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Pas de région pour la famille Le Pen, grande amie de la Russie de Poutine

Pas de présidence de région pour Marion Maréchal-Le Pen et Marine Le Pen. Si les médias russes en prennent note avec une relative sobriété, rappelons que Vladimir Poutine lui-même avait applaudi le score du FN aux départementales. Retour sur le parcours d'une famille et d'un parti qui se montrent depuis des années d'indéfectibles alliés du régime de Moscou.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La présidente du FN (photo de décembre 2015), candidate aux élections régionales en Nord-Pas-de-Calais, et sa nièce, candidate en PACA (photo d'avril 2014), sur fond de bulbes de la cathédrale Basile le Bienheureux (Moscou). (Joël Saget / AFP - Wojtek Buss / AGF / Photononstop )

Après le précédent scrutin pour les élections départementales, en mars 2015, le président russe lui-même s'était félicité à la télévision du score du Front national. On pouvait même lire dans le prestigieux quotidien américain International Herald Tribune (depuis racheté par le New York Times), sous la plume de John Vinocur, que le vrai vainqueur du scrutin en France était… Vladimir Poutine.

Les médias russes ont relativisé le score du FN au 1er tour
Au lendemain du premier tour des régionales, le 6 décembre 2015, les principaux médias russes ont accueilli plutôt sobrement les résultats du premier tour. «Marine Le Pen devant Hollande et Sarkozy» –  le titre choisi par l'hebdomadaire indépendant Novaïa Gazeta (lien en russe) – et les 42% de Marion Maréchal-Le Pen dans le sud-est de la France ont été replacés dans le contexte des récents attentats et relativisés.

Même si, dans un article intitulé «D'autres Poutine vont arriver au pouvoir en Occident», le journal économique Vzgliad (en russe) citait la vision de cauchemar pour 2017 du journaliste du Financial Times Gideon Rachman  : «Trump président, Le Pen présidente, et Poutine président ?», les principaux titres de presse s'accordaient pour dire qu'il était très improbable que Marine Le Pen renouvelle un tel succès en 2017. 

Jeanne d'Arc, le retour
Lundi 14 décembre, les médias russes ont diversement commenté l'échec du FN à obtenir ne serait-ce qu'une présidence de région : la Komsomolka (proche du pouvoir - lien en russe) titre que «M.Le Pen ne considère pas les résultats des élections comme une défaite». Le site d'opposition Gazeta.ru (en russe), lui, consacre un long article à rappeler les fondamentaux du Front National (xénophobie, chauvinisme) et son projet anti-européen.

Sans surprise, l'extrême droite reste séduite. Une «biographie politique» intitulée Le Retour de Jeanne d'Arc (lien en russe) est en cours de traduction et paraîtra en France en janvier. L'auteur fait de Marine Le Pen «un nouveau de Gaulle» et la crédite d'une «sympathie sincère pour la lointaine sœur orientale de la France, la Russie». «Parviendra-t-elle à réaliser le rêve de sa vie, faire que sa belle France quitte les sombres liens de l'UE ?», se demande-t-il...

La couverture de la biographie de Marine Le Pen, «Le Retour de Jeanne d'Arc», par Kirill Venediktov, coll. «Politiciens du XXIe siècle», publiée par l'Institut d'études socio-économiques et politiques. (Politanalalitika.ru)

Nombre de politologues et d'éditorialistes russes ont vu dans l'absence de réponse européenne apportée au problème des migrants (abondamment traité par les télés russes) une explication à un vote sanction. Une question sur laquelle la chaîne pro-Kremlin Russie 1 a interviewé la dirigeante frontiste début décembre.

