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Alep: histoire d'une ville multi-millénaire, symbole de la Syrie en guerre
Alep. Aujourd’hui ville martyre. Hier, cité longtemps prospère. La deuxième ville de Syrie, peuplée d’environ 1,6 million d’habitants en 2009, est une des plus vieilles cités du monde. Retour sur l’histoire d’Alep, classée au patrimoine mondial de l’humanité, habitée depuis au moins le IVe millénaire avant Jésus-Christ.
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Déjà connue dans le monde antique – des tablettes cunéiformes mentionnent même un centre urbain datant de 5000 ans avant J-C. et elle est mentionnée dans les civilisations amorrite, hittite, assyrienne –, la cité connue aujourd’hui sous le nom d’Alep a longtemps été un prospère carrefour marchand: «Elle est le passage du Nord au Sud, de l’Anatolie au Moyen-Orient et de l’Est à l’Ouest, de la Mésopotamie à la Méditerranée» et un carrefour culturel et linguistique. Certains y voient «le plus ancien foyer de peuplement continu au monde».
Du fait de sa position stratégique, la ville a toujours été disputée et a connu une histoire agitée. Le site de sa célèbre citadelle aurait été du temps des Amorrites dédié au dieu de l'orage. Abraham y serait passé et après avoir été entre les mains de tous les empires de la région (perse, grec, romain), elle est devenue arabe en 637. Elle n'est alors qu'une ville frontière entre les puissance musulmanes et byzantine.
Alep connaît une période particulièrement faste à la fin du premier millénaire sous la férule du royaume chiite des Hamdanides. Dans le contexte agité de la région, la cité a ensuite du mal à retrouver sa splendeur.
C'est à partir de là qu'apparaissent les principaux monuments de la ville : la grande mosquée, bâtie en 715 par le calife al Walid, reconstruite en 1129 par Nur ad-Din, la Madrassé Halawiyé, sur l'emplacement de l'ancienne cathédrale Sainte-Hélène, la citadelle, bâtie par l'Hamdanide Ali Sayf al-Dawla sur un tell remontant à l'antiquité, les souks (marchés couverts), les khans (caravansérails).
Alep connaît une période particulièrement faste à la fin du premier millénaire sous la férule du royaume chiite des Hamdanides. Dans le contexte agité de la région, la cité a ensuite du mal à retrouver sa splendeur.
C'est à partir de là qu'apparaissent les principaux monuments de la ville : la grande mosquée, bâtie en 715 par le calife al Walid, reconstruite en 1129 par Nur ad-Din, la Madrassé Halawiyé, sur l'emplacement de l'ancienne cathédrale Sainte-Hélène, la citadelle, bâtie par l'Hamdanide Ali Sayf al-Dawla sur un tell remontant à l'antiquité, les souks (marchés couverts), les khans (caravansérails).
Une pyramide de têtes coupées
Elle subit des sièges sanglants lors des croisades, mais reprend des couleurs lorsque la situation de la région se stabilise. «Saladin devient le maître d’Alep en 1183 avant de laisser le pouvoir à son fils el-Zahir Ghazi. La ville se transforme pour prendre des traits aujourd’hui encore visibles. La citadelle, résidence du pouvoir, contient le palais, la grande mosquée et une entrée monumentale qui mène au tell», explique l'historien Eric Valet qui évoque Alep comme «un livre de pierre» en raison des nombreuses inscriptions qui couvrent les monuments.
C'est à ce moment-là qu'Alep subit les horreurs des invasions Mongols, en 1260. En 1400, Tamerlan (Timour Leng) pour punir sa résistance aurait massacré la population et construit une pyramide de 20.000 têtes coupées…
L'empire ottoman
Pour M.Valet, «outre ses richesses propres, Alep devient le principal marché de la Syrie, détrônant Damas. Les marchands italiens et vénitiens se déplacent ainsi progressivement de Damas vers Alep. Au XVIe siècle, les Vénitiens font l’essentiel de leur commerce avec le Levant à Alep. Ville carrefour, Alep apparaît aussi "ville réceptacle". S’installent des communautés juive et arménienne.»
