Mort d'Elizabeth II : "Elle ne cherchait pas à être heureuse" mais voulait "accomplir son destin", selon Stéphane Bern
"Cette femme était un mythe vivant", estime Stéphane Bern après la mort jeudi d'Elizabeth II à Balmoral en Ecosse
"C'était un mythe vivant. Sa disparition, c'est un monde qui est englouti, qui disparaît", réagit jeudi 8 septembre sur franceinfo Stéphane Bern, journaliste et animateur, spécialiste de la royauté, après la mort d'Elizabeth II à Balmoral en Ecosse. "Elle ne cherchait pas à être heureuse", mais voulait "accomplir son destin, et que son Royaume se porte bien", analyse-t-il.
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Quelle est votre réaction quelques heures après l'annonce du décès de la souveraine ?
C'est une page d'histoire qui se tourne. C'est même au-delà. C'est un monde qui est englouti, qui disparaît. C'est l'ère élizabéthaine qui disparaît. Cette femme était un mythe vivant. Tout le monde connaissait sa figure à travers les billets de banque, les timbres et les pièces de monnaie.
"C'était une femme très méconnue, une femme ordinaire, dans une situation extraordinaire."
Stéphane Bernsur franceinfo
Ce qui me frappe le plus, c'est que c'était une femme de devoir, à un moment où, finalement, cette notion ne veut plus rien dire, où personne n'est prêt à tout sacrifier, pour accomplir sa destinée. Elle ne cherchait pas à être heureuse. Elle cherchait à accomplir son destin, qui était celui de faire en sorte que son Royaume se porte bien, qu'elle couvre de son manteau d'hermine les possibles divisions qu'elle accompagne, qu'elle accompagne les évolutions de la société sans les précéder pour autant. C'est ce qu'elle a fait jusqu'à son dernier souffle, comme elle s'y était engagée en 1947 : "Que ma vie soit courte, je vous servirai jusqu'à mon dernier souffle."
Deux jours avant sa mort, elle a reçu sa quinzième Première ministre. Dans une époque hédoniste où chacun cherche son petit plaisir, elle incarnait ces vertus, ces valeurs, celles du sacrifice et du devoir.
Qu'est-ce qui aura été le plus marquant dans son règne ?
Elle a accompagné toutes les évolutions. Pensez qu'elle est née au temps du cinéma muet et qu'elle envoyait des tweets, des mails ou des SMS à ses petits-enfants et ses enfants. C'est vraiment l'histoire d'un siècle. Côté politique, Winston Churchill a été son mentor. C'est lui qui a fait son éducation politique. Elle a appris à le piéger parce que c'était aussi la femme la mieux informée de son royaume, elle lisait toutes les dépêches. Elle lisait toutes les notes gouvernementales dans ses célèbres boîtes rouges et elle s'amusait beaucoup avec Winston Churchill parce qu'elle l'interrogeait lors de leur rencontre hebdomadaire. "Est-ce que vous avez vu ce télégramme alors ?" Évidemment, il avait fait l'impasse sur ce sujet, pensant qu'elle ne le questionnerait pas. Elle a donc appris son métier avec lui. C'est un métier qui est un métier pour la vie.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué chez elle ?
Elle avait énormément d'humour, de l'humour sur elle-même et de l'humour taquin aussi avec les autres. Elle m'avait remis une médaille pour un film que j'ai fait sur la Reine Victoria, et je lui ai dit : "Vous savez, j'ai aussi fait un film sur vous." Elle m'a répondu : "Ah bon, mais je ne suis pas morte." J'ai enchaîné en disant : "Madame, vous êtes entrée vivante dans la légende." Ça l'avait beaucoup amusée et ensuite elle me disait : "C'est drôle, dans vos pays républicains, je reçois un accueil beaucoup plus chaleureux que dans d'autres." Il y avait une foule devant l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris.
"J'avais beaucoup aimé rencontrer cette femme qui, au fond, ressemblait à une grand-mère qui était très subtile. Elle vous donnait toujours le sentiment que vous étiez la personne que ce jour-là, elle avait envie de rencontrer."
Stéphane Bernà franceinfo
Elle ne regardait pas derrière votre épaule s'il y avait quelqu'un de plus important à saluer. Elle était avec vous. Ça durait seulement trois minutes, mais pendant les trois minutes, elle était entièrement avec vous. Imaginez qu'elle a fait ça pendant 70 ans avec tous ses interlocuteurs, dans les crèches, les hôpitaux, les maisons de retraite, dans les foyers pour personnes handicapées. Elle a fait ça avec chaque personne, donc des millions de personnes ont eu ce lien direct avec la souveraine. Et ça, c'est ce qui fait cette émotion populaire collective.
Comment expliquer qu'elle ait réussi à cimenter le peuple britannique ?
Cette forme d'unanimité, c'est parce qu'elle incarnait la stabilité, la continuité, l'indépendance du pouvoir. C'est une monarchie constitutionnelle. Le souverain règne, mais ne gouverne pas. Tout le monde pouvait lui parler, sans risquer d'être trahi. Ça restait dans le secret de l'entretien particulier avec la souveraine. C'est ce qui fait que tout le monde la vénérait, la respectait.
Elle était un symbole national. Vous savez, on a fait un sondage il y a quelques années. On a demandé quel est le rêve récurrent des Britanniques. Et un sur trois a répondu : "C'est que je me réveille en pleine nuit, on sonne à ma porte et je suis en pyjama. C'est la reine d'Angleterre qui sonne à la porte."
Pourquoi ?
Parce qu'elle est omniprésente. Les billets et les pièces de monnaie, les timbres et les portraits sont dans toutes les boutiques, toutes les institutions et ce, depuis 70 ans. Les gens n'ont fond connu qu'elle, en tout cas 83% de la population. Elle finit par entrer dans votre cerveau. C'est un peu la mère de la nation, celle vers qui on se tourne pour que ça aille bien, parce qu'encore une fois, tant qu'elle est là, on pense que le Royaume-Uni reste uni. Mais quand elle n'est plus là, tout d'un coup, on mesure combien elle va manquer.
Comment voyez-vous le règne de Charles III désormais ?
Je crois qu'il sera un roi de transition, il arrive très tard sur le trône, il a près de 74 ans. On va voir comment il va pouvoir renouer les fils distendus entre l'Ecosse et l'Angleterre, les deux Irlande et les partis politiques qui sont déchirés entre les pro-Brexit et les anti-Brexit. Lui a pris des positions. C'est un homme courageux. Depuis 40 ans, il se bat contre le réchauffement climatique, contre la déforestation de l'Amazonie, pour la sauvegarde des espèces, la biodiversité. C'est un écolo dans l'âme. Je ne pense pas qu'il va oublier tout ce qu'il a fait toutes ces années. Et je crois que, après une reine populaire, on va avoir un roi plus intellectuel, plus réfléchi. C'est un roi de transition et il est probable qu'il ne règne pas 70 ans.
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