Russie : il y a une "compétition" entre les pouvoirs locaux pour savoir "qui votera le plus pour le pouvoir"
L'historien Pierre Lorrain a expliqué, lundi sur franceinfo, que si certains résultats de l'élection présidentielle en Russie n'étaient pas très crédibles, cela s'expliquait avant tout par l'absence de culture démocratique dans ce pays.
Pierre Lorrain, historien et spécialiste de la Russie, a estimé, lundi 19 mars sur franceinfo, que si certains résultats de l'élection présidentielle qui a couronné à nouveau Vladimir Poutine dimanche n'étaient pas très crédibles, cela s'expliquait avant tout par l'absence de culture démocratique dans ce pays. "Même s'il n'y a pas de consignes venues du haut, les pouvoirs locaux trouvent toujours très malin de faire la compétition pour savoir qui votera le plus pour le candidat du pouvoir", a déclaré Pierre Lorrain, qui estime toutefois que le résultat obtenu par Vladimir Poutine est conforme à sa popularité auprès des Russes.
franceinfo : Vladimir Poutine a été réélu dimanche avec un score d'une ampleur sans précédent en plus de 18 ans de pouvoir, 76,7% des voix. Ce score est-il trop beau pour être crédible ?
Pierre Lorrain : Lorsque Vladimir Poutine recueillait avant l'élection des pourcentages de satisfaction dans la population russe de plus de 80%, le chiffre de 76% des voix, même s'il semble exagéré, et sans doute l'est-il, avec 80% de popularité, c'est à peu près normal qu'il obtienne un tel score.
Alexeï Navalny, l'un des principaux opposants à Vladimir Poutine, qui n'a pas pu se présenter, a dénoncé des fraudes massives, vidéos à l'appui parfois, lors de cette élection. Les irrégularités ont-elles été nombreuses ?
D'abord, Alexeï Navalny n'est pas l'opposant numéro 1 au régime de Poutine. Les premiers opposants en Russie, ce sont les communistes, derrière vient Vladimir Jirinovski, qui était candidat et qui est candidat depuis très longtemps. Quand on dit que tous les candidats sont adoubés par le Kremlin, cela n'est pas vrai. Navalny, il s'est rendu inéligible tout seul parce qu'il ne respecte pas la loi. C'est un homme qui est populaire essentiellement en Occident et dans les milieux, en Russie, que l'on peut qualifier de "bobo". C'est le candidat hors norme, le candidat qu'on aime bien soutenir, mais pour qui on ne vote pas forcément. Aux élections municipales à Moscou, il y a quelques années, il avait obtenu un résultat appréciable de 20% des voix, mais Moscou, ce n'est pas l'ensemble de la Russie. En ce qui concerne les bourrages d'urnes, les votes achetés et autre, c'est vrai, mais le problème en Russie c'est qu'il n'y a pas de tradition démocratique. Même s'il n'y a pas de consignes venues du haut, les pouvoirs locaux trouvent toujours très malin de faire la compétition pour savoir qui votera le plus pour le candidat du pouvoir, c'est-à-dire pour Poutine. Donc, dans certaines régions, il y a une certaine forme de surenchère qui fait qu'on atteint des résultats de 90 ou 91% ce qui n'est pas, effectivement, très crédible.
Ce plébiscite est-il une façon de répondre aux Occidentaux dans l'affaire de l'ex-espion Sergueï Skripal, empoisonné au début du mois en Angleterre ?
Non, je ne crois pas. Cette affaire est venue se greffer au dernier moment, je pense qu'elle n'a pas réellement joué. De toute façon, l'élection, comme tout le monde le dit depuis que l'on sait que Poutine brigue un nouveau mandat, tout le monde savait qu'il allait être réélu, donc l'affaire Skripal n'a pas changé les choses. Par contre, ce qui est très clair, c'est qu'avec Vladimir Poutine pour six nouvelles années à la tête de la Russie, avec un candidat et maintenant un président qui dispose de tous les leviers du pouvoir et surtout de la volonté de s'opposer à ce que les Russes considèrent comme des diktats de l'Occident, je crois qu'il y a un rééquilibrage qui va se produire dans les réactions des uns et des autres. Déjà, les Britanniques mettent un peu d'eau dans leur vin à propos de l'affaire Skripal en acceptant de communiquer les résultats de l'enquête et de faire participer les enquêteurs russes. Je pense que c'est l'amorce d'une sorte de normalisation. Il faut compter avec Poutine pour les six prochaines années, tout le monde le sait bien.
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