Portrait de Marion Maréchal-Le Pen en «blonde»
Russie 1 diffusait le 7 décembre des images de la gagnante du premier tour dans son bureau de vote d'Hénin-Beaumont, et restait fidèle sur place au soir de la défaite... La patronne du FN qui, avec sa nièce, bénéficie parfois d'une image étonnamment glamour à l'étranger, a fréquemment les honneurs des médias russes pro-pouvoir. La revue Profil faisait ainsi en mars dernier le «portrait d'une blonde», Marion Maréchal-Le Pen : une «étoile montante» de «stature nationale», et pas une «Marion-nette».

Un long portrait de «la blonde Marion Maréchal-Le Pen» dans le magazine «Profil», le 26 mars 2015. (Profil / Capture d'écran)

Tout ce que la Russie compte de conservateurs acharnés voit la tante d'un aussi bon œil... Sur les questions de société, les valeurs «famille, patrie» du FN, proches de la Manif pour tous (appréciée par une partie de la société russe) rejoignent celles de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine.

Valeurs communes
«Aujourd'hui, il y a une grande nation, une seule, qui au plus haut niveau de l'Etat avec Vladimir Poutine, défend les valeurs traditionnelles, qui refuse le diktat des LGBT (homosexuels)», jugeait en janvier 2015 l'eurodéputé frontiste Aymeric Chauprade au cours d'un dîner moscovite sur la péniche de l'oligarque milliardaire Konstantin Maloféïev, considéré comme un proche du président russe. «Ce n'est pas un hasard si les Femen (...) s'attaquent à la Russie, s'attaquent à au FN (...). Elles s'attaquent à nous parce que nous sommes les défenseurs d'un certain nombre de valeurs naturelles.»

Même son de cloche du côté de l'Antimaïdan, ce mouvement violemment opposé à la révolution ukrainienne. Le Club des lecteurs de l'historien stalinien Nikolaï Starikov, l'un de ses fondateurs, affichait  le 9 décembre son sentiment sur 
Twitter (en russe) «Nos cœurs réclament des changements.» «Le régime de tolérance effrenée qui a cours en France chancelle avec la victoire de Le Pen aux régionales», se réjouissait le site Politrussia (en russe).

Alignement en forme d'allégeance 
Le site InoSmi, consacré aux médias étrangers, publiait le 7 décembre 2015 la traduction d'une tribune du très à droite quotidien italien Il Tempo intitulée «Marine Le Pen et Vladimir Poutine ont rendu aux Italiens la foi dans l'humanité» et, pour faire bonne mesure, un article du socialiste néerlandais Joost Lagendijk sur la haine de la Turquie et de l'UE, commune à Marine Le Pen et au président russe. 

Que ce soit en Turquie, en Syrie, dans le Donbass ou en Crimée, tout ce que dit et fait Vladimir Poutine semble d'or pour Marine Le Pen et sa nièce. Les deux têtes du Front, qui veut «construire l'avenir de l'Europe avec la Russie», sont aussi les têtes de pont du régime de Poutine en France. «Une alliance poussée fondée sur un partenariat militaire et stratégique» avec la Russie s'inscrit explicitement au programme du Front national.

Marion Maréchal-Le Pen, qui nie que son parti soit «l'œil de Moscou», se trouvait dans la capitale russe pas plus tard qu'en octobre, juste après le début des frappes russes en Syrie, pour «remercier les Russes de faire le travail que n'a pas eu le courage de faire le gouvernement français». 

La présidente du FN, elle, est ouvertement en admiration devant Vladimir Poutine, un «patriote» qu'elle couvre d'éloges à chaque occasion. Celle que les hommes du Kremlin (qui s'y connaissent en propagande) considèrent comme «la meilleure propagandiste de Russie» avait soutenu sans réserve l'annexion de la péninsule ukrainienne en 2014.

