : 8min
Article initialement publié le 14 août 2014
Fin juillet 2014, «César» avait présenté les quelque 55.000 clichés devant le Congrès américain. Ces photos, qui ont été identifiées, constituent aujourd’hui de précieuses preuves des pratiques d’un régime aux abois.
#StandwithCaesar (Soutien à César), ce hashtag, ou mot-dièse en français, s’est répandu sur Twitter le 11 août à l’appel de l’opposition syrienne. Quelques jours plus tôt, les clichés du photographe syrien (son vrai nom n'est pas donné pour des raisons de sécurité) étaient présentés au Congrès américain, à Washington.
"Soutien à César, un homme courageux qui a choisi de risquer sa vie pour dire au monde les crimes commis par Assad"
"Les photos clandestines de César prises dans les prisons d'Assad prouvent au monde qu'Assad est un Hitler 2.0. Soutien à César"
«Ces corps que nous avons, les plus de 10. 000 corps dont nous avons des photos, personne ne peut les ramener à la vie. Mais je suis ici parce qu’il y a plus de 150.000 personnes toujours incarcérées dans les prisons d’Assad. Et leur destin sera le même que ceux que j’ai photographiés.» Le 31 juillet, César mettait en garde, images à l’appui, contre un système de torture «à l’échelle industrielle».
Les photos prises par le photographe sont extrêmement choquantes. Elles montrent des corps d’une maigreur extrême, témoignant de l’utilisation de l’arme de la faim dans les prisons du régime. D’autres ont été victimes de strangulation, de lacération ou de brûlures. Tous ont reçu un numéro, inscrit au marqueur sur le torse ou sur un petit carton à côté du corps.
En janvier, Le Monde rapportait les paroles d’Emaddin Rachid, un opposant syrien, présent à Montreux, en Suisse, lorsque les images ont été vues pour la première fois à l’occasion de la Conférence Genève II sur la Syrie. «Tuer ses opposants, ça fait partie de la routine du régime. Consigner la tuerie, c’est simplement aller au bout de la routine», déclarait-il alors pour expliquer la minutie du régime de Bachar al-Assad dans l'identification des morts.
Le rapport réalisé en janvier à partir des photos de César (attention, les images peuvent être choquantes) complète cette explication. Les corps sont numérotés et photographiés «premièrement, pour permettre la rédaction d’un certificat de décès sans que les familles ne réclament de voir les corps et éviter que les autorités n’aient à délivrer les véritables circonstances de leur mort. Deuxièmement, pour apporter la preuve que les ordres d’exécuter ces personnes ont bien été remplis».
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité
Au-delà du fait que ces images donnent des précisions sur les méthodes utilisées par le régime de Bachar al-Assad, elles devraient permettre à la justice internationale d’engager des poursuites à l’encontre du régime syrien. Bachar al-Assad et les principaux responsables de l'armée pourraient ainsi être jugés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
C’est pour cette raison que leur identification a été fondamentale. La parole même de César a dû être mise en question: il s'agissait de s'assurer que ce qu’il disait était véridique. Interrogé en janvier 2014, le photographe a affirmé aux enquêteurs qu’il n’avait jamais assisté à aucune séance de torture, ni aucune exécution. Son rôle se limitait à la photographie des victimes.
«Il n’a pas embelli les choses», a déclaré à la BBC David Crane, un enquêteur ayant servi comme procureur en chef du tribunal spécial pour la Sierra Leone. Kip Hale, un ancien avocat pénal à la Chambre extraordinaire d’un tribunal du Cambodge, confie quant à lui : «César est important parce qu’il corrobore la connexion entre le lieu du crime et le gouvernement». Il ajoute : «La chose la plus difficile dans une cour internationale criminelle est de prouver qu’une criminalité de masse est organisée par le gouvernement».
«What are we actually doing about it ?»
La question («Que faisons-nous en réalité à ce sujet ?») est posée par un journaliste du Daily Beast, et vient inévitablement à l’esprit, lorsque l’on parcourt le rapport réalisé à partir des photos de César. L’objectif premier de ces images est l’identification des corps mais, au-delà, elles doivent aussi servir de preuves pour faire condamner les autorités de Damas.
«La CPI (Cour pénale internationale ndlr) est le mécanisme le plus légitime et approprié pour rechercher la justice en Syrie. La Russie et la Chine ont opposé leur véto à une résolution qui permettait d’établir la responsabilité des deux parties du conflit (le régime syrien et les groupes djihadistes, ndlr) pour les crimes contre l’humanité et crimes de guerre, largement documentés», avait réagi Shawan Jabarin, vice-président de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme).
Pour Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human rights watch, «le rapport a déjà été utilisé comme outil diplomatique». «La France avait déposé fin mai une résolution devant le Conseil de sécurité de l’Onu pour que la Syrie soit déférée devant la Cour pénale internationale», précise-t-il. C’est justement ce document qui a permis à la délégation française d’attester de la pratique de la torture à grande échelle en Syrie et de justifier une demande de jugement. Force est pourtant de constater que le rapport César n’aura pas suffi pour que les Nations unies agissent. Jean-Marie Fardeau s'insurge par ailleurs, contre les actes de torture que le régime syrien inflige à des enfants. «C’est la première fois que je vois un phénomène de torture systématique s’étendre aux enfants», confie-t-il.
Dans le dossier syrien, les circonstances aggravantes s’accumulent. Peu de chance pourtant que Bachar al-Assad ne soit traduit devant une cour de justice avant qu’il n’ait quitté le pouvoir. Les dernières affaires de la CPI ont montré qu’il fallait que les accusés aient perdu la partie avant qu’ils ne comparaissent.
