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Armes, céréales, nucléaire... Quels sont les enjeux du sommet Russie-Afrique qui débute à Saint-Pétersbourg ?

Vladimir Poutine accueille à partir de jeudi ses partenaires africains. Isolé en raison de la guerre qu'il mène en Ukraine, le président russe cherche à renforcer ses liens politiques et économiques avec le continent.
Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Vladimir Poutine (au centre) accueille plusieurs chefs d'Etat africains lors du premier sommet Russie-Afrique à Sotchi, en Russie, le 24 octobre 2019. (VALERY SHARIFULIN / TASS / SIPA)

"Unir nos efforts pour la paix, le progrès et un avenir prospère", écrit Vladimir Poutine dans une lettre publiée sur le site du Kremlin à l'occasion du sommet Russie-Afrique. Le président russe reçoit à partir de jeudi 27 juillet les dirigeants des pays africains à Saint-Pétersbourg. Selon Moscou, 49 pays ont confirmé leur participation à la deuxième édition de ce sommet, après une première organisée en 2019 à Sotchi.

Le programme officiel prévoit "plus de 50 séances et tables rondes" durant deux jours, avec des thématiques allant de l'alimentation à l'énergie, ou encore la sécurité. La présence ou non des chefs d'Etat africains sera particulièrement observée, alors que la Russie apparaît isolée sur la scène internationale à cause de la guerre en Ukraine. Vladimir Poutine doit d'ailleurs prononcer un discours dans lequel il évoquera les relations russo-africaines et "la formation d'un nouvel ordre mondial". Voici les enjeux de ce sommet.

L'approvisionnement de l'Afrique en blé et engrais 

Après le retrait russe d'un accord crucial pour l'alimentation mondiale, Vladimir Poutine a garanti que Moscou continuerait à assurer l'approvisionnement en céréales de l'Afrique. "Notre pays est capable de remplacer les céréales ukrainiennes sur une base commerciale et sans frais, d'autant que nous attendons une autre récolte record cette année", a-t-il promis sur le site du Kremlin. Cette question devrait être abordée lors du sommet, qui prévoit un volet sur la souveraineté alimentaire du continent.

>> Guerre en Ukraine : six questions sur le retrait russe de l'accord sur les exportations de céréales

Selon les chiffres de l'ONU, en 2020, 15 pays africains ont importé plus de 50% de leurs produits à base de blé depuis la Russie ou l'Ukraine. Six de ces Etats (Erythrée, Egypte, Bénin, Soudan, Djibouti et Tanzanie) ont même acheté plus de 70% de leur blé dans la région. Selon le Kremlin, en 2022, la Russie a exporté 11,5 millions de tonnes de céréales vers l'Afrique, et près de 10 millions de tonnes supplémentaires ont été livrées au premier semestre 2023.

Au-delà des céréales, la Russie entend également sécuriser ses exportations en engrais et en matériel agricole. Moscou est l'un des principaux fournisseurs et producteurs en la matière sur le continent, rappelle Jeune Afrique. Quatre géants mondiaux russes du secteur y sont présents : EuroChem, Acron, PhosAgro et Uralchem-Uralkali. En 2021, Moscou a par exemple couvert 50% des besoins du Togo et 35% de ceux du Burkina Faso et du Sénégal. Le sommet prévoit ainsi d'aborder "la stabilité du marché des engrais comme gage d'éradication de la faim dans les pays africains" et le "transfert des technologies agricoles de pointe en Afrique", précise Jeune Afrique.

Les exportations d'armes, levier stratégique plus qu'économique

La Russie est le premier vendeur d'armes en Afrique subsaharienne, selon un rapport (PDF) publié mi-mars par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). Moscou devance ainsi la Chine, avec un total de 26% de parts de marché. Sur l'ensemble du continent, la Russie n'a pas d'égal ces dernières années, ayant fourni 44% des armes importées entre 2017 et 2021, soulignait dans son rapport précédent (PDF) la Sipri.

Toutefois, les bénéfices de ces exportations pour la Russie sont modestes, selon Siemon Wezeman, l'un des auteurs du rapport du Sipri. Interrogé par Le Monde, il observe que l'Afrique subsaharienne n'importe que peu d'armes par rapport à d'autres pays dans le monde. "Je serai surpris que l'on parle de plus d'un milliard de dollars" par an. "Les exportations militaires en Afrique ne sont pas les plus significatives pour la Russie, ni en termes de niveau technologique, ni en termes de recettes en devises, bien qu'elles constituent l'un des vecteurs de l'influence russe dans la région", confirme l'économiste Julien Vercueil sur France 24.

