Mort d'Elizabeth II : à Londres, une foule de Britanniques saluent une reine qui, "toute sa vie, s'est tenue auprès" d'eux
L'affluence ne décroît pas aux abords de Buckingham Palace. Cette période de deuil national, qui doit s'étendre jusqu'au lendemain des obsèques, illustre un respect quasi-instinctif de certains Britanniques pour la monarque, disparue jeudi.
"Ma petite fille apprend l'histoire à l'école. En ce moment, elle a l'occasion de la vivre. On veut tous prendre part à un moment comme celui-là." Jane et les siens regardent, perplexes, la foule pénétrer dans l'entonnoir – un espace délimité d'un côté par un mur, de l'autre par un grillage – qui conduit à Buckingham Palace. Dimanche 11 septembre, des milliers de personnes vont et viennent, toutes les heures, par les chemins qui traversent Green Park, dans l'espoir de se recueillir au plus près du palais, après la mort, jeudi, d'Elizabeth II.
D'ici, Google Maps table sur à peine trois minutes de marche. L'agent de sécurité qui renseigne la petite famille, lui, est moins optimiste : "Environ deux heures." Les sujets de Sa Majesté font demi-tour. Face à l'affluence, ils "vivront l'histoire" d'un peu plus loin.
Plus tôt dans la journée, le corps de la reine a quitté Balmoral, direction Edimbourg. L'attention s'est donc tournée vers l'Ecosse, premier arrêt dans l'ultime voyage d'Elizabeth II à travers la Grande-Bretagne. Mais à Londres, comme dans tous les hauts lieux de la monarchie britannique, la foule continue de composer sa cérémonie non officielle, avec ses codes et ses automatismes.
"C'est normal d'être ici"
"Merci pour tout." "Merci pour votre dévouement pendant ces 70 années." "Vous allez nous manquer." Green Park, qui jouxte Buckingham Palace, est devenu en quelques heures le jardin le plus fleuri de Grande-Bretagne. Les troncs d'arbres sont encerclés de fleurs, de cartes, de dessins, de petits mots, de photos et, occasionnellement, de peluches de l'ours Paddington, dernière "célébrité" aperçue avec la reine, dans un sketch diffusé à l'occasion de son jubilé.
Ces marques d'affection traduisent la relation unique qu'entretenaient de nombreux Britanniques avec Elizabeth II. "C'est normal d'être ici", explique Cris, 48 ans, venue du Surrey contribuer avec sa fille de 13 ans, Eve, à ce bouquet en perpétuelle extension.
"Il y a 25 ans, j'étais allée à Kensington Gardens déposer des fleurs pour la princesse Diana, raconte-t-elle, et aujourd'hui, je partage ce moment historique avec ma fille."
Elle décrit une émotion tout aussi forte qu'après le décès accidentel de la "princesse du peuple", mais une ambiance "plus paisible, comme une tristesse douce, sans la dimension tragique qui entourait la disparition de Diana, qui a été un tel choc. La reine était une dame de 96 ans et, même si nous sommes tristes, on se dit qu'elle a vécu une longue vie bien remplie", remarque Cris.
"Exprimer sa gratitude"
Ces sorties commémoratives sont une affaire collective, motivée par un sens du devoir difficilement compréhensible de l'autre côté de la Manche. "Oui, nous rendons hommage à la reine, bien sûr", assure Chantalle, 15 ans, et ses copines, Kaylah et Liona, penchées sur un parterre de roses, de tulipes, de pâquerettes et autres tournesols. "On est venues la remercier." Oui, d'accord, mais la remercier pour quoi ? Les amies se regardent et improvisent dans un sourire de connivence : "Euh… pour tout."
Wiqar, 51 ans, explique la chose simplement : "Elle a toujours porté un message d'entraide et de solidarité, assure ce Londonien. Toute sa vie, elle s'est tenue auprès de nous. Ces rassemblements permettent d'exprimer notre gratitude pour son dévouement et d'être ensemble."
En somme, de mettre en pratique ce que les Britanniques estiment avoir été les enseignements de la reine. Le tout en pratiquant cette activité qui, selon la légende, figure au panthéon des disciplines préférées de la nation : faire la queue.
"La grand-mère de la nation"
Le Mail, l'avenue qui relie Trafalgar Square à Buckingham Palace, est fermé à la circulation : des ouvriers s'affairent en vue de la dernière visite de la reine dans le château qui fut sa demeure officielle (à défaut d'être sa préférée) pendant 70 ans. Mardi, la dépouille sera conduite à Buckingham Palace, avant d'être à nouveau transportée le lendemain, via le Mail, direction le palais de Westminster, pour une veillée de quatre jours ouverte au public.
"Quatre jours, c'est ce qui est prévu, mais la veillée pourrait durer quatre mois. Il y aurait toujours du monde à faire la queue pour y assister", sourit Tim, un sujet de Sa Majesté âgé de 40 ans, croisé vendredi soir du côté de la City.
"J'aimerais vraiment y emmener mes enfants, mais cela va dépendre de notre capacité à faire la queue pendant des heures", lance-t-il à Peter, un ami d'enfance qu'il a retrouvé dans un pub londonien.
Installé à Uxbridge, à l'ouest de la capitale, Tim fait aussi valoir "l'histoire" pour justifier de cette fièvre commémorative. Sans trop réfléchir, confie-t-il, il est monté dans sa voiture dès l'annonce de la mort d'Elizabeth II jeudi soir, et a été parmi les premiers à déposer des fleurs devant une autre résidence royale, le château de Windsor. Il décrit une envie de communier qui serait de l'ordre du réflexe pour quiconque a grandi dans le respect de "la grand-mère de la nation".
Un respect qui, comme la couronne, se transmet de génération en génération. Mais si les sujets rassemblés par milliers ces derniers jours ont hérité de cette affection pour Elizabeth II, les années qui viennent nous diront si Charles III saura à son tour incarner un modèle et une identité.
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