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Offensive turque en Syrie : mais que font l'Otan, l'ONU et l'UE ?

Depuis le 9 octobre, l'armée turque a lancé une vaste offensive contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie. Face à cette opération militaire, les organisations internationales apparaissent bien impuissantes.

Article rédigé par franceinfo
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Le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Cavusoglu, et le sécrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, lors d'une rencontre à Istanbul, le 11 octobre 2019. (FATIH AKTAS / ANADOLU AGENCY / AFP)

"Les dysfonctionnements de l'Union européenne, de la coalition, de l'ONU font (...) qu'on n'arrive pas à rendre le chantage d'Erdogan inefficace." Ces mots sont ceux du représentant de l'administration semi-autonome des Kurdes syriens en France, Khaled Issa. Depuis le mercredi 9 octobre, l'armée turque a lancé une offensive contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie. Une opération militaire condamnée plus ou moins fermement par les grandes organisations internationales, bien incapables de prendre des mesures pour y mettre fin.

Une situation qui n'étonne pas Dominique David, conseiller auprès du président de l'Ifri (Institut français des relations internationales) et rédacteur en chef de Politique étrangère. "Lorsque les choses deviennent sérieuses, c'est toujours la diplomatie inter-étatique qui est aux manettes et ce sont les organisations internationales qui mettent en musique ce qui est décidé." Franceinfo fait le point sur les moyens dont disposent l'Otan, de l'ONU et de l'Union européenne pour contraindre Ankara à revoir sa position. 

L'Otan tiraillée face à l'offensive de l'un de ses membres

Beaucoup de prudence. Voici comment la réaction de l'Otan à l'offensive turque en Syrie peut se qualifier, alors que le pays de Recep Tayyip Erdogan est un membre important de l'Alliance atlantique. Ainsi, le 9 octobre, jour du début de l'opération, le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a déclaré compter "sur la Turquie pour agir avec retenue et veiller à ce que les progrès que nous avions réalisés dans la lutte contre l'Etat islamique ne soient pas compromis". Il dit avoir demandé à la Turquie de "veiller à ce que toute action qu'elle pourrait entreprendre dans le nord de la Syrie soit proportionnée et mesurée".

Même discours deux jours plus tard. En visite en Turquie, Jen Stoltenberg a de nouveau exhorté Ankara à agir "avec retenue", lors d'une conférence de presse avec le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu"Je lui ai fait part de mes sérieuses préoccupations au sujet de cette opération et sur les risques de davantage de déstabilisation dans la région", a-t-il ajouté.

Une position qui ne surprend absolument pas Dominique David. "La Turquie est un membre important de l'Otan pour des raisons stratégiques. C'est le pays qui ferme les détroits, c'est un endroit où les Etats-Unis ont déployé des armes nucléaires et ont installé des bases, indique le chercheur à franceinfo. Pendant la guerre froide, c'était un lieu fondamental, et cela reste aujourd'hui un pion extrêmement important dans la région." Pour ce spécialiste, "l'ambivalence de la position de l'Alliance atlantique s'explique par l'intérêt stratégique de la Turquie". Néanmoins, "il ne faut pas qu'ils aillent trop loin", ajoute-t-il. "S'il y a une déstabilisation générale de la région, ça poserait des problèmes stratégiques à l'Otan". 

Si l'Otan devait agir, quels seraient ses moyens de pression ? Ils semblent bien limités. L'ancien président de la République, François Hollande, a proposé une suspension de la Turquie de l'Alliance. Un non-sens pour les experts. "Suspendons, et après ? Vous pensez qu'Erdogan va retirer ses troupes ?", interroge, de son côté, Bertrand Badie, enseignant-chercheur associé au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri). 

