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En Russie, on ne twerke pas devant les monuments aux morts

La Russie, qui prépare un 9-Mai d'anthologie pour le 70e anniversaire de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie, ne saurait tolérer les «danses lascives» devant ses monuments aux morts – qu'on se le dise. Trois jeunes filles ont écopé d'une peine de prison pour «vandalisme». L'affaire a bien entendu enflammé les réseaux sociaux russes. Et le twerk fait des émules...
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le «twerk»» de ces six jeunes filles, le 25 avril 2015, devant le monument aux morts «Malaïa Zemlia» («Petite Terre») de Novorossiisk a valu à trois d'entre elles de dix à quinze jours de prison ferme. (YouTube)

Ce vaste espace vert, avec sa surface bien plane et sa vue dégagée sur la mer et les montagnes, a dû leur sembler idéal pour une petite démonstration de twerk (danse venue du hip-hop, popularisée par la chanteuse Miley Cirus et consistant à... bouger ses fesses). Ne restait plus qu'à poster la vidéo sur les réseaux sociaux pour faire la promotion de leur école de danse. Oui mais… au second plan trône le mémorial Malaïa Zemlia («Petite Terre»), dédié aux marins russes qui ont débarqué en 1943 pour défendre le secteur de Novorossiisk.

Le clip, posté le 24 avril, a eu son petit succès : des millions de vues sur Internet. De quoi inciter la Commission d'enquête à se saisir de l'affaire et à lancer des poursuites pour «indécence». Le scandale est remonté jusqu'au Kremlin, où le chef de l'administration présidentielle Sergueï Ivanov a jugé «absolument inapproprié et contraire à l'éthique» le choix de l'endroit – en prenant soin de préciser qu'il n'avait «rien contre le twerk». Il faut dire qu'une autre histoire de twerk a récemment traumatisé le pays.

Twerkeuse aujourd'hui, traître à la patrie demain

Le 25 avril, le tribunal de Novorossiisk a condamné pour «vandalisme» trois des six jeunes «twerkeuses» de Novorossiisk à dix à quinze jours de prison ferme pour avoir exécuté une danse «érotique et sexuelle» devant le monument aux morts ; les deux autres ont reçu une amende, ainsi que la mère de la sixième, mineure. 

Les juges ont considéré ce twerk comme un «geste d'irrévérence inacceptable à l'égard de la mémoire de l'histoire de la guerre»  avec laquelle on ne plaisante pas, comme le montre l'interdiction du film Enfant 44«Toute tentative de profanation des sites à la gloire de l'armée sera immédiatement stoppée», ont-ils averti.
«Aujourd'hui tu danses le twerk, et demain ta patrie tu renies», ironise sur Twitter l'hebdomadaire ukrainien «Novoïé Vriémia» («Temps nouveau»), parodiant le slogan d'une affiche de l'époque de Khrouchtchev : «Aujourd'hui tu joues du jazz, demain tu trahiras ta patrie».  (Twitter @tweetsNV  )

La Russie prépare le 9-Mai avec le plus grand sérieux, et ce regain de sentiment patriotique évident depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence russe. D'autant qu'il s'agit cette année du 70e anniversaire de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie.

Quant à Novorossiisk, ce port de la mer Noire au sud de la Russie est justement l'une des douze «villes-héros de l'Union soviétique», titre honorifique accordé aux villes dont les habitants ont héroïquement défendu leur patrie au cours de la Grande Guerre patriotique (Seconde Guerre mondiale) de 1941 à 1945. 

Réponse des habitants offensés et pétition de soutien sur Internet
L'outrage à ce lieu «sacré» appelait une réponse, ont jugé ceux (les autorités de la ville ?) qui l'ont signée de «la jeunesse de Novorossiisk». Au nom de 5.000 habitants offensés, postée le 29 avril sous forme de vidéo, elle se voulait grandiose et digne : «Pas un mot de reproche envers les scandaleuses danseuses», relate l'hebdomadaire Argumenty i Facty, qui consacre à l'affaire tout un dossier. Juste la chanson Jour de victoire, exécutée et filmée avec un maximum d'effets. Les pauvres twerkeuses ne font pas le poids... 

Capture d'écran de la vidéo postée en réponse aux «twerkeuses» par les habitants de Novorossiisk.  (YouTube)

Les réseaux sociaux se sont bien sûr emparés du scandale, et la twittosphère s'est vite divisée en deux camps. Chez les réactionnaires habituels du microcosme politique russe, Vitali Milonov, célèbre pour sa loi contre la «propagande homosexuelle» et ses sorties anti-gays, s'est exprimé en faveur d'une punition, histoire de «faire réfléchir» une autre «chèvre décérébrée» qui pourrait avoir envie de recommencer.

Les nouvelles Pussy Riot (malgré elles ?) «se repentent», paraît-il, «profondément» de leur acte impie, selon la très conservatrice Komsomolskaïa Pravda. Le défenseur des droits de l'homme appelle à les libérer rapidement, ainsi que les représentants de la Chambre publique de Russie et l'Union de la jeunesse russe. Une pétition a été lancée sur les réseaux sociaux pour exiger la libération des jeunes filles.
 
Un twerk de solidarité sur la place Rouge
 La photo la plus partagée du 29 avril 2015 sur Twitter sous le hashtag #тверк (twerk) : les lycéens twerkant sur la place Rouge... A droite, les mêmes faisant un selfie après leur exploit. (Filipp Kireev, Twitter)

En signe de solidarité, des lycéens moscovites ont twerké sur la place Rouge de Moscou, devant la façade du Musée historique, puis ont fait un selfie devant la cathédrale Basile-le-Bienheureux. La Komsolmolskaïa Pravda se demande si c'est bien convenable. 

Mais qu'est-ce qu'«un twerk (politiquement) correct» ? Cet usager de Twitter a bien une petite idée... «A Berlin !» sur les traces de l'Armée rouge en 1945, avec les «Loups de la nuit», les motards pro-Kremlin.


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