Fin juillet 2014, «César» avait présenté les quelque 55.000 clichés devant le Congrès américain. Ces photos, qui ont été identifiées, constituent aujourd’hui de précieuses preuves des pratiques d’un régime aux abois.
#StandwithCaesar (Soutien à César), ce hashtag, ou mot-dièse en français, s’est répandu sur Twitter le 11 août à l’appel de l’opposition syrienne. Quelques jours plus tôt, les clichés du photographe syrien (son vrai nom n'est pas donné pour des raisons de sécurité) étaient présentés au Congrès américain, à Washington.
#StandWithCaesar a brave man who chose to risk his life to tell the world about Assad's crimes #Syria pic.twitter.com/RlwUvUpeOw
— Syrian ETF (@syrianetf) August 11, 2014
GRAPHIC: Caesar's smuggled photos out of Assad's prisons prove to the world Assad is the Hitler 2.0. #StandWithCaesar pic.twitter.com/7dfZ7M6l6d
— Syria Campaigns (@SyriaCampaigns) August 11, 2014
«Ces corps que nous avons, les plus de 10. 000 corps dont nous avons des photos, personne ne peut les ramener à la vie. Mais je suis ici parce qu’il y a plus de 150.000 personnes toujours incarcérées dans les prisons d’Assad. Et leur destin sera le même que ceux que j’ai photographiés.» Le 31 juillet, César mettait en garde, images à l’appui, contre un système de torture «à l’échelle industrielle».
Les photos prises par le photographe sont extrêmement choquantes. Elles montrent des corps d’une maigreur extrême, témoignant de l’utilisation de l’arme de la faim dans les prisons du régime. D’autres ont été victimes de strangulation, de lacération ou de brûlures. Tous ont reçu un numéro, inscrit au marqueur sur le torse ou sur un petit carton à côté du corps.
En janvier, Le Monde rapportait les paroles d’Emaddin Rachid, un opposant syrien, présent à Montreux, en Suisse, lorsque les images ont été vues pour la première fois à l’occasion de la Conférence Genève II sur la Syrie. «Tuer ses opposants, ça fait partie de la routine du régime. Consigner la tuerie, c’est simplement aller au bout de la routine», déclarait-il alors pour expliquer la minutie du régime de Bachar al-Assad dans l'identification des morts.
Le rapport réalisé en janvier à partir des photos de César (attention, les images peuvent être choquantes) complète cette explication. Les corps sont numérotés et photographiés «premièrement, pour permettre la rédaction d’un certificat de décès sans que les familles ne réclament de voir les corps et éviter que les autorités n’aient à délivrer les véritables circonstances de leur mort. Deuxièmement, pour apporter la preuve que les ordres d’exécuter ces personnes ont bien été remplis».
Crimes de guerre et crimes contre l’humanité
Au-delà du fait que ces images donnent des précisions sur les méthodes utilisées par le régime de Bachar al-Assad, elles devraient permettre à la justice internationale d’engager des poursuites à l’encontre du régime syrien. Bachar al-Assad et les principaux responsables de l'armée pourraient ainsi être jugés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
C’est pour cette raison que leur identification a été fondamentale. La parole même de César a dû être mise en question: il s'agissait de s'assurer que ce qu’il disait était véridique. Interrogé en janvier 2014, le photographe a affirmé aux enquêteurs qu’il n’avait jamais assisté à aucune séance de torture, ni aucune exécution. Son rôle se limitait à la photographie des victimes.
«Il n’a pas embelli les choses», a déclaré à la BBC David Crane, un enquêteur ayant servi comme procureur en chef du tribunal spécial pour la Sierra Leone. Kip Hale, un ancien avocat pénal à la Chambre extraordinaire d’un tribunal du Cambodge, confie quant à lui : «César est important parce qu’il corrobore la connexion entre le lieu du crime et le gouvernement». Il ajoute : «La chose la plus difficile dans une cour internationale criminelle est de prouver qu’une criminalité de masse est organisée par le gouvernement».
«What are we actually doing about it ?»
La question («Que faisons-nous en réalité à ce sujet ?») est posée par un journaliste du Daily Beast, et vient inévitablement à l’esprit, lorsque l’on parcourt le rapport réalisé à partir des photos de César. L’objectif premier de ces images est l’identification des corps mais, au-delà, elles doivent aussi servir de preuves pour faire condamner les autorités de Damas.
«La CPI (Cour pénale internationale ndlr) est le mécanisme le plus légitime et approprié pour rechercher la justice en Syrie. La Russie et la Chine ont opposé leur véto à une résolution qui permettait d’établir la responsabilité des deux parties du conflit (le régime syrien et les groupes djihadistes, ndlr) pour les crimes contre l’humanité et crimes de guerre, largement documentés», avait réagi Shawan Jabarin, vice-président de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme).
Pour Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human rights watch, «le rapport a déjà été utilisé comme outil diplomatique». «La France avait déposé fin mai une résolution devant le Conseil de sécurité de l’Onu pour que la Syrie soit déférée devant la Cour pénale internationale», précise-t-il. C’est justement ce document qui a permis à la délégation française d’attester de la pratique de la torture à grande échelle en Syrie et de justifier une demande de jugement. Force est pourtant de constater que le rapport César n’aura pas suffi pour que les Nations unies agissent. Jean-Marie Fardeau s'insurge par ailleurs, contre les actes de torture que le régime syrien inflige à des enfants. «C’est la première fois que je vois un phénomène de torture systématique s’étendre aux enfants», confie-t-il.
Dans le dossier syrien, les circonstances aggravantes s’accumulent. Peu de chance pourtant que Bachar al-Assad ne soit traduit devant une cour de justice avant qu’il n’ait quitté le pouvoir. Les dernières affaires de la CPI ont montré qu’il fallait que les accusés aient perdu la partie avant qu’ils ne comparaissent.
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