Souvenirs d'une première en Afghanistan, par Dorothée Olliéric
A Gilles Jacquier, un peu de cet Afghanistan… que tu aimais.
Dorothée Olliéric
La première fois que j’ai proposé un reportage en Afghanistan à ma rédaction, c’était à l’automne 1996. Les talibans, que l’on appelait alors les «moines-soldats», apparaissaient sur la scène afghane. En silence, ils traversaient les villages, un Coran dans une main, une kalachnikov dans l’autre. Personne ne leur opposait de résistance. Las de trop de guerre et de sangs versés, la population accueillait ces hommes, religieux, droits et hiératiques, comme des messagers de paix.
Ils allaient dessiner un nouveau visage à ce pays ravagé et divisé entre les seigneurs de guerre. A l’époque, je pressentais un tournant fondamental en Afghanistan. Mais, je n’imaginais pas qu’en 2012, les talibans feraient toujours l’actualité. Qu’ils seraient toujours là seize ans après, poussant au retrait une coalition internationale dont le bilan est bien en-deça des espérances initiales.
Ce fut difficile de convaincre mes rédacteurs en chef de l’époque d’un départ en Afghanistan : «Trop loin», «trop éloigné des préoccupations des gens»… Bref, le sujet ne leur semblait pas très «vendeur». A cela s’ajoutait l’inquiétude de voir une femme (en l’occurrence moi) dans l’incapacité de pouvoir faire son métier de reporter, car à l’époque les talibans interdisaient le travail des femmes ! J’avais répondu que «j’en faisais mon affaire». Que je n’avais pas à subir la loi des talibans.
Et je suis partie. Direction Peshawar…
Une vague autorisation délivrée par les talibans sur papier libre. Un tampon. Nous sommes parmi les premiers journalistes à traverser la frontière désormais aux mains des talibans, étudiants en théologie. Une traversée du miroir vers un monde irréel avec le caméraman, Jean-François Hoffman, le preneur de son Alain Kropfinger et la monteuse, Sabine Albertelli.
Les filles voilées de la tête au pied. Les garçons barbe naissante. Nous prenons la route de la Khyberpass puis remontons sur Kaboul. L’Afghanistan me happe et me bouleverse. Les couleurs extrêmes. Du bleu du ciel sans nuage, du vert de la vallée immense, du gris des montagnes sacrées. Un décor splendide, majestueux, intimidant.
Arrivée à Kaboul… Le bruit des chars dans le centre
Des talibans aux turbans blancs magnifiquement enroulés, un long côté toujours laissé pendant plus bas que l’épaule. Des cheveux noirs, longs, des barbes fines longues… Tout est en longueur. En langueur. En beauté pashtoune. Les yeux cernés de Khôl. Jamais vu pareils rebelles.
La prise de Kaboul… comme dans un film. En cinémascope. On dirait des acteurs. Ils ont la beauté du diable.
Nous allons les filmer, les interviewer. Je regarde le taliban qui regarde mon interprète et jamais ne jette un regard ( même discret ) vers la femme que je suis. Ma présence semble même les étouffer, les terroriser, un peu. Les seules femmes que l’on croise alors sont des fantômes sous leurs burqas où le vent s’engouffre souvent… Voiles gonflés, femmes déjà à la dérive.
Ils brûlent. Ils détruisent. Ils effacent
Tout symbole de modernité et de mixité est rayé de la surface de Kaboul. La musique est prohibée, le sport, le travail et l’éducation des filles, des femmes… Tout ce qui détourne un homme, ou une femme, de la religion. Du droit chemin. Le seul acceptable aux yeux des talibans.
Un médecin ne peut plus ausculter une femme. La gente féminine est parquée voilée à l’arrière des bus. La chape de plomb s’abat sur Kaboul. En même temps que le silence.
Du haut de leurs espoirs pour changer le pays, les talibans distribuent de petits papiers pour expliquer leur vision, leur Loi ! J’en ai ramassé un. En octobre 1996. Par terre. Voilà ce qui est écrit :
« Commandements de la charia sous les talibans...
Femmes, vous ne devez pas sortir de votre foyer. SI vous le faites, ce ne doit pas être comme les femmes qui, avant l’arrivée de l’islam dans ce pays, avaient l’habitude de sortir avec des vêtements à la mode et de se maquiller abondamment pour s’exposer à la vue de n’importe quel homme.
L’islam est une religion salvatrice qui a établi la dignité spécifique de la femme : les femmes ne doivent pas permettre que soit attiré sur elles l’attention d’hommes mauvais les regardant d’un mauvais regard. Les femmes sont charger d’élever et de rassembler leur famille et de s’occuper des repas et des vêtements.
Quand les femmes sont obligées de sortir de chez elles, elles doivent se couvrir conformément à la charia. Si des femmes sortent avec des vêtements modernes, ornés, ajustés et conçus pour plaire, afin de s’exposer à la vue de tous, elles seront maudites par la charia islamique et ne pourront jamais s’attendre à arriver au ciel. Elles seront menacées, feront l’objet d’enquêtes, seront sévèrement punies par la police religieuse, comme par les anciens de la famille. La police religieuse a la responsabilité et le devoir de lutter contre ces problèmes sociaux et elle poursuivra ses efforts jusqu’à l’anéantissement du mal.»
En guise de signature. Un Allah U Akbar. Dieu est grand.
Reportage à Kaboul sur les femmes afghanes
Reportage de Dorothée Olliéric et Gilles Jacquier, diffusé au 20h de France 2, le 24 mars 2001
Retour dans l'Afghanistan de l'avant-11 Septembre
Je suis retournée en Afghanistan tout au long des années qui ont suivi. Les talibans étaient toujours là. J’ai rencontré et interviewé des femmes bien courageuses. Levant toujours un coin de leur burqa pour m’offrir leur témoignage. Souvent au péril de leur vie.
En avril 2001, c’est avec Gilles Jacquier que je reprends le chemin de l’Afghanistan. Nous sommes dans l’avant-11 Septembre 2001. La guerre à Ben Laden et aux talibans n’a pas encore été déclarée.
Gilles filme en caméra cachée. Les talibans sont partout. Menaçants. L’Afghanistan va basculer dans un autre monde…
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