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Reportage Couronnement du roi Charles III : en marge du cortège, les anti-monarchie réclament "la fin du grand n'importe quoi"

Article rédigé par Pierre-Louis Caron - de notre envoyé spécial à Londres
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Un militant anti-monarchie sur Trafalgar Square à Londres (Royaume-Uni), le 6 mai 2023. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)
Aux yeux des partisans d'une république au Royaume-Uni, la cérémonie royale de samedi représentait "le meilleur moment" pour se faire entendre.

"Six heures du matin, Trafalgar Square." Le rendez-vous est fixé par les cadres de Republic, un mouvement qui milite pour l'abolition de la monarchie au Royaume-Uni. Un lieu stratégique, en plein cœur de Londres, qui figure surtout sur le trajet de Charles III en vue de son couronnement, samedi 6 mai. En s'affichant au premier rang, au plus près du défilé, les activistes veulent "montrer que tous les Britanniques ne soutiennent pas le système actuel".

Mais l'action manque de tourner court : un peu avant 7h30, la police arrête six membres de Republic, dont son dirigeant, Graham Smith. Les agents saisissent un mégaphone ainsi qu'une centaine de pancartes jaunes portant un slogan explicite : "Not my king" ("Pas mon roi"). "On avait pourtant déclaré le rassemblement et pris contact avec les forces de l'ordre, s'étranglent les anti-monarchie restés à l'écart. C'est un abus de pouvoir !"

Des pancartes sont confisquées et un cadre du mouvement Republic, arrêté par la police de Londres (Royaume-Uni), le 6 mai 2023. (HANDOUT REPUBLIC)

Sous les yeux de la police, ils parviennent tout de même à dérouler deux grands drapeaux jaunes et sont rapidement rejoints par des sympathisants. Vers 9 heures, le climat est plus serein et ils sont une grosse centaine à occuper un coin de la place londonienne, attendant de pied ferme le carrosse doré de Charles III. Sur leurs pancartes, les messages sont variés : "Je suis un citoyen, pas un sujet", "Non aux exceptions", "La monarchie, c'est un gâchis d'argent"… Derrière eux, les Britanniques venus en nombre pour tenter d'apercevoir la procession royale les huent copieusement.

"On nous reproche de gâcher la fête"

"Ce couronnement, c'est le meilleur moment pour être visibles et protester à la fois contre cette cérémonie coûteuse et ce système inégal dans lequel on vit", fait valoir Harry, 30 ans, co-organisateur de la manifestation. Habillé en jaune, couleur de la protestation ce matin-là, il enchaîne les interviews avec calme malgré les drapeaux que les pro-monarchie agitent contre son visage. "On nous reproche de jouer les agitateurs, de gâcher la fête. Mais c'est le meilleur moment pour agir et ouvrir le débat." Avec 60 000 militants revendiqués, le mouvement Republic est la tête de proue du républicanisme au Royaume-Uni. Et ses cadres comptent bien profiter du couronnement pour recruter.

Harry, co-organisateur de la manifestation anti-monarchie du 6 mai 2023 à Londres (Royaume-Uni). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

"La foule aujourd'hui regorge de potentiels futurs membres, poursuit Harry. On discute avec eux des privilèges royaux, de l'intérêt d'avoir un monarque, du coût que cela représente." Les monarchistes font valoir que la royauté attire les touristes, générant des revenus pour le Royaume-Uni. "C'est très discutable, quand on sait que le château de Versailles, en France, attire cinq fois plus de visiteurs que l'ensemble des palais et châteaux britanniques. Et vous n'avez plus de roi !", rétorque Harry.

Autre point clivant : les Britanniques sont attachés à ce système, alors pourquoi vouloir tout réformer ? "Les sondages sont plus contrastés, souligne le militant. Cela dépend de l'âge et, surtout, on note une baisse de popularité quasi constante depuis cinq ans." D'après une récente enquête de YouGov (PDF en anglais) pour l'émission "Panorama" de la BBC, une petite majorité (58%) de Britanniques se déclarent en faveur d'une monarchie parlementaire.

Une dent contre Charles III, ce "milliardaire non élu"

Au milieu des banderoles, la figure du nouveau monarque est loin de faire l'unanimité. "Son couronnement nous coûte une fortune, c'est indécent alors que tellement de gens sont dans le besoin", déplorent trois amis venus de Manchester pour l'occasion. "Les temps sont très durs, la pauvreté ne fait qu'augmenter", abonde une manifestante plantée derrière eux. Selon les médias britanniques, le coût total des cérémonies royales dépasse 100 millions de livres sterling (environ 114 millions d'euros). Au Royaume-Uni, la facture a du mal à passer après un hiver difficile qui a vu un nombre record de Britanniques se tourner vers les banques alimentaires et les soupes populaires, rapportait fin février le Guardian (en anglais).

"Le décalage est énorme entre la situation du pays et tout ce faste autour d'un milliardaire non élu", s'insurge Graham, ancien officier de la Royal Air Force, l'armée de l'air britannique. Samedi, le quinquagénaire a fait deux heures de route pour venir manifester, notamment contre les nombreuses exceptions accordées à la famille royale. "Ce serait bien que Charles commence par payer ses impôts", glisse Graham.