"Elles ont une dimension politique importante car elles participent au renforcement de régimes autoritaires", nuance auprès de la chaîne de télévision française Maxime Ricard, chercheur spécialiste de l'Afrique de l'Ouest à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem). D'autant plus dans les pays comme le Mali ou le Burkina Faso, qui ont demandé le retrait des troupes françaises.

L'avenir de Wagner en Afrique

Après la rébellion d'Evguéni Prigojine en Russie, des doutes ont été émis sur le futur des opérations du groupe paramilitaire en Afrique. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a promis que le travail des "instructeurs" de Wagner présents au Mali et en Centrafrique allait "bien sûr continuer", sans préciser la forme de ce partenariat.

Une vidéo non authentifiée partagée sur Telegram le 19 juillet montrait Evguéni Prigojine assurant que ses mercenaires ne se battraient plus en Ukraine, mais qu'ils devaient "se préparer pour "un nouveau voyage en Afrique". La présence et les déclarations des chefs d'Etat africains ayant fait appel à la milice seront donc scrutées lors du sommet. 

Pour la Russie, l'avenir de Wagner sur le continent est crucial. Le pays acquiert la plus grande partie de son influence "grâce aux outils non conventionnels et asymétriques qu'elle utilise notamment la cooptation des élites, la désinformation, l'ingérence dans les élections, le déploiement du groupe paramilitaire Wagne", écrit Joseph Siegle, directeur du programme de recherche au Centre d'études stratégiques de l'Afrique (Cesa), sur le site de cet organisme du Département de la défense américain.

La poursuite des investissements dans les hydrocarbures et le nucléaire

Dans sa lettre en amont du sommet, Vladimir Poutine déclare que les entreprises russes veulent "travailler plus activement" avec le continent, en particulier dans le domaine nucléaire, l'exploration minière ou celle des hydrocarbures. Ces dernières années, Moscou a lancé plusieurs projets en Afrique. Ainsi, en Egypte, le géant russe du secteur nucléaire Rosatom a entamé en 2022 la construction de la première centrale du pays, à El-Dabaa, sur les bords de la Méditerranée. En 2019, lors du sommet de Sotchi, le patron de l'agence nucléaire russe précisait que son entreprise disposait de protocoles d'accord avec 18 pays africains.

De son côté, le groupe pétrolier Rosneft est depuis plusieurs années particulièrement bien implanté au Mozambique, notamment pour exploiter le gaz. Selon le ministère russe de l'Energie, Moscou a par ailleurs plusieurs projets pétroliers en Afrique, chapeautés principalement par le groupe privé Loukoïl. Moscou a aussi souligné vouloir "intensifier" la coopération énergétique avec l'Algérie, important exportateur de gaz naturel.

"Dans ces domaines, les Russes ont une carte à jouer car ils proposent des expertises abordables et des normes souvent plus souples [que l'Occident]", analyse auprès de France 24 Adama Gaye, journaliste sénégalais. "La question aujourd'hui est plutôt de savoir si la Russie est encore en capacité de mener ces investissements car elle n'est plus aussi puissante financièrement qu'elle ne l'était lors du sommet de Sotchi."

Montrer que la Russie n'est pas isolée

Au-delà des objectifs économiques, Moscou compte sur ce sommet pour afficher "une perception de retour à la normale", analyse Joseph Siegle sur le site du Cesa. Malgré la guerre en Ukraine, le mandat de la Cour pénale internationale émis à l'encontre de Vladimir Poutine, ou encore la rébellion de Prigojine, "le sommet permet de démontrer que la Russie n'est pas un paria".

En vue de ce sommet, Moscou a déjà signifié être un rempart contre "l'impérialisme" et le "néocolonialisme" occidental. "Les véritables motivations de la Russie pour s'engager en Afrique sont de promouvoir ses intérêts géostratégiques – s'assurer un pied dans la Méditerranée à la frontière sud de l'OTAN, déplacer l'influence occidentale et normaliser la vision du monde de la Russie", analysait en janvier Joseph Siegle.

En effet, les investissements russes en Afrique restent limités, car les premiers partenaires commerciaux du continent sont l'Union européenne, la Chine et les Etats-Unis. "L'Afrique est plus importante pour la Russie que la Russie ne l'est pour l'Afrique", soutient Joseph Siegle.

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