Un soutien fort payant 
Après cette annexion, le mouvement de hackers Anonymous a rendu publique une série de tweets entre un responsable du Kremlin et un proche de Vladimir Poutine. La conversation portait sur la meilleure façon de rétribuer le soutien du FN à la politique russe en Ukraine : ce qui fut fait via une aide financière de banques russes au parti de Marine Le Pen. Interrogée, celle-ci a décliné toute responsabilité personnelle et argué du refus des banques françaises. Quelques jours avant son congrès à Lyon, le Front National a confirmé avoir obtenu un prêt de 9 millions d’euros auprès de la banque russe First Cezch Russian Bank (FCRB).

Lors de ce congrès à Lyon, en novembre 2014, le FN a «déroulé le tapis rouge» au vice-président de la Douma russe, membre du parti présidentiel Russie unie. Andreï Issaïev, cité par FranceInfo, dit alors tout le bien qu'il pense de Marine Le Pen : elle est «pour les valeurs traditionnelles, la souveraineté, une Europe amicale», et «sa position vis-à-vis de la Russie est meilleure que celle de François Hollande».
Le vice-président de la Douma russe Andreï Issaïev était l'une des «guest-stars» du congrès du FN à Lyon fin novembre 2014. (REUTERS / Robert Pratta)

Des visites discrètes, voire secrètes, mais régulières
A la date de ce prêt, en mai 2014, Marine Le Pen a été aperçue aux abords de la Douma russe. Avant cette excursion gardée volontairement secrète, Le Figaro relate une visite en avril, au plus fort du conflit ukrainien, pour affirmer la convergence des vues frontistes avec le régime russe sur la question de la Crimée. La présidente du FN, reçue par Sergeï Narychkine, le président de la Douma, a alors dénoncé les sanctions européennes.

Jean-Marie Le Pen, qui lui aussi considère la Crimée comme russe, a fait le voyage jusqu'à Sébastopol quelques mois plus tard. Le fondateur du Front National est un vieil ami de l'utranationaliste russe Vladimir Jirinovski, qui partage son goût de la provocation. En 1996, invité à son mariage, il prônait une «fédération des droites».


Le fondateur du FN était en 1996 invité au mariage de l'ultranationaliste russe Vladimir Jirinovski,
en l'église de l'Archange Michaël... (Hector Mata / AFP )

Chez les Le Pen, l'amitié franco-russe se cultive de père en fille puis en petite-fille. Une amitié qui remonte à... Mai-68, date de la rencontre au Quartier latin de Jean-Marie Le Pen avec un sulfureux peintre monarchiste en mission pour le Kremlin, Ilia Glazounov. Depuis, la fille du patriarche frontiste a repris le flambeau du parti, et aussi la flamme pour le régime autocratique russe. Qui s'est même embrasée de façon spectaculaire.

Marine Le Pen sur la place Rouge, avant une rencontre avec le porte-parole de la Douma Sergueï Narychkine, le 26 mai 2015.
	  (AFP / Kirill Kudryavtsev )

Se rapprocher du FN, une stratégie du Kremlin
En 2014, Vincent Jauvert détaillait dans le Nouvel Obs les «liens très étroits noués par le Kremlin avec l'extrême droite européenne, au point de devenir l'épicentre d'une sorte d'Internationale brune». Le journaliste citait une étude intitulée The Russian Connection, où le politologue hongrois Péter Krekó «décortique les ressorts d'une stratégie qui ressemble fort à celle développée par le Kremlin avec les partis communistes au temps du bloc soviétique». Selon de nombreux spécialistes, le Kremlin, isolé sur la scène internationale, tentait alors d'exercer une influence en Europe via un réseau d'alliances avec les partis d'extrême droite.

Aujourd'hui, avec l'intervention en Syrie et malgré l'échec des négociations sur une coalition antiterroriste, «le monde se tourne vers Poutine», claironnait le site très pro-Kremlin Sputniknews le 5 décembre. «Marine et Marion», elles, n'ont pas attendu ce récent rapprochement diplomatique (lien abonnés) pour «draguer» le président russe – mais celui-ci a peut-être maintenant moins besoin de ces liaisons gênantes.

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