Graham, sympathisant de la cause républicaine, lors de la manifestation du 6 mai 2023 à Londres (Royaume-Uni). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Les partisans de l'abolition de la monarchie dénoncent plus particulièrement l'absence de taxes sur la Sovereign Grant, une somme d'argent versée chaque année par le Trésor britannique à la couronne (près de 90 millions de livres sterling en 2022). Ils ont aussi dans leur viseur l'exonération totale d'impôt concernant l'héritage immobilier laissé par la reine Elizabeth II à son fils, comme l'autorise la loi. Un traitement avantageux qui va de pair avec une grande opacité autour du patrimoine de Charles III. Selon une enquête du Guardian (en anglais), qui a mobilisé une dizaine de journalistes sur ce dossier, le nouveau roi est à la tête d'une fortune estimée à 1,81 milliard de livres sterling, soit plus de 2 milliards d'euros.

"Avec cette manifestation, nous espérons au moins envoyer un signal, faire pression pour que Charles entreprenne quelques réformes et mette fin aux exceptions", détaille Graham, interrompu par les chants des manifestants, rapidement couverts par les huées de la foule. A cause de la pluie, l'énorme pancarte en carton d'une jeune militante s'affaisse. "C'est pas trop tôt, on ne voyait rien !", lance un groupe de femmes habillées aux couleurs du drapeau britannique. 

Un désaveu particulièrement marqué chez les jeunes

"Ce système n'est plus en phase avec les enjeux actuels, l'égalité et la diversité par exemple", dénonce Julie, 52 ans, assistante pédagogique dans une école londonienne. Coiffée d'un bonnet jaune, elle tenait à manifester avant d'aller chez le dentiste. "La seule couronne que je veux, c'est celle que je vais me faire poser tout à l'heure", lance la Franco-Britannique dans un bruyant éclat de rire, avant de questionner "l'attachement culturel, presque émotionnel" à la monarchie. "Je trouve ça alarmant, à quel point les enfants sont endoctrinés dès le plus jeune âge. Dans mon école, on leur a parlé de la monarchie toute la semaine, ils ont dû fabriquer leurs petites couronnes... Pour moi, c'est important qu'il y ait un courant inverse", confie-t-elle.

Selon le sondeur YouGov, les Britanniques âgés de 18 à 24 ans semblent très partagés concernant la couronne. Plus de 60% d'entre eux se sont dits opposés au financement public du couronnement et ils sont 41% à être en faveur d'un référendum sur l'abolition de la monarchie. Des scores nettement supérieurs à ceux des autres classes d'âge et en lesquels les manifestants réunis à Trafalgar Square veulent voir "une volonté de changement".

"Rad" (à gauche) et Julie (à droite), deux sympathisants républicains lors de la manifestation du 6 mai 2023 à Londres (Royaume-Uni). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Pour "Rad", militant de 29 ans, "l'explosion du coût de la vie" au Royaume-Uni pourrait conduire les jeunes à tourner le dos à la monarchie. "Ma génération a grandi avec la crise financière de 2008, puis la pandémie de Covid-19, liste-t-il. Elle fait désormais face à la crise des prêts étudiants, une inflation démente. Les jeunes n'ont même plus de quoi s'installer, quand bien même ils travaillent." Face à ces difficultés, les privilèges accordés à la famille royale ont un goût amer pour le jeune homme. "Personne ne devrait être au-dessus des lois, tranche-t-il. Il faut aller jusqu'au bout de la démocratie et mettre fin à ce grand n'importe quoi."

"La classe politique n'ose pas aborder ce sujet"

En toute fin de matinée, le premier passage du cortège royal en route vers l'abbaye de Westminster déclenche un concert d'applaudissements et de sifflets mélangés. "Le message a été reçu", se félicite Ken Ritchie, responsable du mouvement Labour for a Republic, composé d'adhérents du Parti travailliste engagés contre la monarchie. "Nous sommes un parti de gauche, mais pourtant seul un tout petit nombre d'élus ose afficher ses opinions républicaines, confie-t-il. En règle générale, la classe politique britannique n'ose pas aborder ce sujet, même les plus radicaux ne veulent pas prendre le risque de secouer l'arbre trop fort."

Des manifestants opposés à la monarchie réunis sur Trafalgar Square, à Londres (Royaume-Uni), le 6 mai 2023. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

"Il faut procéder par étapes, propose Ken Ritchie, et réduire d'abord l'influence politique de la couronne. Ensuite, il faut que le monarque respecte les lois sur la transparence, les taxes et les budgets. Si Charles reçoit de l'argent public, cela doit se faire comme pour les administrations publiques : en fonction de ses besoins."

En attendant qu'un parti politique s'empare de ce dossier brûlant, les horloges de Londres sonnent 15 heures et la dispersion de la manifestation. Avec une certaine ironie, les militants républicains se donnent rendez-vous dans un pub nommé... le King's Arms. "Nous ne sommes pas contre les symboles, nous sommes conscients de notre histoire et on ne va quand même pas renommer tous les pubs, s'esclaffe Ken Ritchie. Mais ce n'est pas parce que la monarchie a fait partie de notre passé qu'elle doit forcément faire partie de notre futur."

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