En 1516, la ville et sa région entrent dans le giron de l’empire ottoman, dont le pouvoir est installé à Constantinople depuis 1453. Longtemps la ville a été prospère, au moins jusqu'à la fin du 18e siècle. L'artisanat et le commerce sont dynamiques. Les communautés chrétiennes (présentes depuis la naissance de la chrétienté et majoritaires jusqu'à 12e siècle) et musulmanes qui peuplent la ville cohabitent et s'entendent pour développer l'économie.
Au cours des siècles suivants, la ville pâtit du changement des routes commerciales. Le développement des routes maritimes lui fait perdre une partie de son rôle de carrefour et son artisanat est de plus en plus concurrencé par les produits industriels européens.
Le mandat français
Comme toute la Syrie actuelle, Alep passe sous mandat français après la guerre de 14, à la suite des accords Sykes-Picot. Dans ce cadre, un éphémère Etat d’Alep est créé, mais la ville souffre de cette domination. Elle souffre aussi des nouvelles frontières politiques qui la privent de ses routes commerciales traditionnelles. En 1945, le pays devient indépendant, dans des conditions difficiles. Entre nationalisme arabe et socialisme dictatorial, il a du mal à progresser. Une situation qui se ressent dans la deuxième ville du pays.
«Dans les années 1960, l’élite chrétienne a commencé à partir en raison des nationalisations des entreprises et des écoles sous le régime baasiste. Ceux qui sont restés ont passé des compromis avec le régime. Les Arméniens ont ainsi pu conserver leurs écoles», raconte Bernard Heyberger, directeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
Cette situation n'empêche pas le développement de la ville. La population a beaucoup augmenté en raison de l'exode rural. Alep qui était mal considérée à l'époque d'Hafez al-Assad profite cependant des réformes libérales des débuts de son fils, Bachar, note le chercheur.
Avant le début de la guerre civile, le tourisme s'était développé en Syrie. Un tourisme dont Alep profitait grâce à ses merveilles architecturales et la beauté de son musée. «Sa citadelle du XIIIe siècle, sa Grande Mosquée du XIIe siècle et plusieurs madrassas, palais, caravansérails et hammams du XVIIe siècle donnent au tissu urbain d'Alep un caractère harmonieux et unique», note l’Unesco sur son site à propos d’Alep.
A l'indépendance, Alep comptait une communauté de plusieurs milliers de juifs. En 1947, un pogrom fit plusieurs dizaines de victimes. Aujourd'hui, il n'y aurait plus aucun juif dans la deuxième ville de Syrie.
La guerre civile
Depuis l’indépendance de la Syrie, la ville d’Alep a connu un important développement. Dépassant l’artisanat traditionnel – notamment le célèbre savon d’Alep connu depuis 5000 ans –, la cité s’est industrialisée et la ville historique s’est noyée au milieu de nombreux nouveaux quartiers.
La guerre civile a touché Alep comme le reste du pays. Mais pour le journaliste Sammy Ketz, «Alep est restée en retrait du mouvement insurrectionnel. Au début, Alep a plutôt profité de la révolte, avec un boom économique en 2011, les Syriens remplaçant les touristes étrangers. En juillet 2012, les rebelles s’infiltrent dans la capitale économique. A Alep, il n’y a jamais eu de guerre de religion avant le conflit actuel : 80% de la population est sunnite, le reste étant majoritairement chrétien. Les oppositions sont donc d’une autre nature : économique d’une part, mais surtout entre les "vrais" Alépins et les ruraux nouvellement arrivés.» Une lutte sociale.
«Qui contrôlera Alep aura gagné la guerre»
D’importantes destructions ont touché tous les quartiers, y compris les monuments historiques. La ville a perdu une grande partie de sa population. Et notamment une grande partie de sa communauté arménienne (environ 80.000 personnes) qui avait trouvé refuge en Syrie, et notamment à Alep, après le génocide en Turquie. Plusieurs milliers d’entre eux ont quitté le pays.
En raison de son passé et de sa position géographique, le régime ne peut laisser Alep à l'opposition armée. «Chacun sait que le camp qui contrôlera Alep aura gagné la guerre», affirme Sammy Ketz.
Même en ruines, Alep reste un trésor.
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