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Intervention en Syrie : les médias russes en pleine «guerre de l'information»

Face aux doutes de l'Union européenne et des Etats-Unis, qui suspectent les frappes russes en Syrie d'avoir visé des opposants à Bachar el-Assad et tué des civils, les médias pro-Kremlin lancent une grande contre-offensive à la «guerre de l'information orchestrée par l'Occident».
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Sur la version française du site Sputniknews, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova semble personnifier une «Russie victime d'une attaque médiatique»... (Capture d'écran)

Après les frappes lancées par la Russie sur le territoire syrien le 30 septembre 2015, les diplomaties occidentales et américaines n'ont pas tardé à exprimer leurs doutes, relayés par les médias de leurs pays respectifs. Selon de nombreuses indications, ces frappes auraient en fait visé l'opposition à Bachar al-Assad plutôt que les positions de Daech. Au moins trente-six civils, dont six enfants, seraient morts dans cette attaque. Mêmes soupçons en ce qui concerne douze nouvelles frappes menées le 2 octobre depuis la base de Lattaquié.  

Face aux critiques de la coalition occidentale, la Russie s'estime victime d'une «guerre de l'information» c'est la porte-parole du ministère des Affaires étrangères qui l'affirme et sa réplique a été immédiate. Vladimir Poutine lui-même a soutenu le 1er octobre que «les premières informations sur les victimes parmi les civils ont été publiées avant même le décollage des avions russes» et s'est dit «préparé à ces attaques médiatiques». Quant aux inquiétudes après la violation par la Russie de l'espace aérien turc, le 3 octobre, elles montrent bien que «l'Otan est elle aussi entrée dans cette guerre de l'information», selon le représentant russe de l'organisation, Alexandre Grouchko.

Les médias pro-Kremlin en campagne internationale contre la «guerre de l'information» 
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a aussitôt lancé une contre-offensive médiatique d'ampleur en appelant à «trouver des mécanismes de coordination de l’information». Les médias pro-Kremlin qui ciblent un public international, dont le site d'information lancé par le gouvernement russe, Sputniknews, et l'agence Russia Today, rivalisent depuis six jours de titres vengeurs : «Sergueï Lavrov (le ministre des Affaires étrangères russe) balaie les mythes sur les frappes russes en Syrie» ; «L'ONU avoue s'être trompée» ; «La Russie victime d'une attaque médiatique», voire carrément «L'Occident est jaloux du succès de la Russie en Syrie».

Le 5 octobre, Russia Today propose un diaporama «exclusif» des «bombes intelligentes utilisées par la Russie contre Daech». Pour faire savoir au public «qui se trouve derrière les sources accusant la Russie de frapper l'opposition en Syrie», le site a aussi mené une «enquête» sur l'OSDH, l'Organisation syrienne des droits de l'Homme responsable du «scoop» sur les victimes civiles. Russia Today a ainsi découvert qu'une photo – reprise par le magazine l'Express – pour illustrer les frappes du 30 septembre datait en fait de cinq jours plus tôt. 
Des méthodes qui rappellent celles utilisées – de part et d'autre – lors d'une autre «guerre de l'information», menée lors du conflit ukrainien.

«Exclusif !», sur le site de Russia Today, «découvrez les bombes intelligentes utilisées par la Russie contre Daech». (Capture d'écran)
Stratégie internet et réseaux sociaux

Mêmes conclusions chez Sputniknews dans un article titré Les Casques blancs inondent le Web d'intox. L'ONG White Helmets, «financée par le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Conseil national syrien», y est accusée de falsification de preuves, et aussi de «travailler en sous-main avec le Front al-Nosra, une filiale d'al-Qaïda». A noter, les mots-clés dans les «url» ou adresses de la version française de ces pages Web : «medias-propagande-faux-russie-syrie» ou «guerre-information-russie-daech», de façon à répondre à toute recherche orientée sur ces thèmes, indépendamment du titre ultérieur de l'article.

L'agence Sputnik a aussi créé sur Twitter le hashtag #RussiaVsISIL (RussieContreEI), qu'elle a alimenté en plusieurs langues. Impossible de ne pas penser à la désormais célèbre «usine à trolls du Kremlin», récemment condamnée par la justice russe elle-même. Des internautes étaient payés pour faire déferler sur la Toile des flots de tweets pro-Poutine, anti-Ukraine ou anti-américains. 

Sur Twitter, l'ambassade russe aux Emirats arabes unis se permet un peu d'humour (douteux ?) avec un dessin, repéré par le quotidien britannique The Independant et par 20Minutes, qui étiquette comme terroristes les groupes opposés au régime de Bachar al-Assad.


A la télé russe, le bulletin météo des frappes en Syrie
Sans surprise, les principaux quotidiens de Russie – la Pravda, le journal économique Kommersant, la Nezavissimaïa Gazeta – se rangent tous derrière Vladimir Poutine pour saluer son action contre l'Etat islamique. A la télévision, c'est l'audacieux bulletin météo en Syrie de Russie 24 qui décroche le «pompon» de l'information : une présentatrice blonde, tout de rouge vêtue, annonce des «conditions météo idéales pour les frappes aériennes». Au moins jusqu'à novembre, où les «sorties des avions risquent de devenir plus compliquées».


Ici, c'est le média d'opposition Radio Svoboda («Radio Liberté») qui tweete «le scandaleux bulletin météo de la télévision russe». A l'écran, l'infographie est titrée ainsi : «Les possibilités d'utiliser les bombardiers Su-24 et Su-34 en Syrie en octobre». Les internautes hésitent entre rire et se désoler d'un pays qui «fait des prévisions météo pour des bombardements et détruit de la nourriture au bulldozer».

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