L'ONU bloquée par le Conseil de sécurité

Du côté de l'ONU, les déclarations sont à peu près similaires. Mercredi 9 octobre, le président en exercice du Conseil de sécurité, l'ambassadeur sud-africain Jerry Matthews Matjila, a appelé la Turquie à "épargner les civils" et à "exercer un maximum de retenue". Lundi 14 octobre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a de son côté affirmé qu'il était "gravement préoccupé" par l'évolution de la situation dans le nord de la Syrie. Il a également appelé "à une désescalade immédiate" et exhorté "toutes les parties à résoudre leurs problèmes de manière pacifique".

"L'ONU n'est pas dans la même situation que l'Alliance, elle n'a pas le même objet social, ce n'est pas une organisation humanitaire mais un syndicat d'Etats qui est géré par un conseil d'administration, le Conseil de sécurité", métaphorise Dominique David. Et justement, une première réunion a eu lieu jeudi 10 octobre. Elle s'est soldée par des divisions prévisibles parmi les quinze membres du Conseil et une déclaration des seuls Européens, réclamant l'arrêt de l'offensive turque.

Au terme de 24 heures de tergiversations, la Russie et la Chine ont bloqué, le lendemain, un texte des Etats-Unis exigeant l'arrêt des opérations turques dans le nord de la Syrie. "La Russie est entre deux chaises, elle ne peut pas approuver l'intervention turque mais elle a également opéré un rapprochement avec la Turquie depuis quelque temps", souligne Dominique David.

Et depuis la semaine passée ? Pas grand-chose, si ce n'est une nouvelle réunion réclamée par les membres européens (la France et le Royaume-Uni en tant que membres permanents, l'Allemagne, la Belgique et la Pologne pour un mandat de deux ans), qui s'est tenue mercredi 16 octobre. Dans une très courte déclaration, adoptée à l'unanimité, les quinze membres du Conseil s'inquiètent "du risque de dispersion" des jihadistes prisonniers dans le nord-est de la Syrie. Ils font également part de leur "grande préoccupation" face à l'éventualité d'une "détérioration accrue de la situation humanitaire". Proposé par la France, ce court texte ne contient cependant ni condamnation de l'offensive turque, ni demande d'arrêt des opérations.

L'UE impuissante et divisée

L'Union européenne apparaît bien impuissante. Mercredi 9 octobre, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a lui aussi exhorté à la "retenue" et demandé à ce que la Turquie cesse son opération militaire en cours. Cinq jours plus tard, les Etats membres ont condamné l'intervention mais ils ne sont pas parvenus à s'entendre pour imposer un embargo sur les ventes d'armes à la Turquie. Ils se sont simplement engagés dans une déclaration commune à "adopter des positions nationales fermes concernant leur politique d'exportation d'armements vers la Turquie". "Nous n'avons pas de pouvoirs magiques", a dû concéder le ministre espagnol des Affaires étrangères et futur haut représentant de la politique étrangère de l'UE, Josep Borrell.

Les Européens sont en revanche parvenus sans peine à s'entendre pour sanctionner les activités illégales de forage d'hydrocarbures menées par la Turquie dans les eaux chypriotes en Méditerranée orientale. "C'est cosmétique, réagit Dominique David. Les Européens n'ont pas d'intérêts convergents, notamment en matière de ventes d'armes. Et puis, il y a le problème des migrants, qui est massif. La Turquie effectue une politique de rétention de migrants à notre profit, ils peuvent très bien montrer de la mauvaise volonté."

L'UE est paralysée par ses divergences internes et sa position très ambiguë vis-à-vis de la Turquie. C'est un acteur léger dans cette affaire.

Dominique David, conseiller auprès du président de l'Ifri

à franceinfo

Au final, "on ne peut effectivement rien faire. Techniquement, rien n'est possible et les Turcs le savaient (...) C'était pratiquement gagnant pour eux" dès le départ, résume Bertrand Badie. "On était tellement habitués à ce que quelques puissances (extérieures) fassent régner l'ordre dans cette région du monde qu'on n'a pas pu imaginer que, maintenant, le premier rôle était tenu par les puissances régionales", dit-il à l'AFP. "C'est la revanche des puissances régionales locales", Turquie et Iran en tête, analyse-t-il. 

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