A quel point l'interview de Meghan et Harry fragilise-t-elle la famille royale britannique ?
L'historien Philippe Chassaigne, spécialiste de l'histoire contemporaine du Royaume-Uni, analyse les répercussions pour la couronne des retentissantes confidences télévisées du jeune couple.
L'histoire serait-elle en train de se répéter ? La famille royale britannique est sommée par une partie de la presse et de l'opinion publique outre-Manche de répondre aux accusations de racisme et d'insensibilité portées par Meghan Markle et son époux le prince Harry dans leur interview télévisée. Les confidences du couple à Oprah Winfrey plongent la monarchie dans de nouvelles turbulences. Mais la pression sur Elizabeth II et ses descendants est à la mesure du retentissement de ces confessions.
Ce nouvel épisode de la saga des Windsor rappelle de douloureux précédents : le drame vécu dans les années 1990 avec Lady Diana, mais aussi la crise institutionnelle provoquée par l'abdication par amour du roi Edouard VIII en 1936. Philippe Chassaigne, professeur d'histoire contemporaine à l'université Bordeaux-Montaigne et spécialiste de l'histoire récente du Royaume-Uni, analyse pour franceinfo les enjeux de ce scandale royal.
Franceinfo : Cette interview de Meghan et Harry rappelle à nombre d'observateurs celle de Diana en 1995, après son divorce avec le prince Charles. Ce parallèle vous semble-t-il juste ?
Philippe Chassaigne : L'interview de Meghan et Harry par Oprah Winfrey permet de voir que Meghan est une très bonne actrice. Selon moi, elle a regardé très attentivement l'interview de Diana en 1995 par Martin Bashir et elle en a servi une sorte de réplique.
Il y a de nombreux éléments comparables. Comme Diana, elle a évoqué ses pensées suicidaires. Comme Diana, elle a dit n'avoir été ni soutenue ni comprise par la famille royale. On a l'impression d'un écho, actualisé par la dimension raciste avec cette question que certains au sein de la famille royale se seraient posée sur la couleur de la peau d'Archie à sa naissance. Mais comme Diana, on reste dans des évocations un peu feutrées. On ne nous dit pas quel membre de la famille royale aurait manifesté ces sentiments ambivalents. Si ce n'est que ce n'était pas la reine.
"Pour ce qui est de la posture de victimisation de Meghan, c'était un décalque de l'interview de Diana en 1995."
Philippe Chassaigne, professeur d'histoire à Bordeaux-Montaigneà franceinfo
Ne croyez-vous pas à la sincérité de Meghan et Harry ?
Il y a toujours une part de mise en scène dans ce genre d'exercice. Autant en 1995, la chose avait été faite dans le plus grand secret, l'équipe de la BBC s'était introduite clandestinement au palais de Kensington. Autant là, au contraire, ça a été largement annoncé par les médias. Le couple est interviewé par Oprah Winfrey, qui est une amie proche. On est quand même dans le domaine de l'entre-soi, voire de la connivence. On peut difficilement trouver 100% de spontanéité dans une interview télévisée de cette ampleur-là. Non, ça n'est pas possible.
Ces accusations de racisme peuvent-elles nuire à l'image de la famille royale ?
Si la reine n'avait pas voulu que Harry épouse Meghan, elle aurait mis son veto. Depuis la loi de 1772 sur les mariages royaux, toute union royale doit être soumise à l'approbation du souverain. Lorsque Elizabeth II a eu à se prononcer sur le mariage de Meghan et Harry, elle savait très bien que Meghan Markle était métisse et ça ne lui a pas posé de problème.
Il reste le petit jeu des devinettes. Le duc d'York, Andrew, n'est pas des plus progressistes. Cela a été moins rendu public que pour la princesse Anne, qui généralement ne mâche pas ses mots. Mais ses vues extrêmement conservatrices sur certains sujets ne l'ont pas empêchée de divorcer et de se remarier. Est-ce que ce serait elle ? On ne sait pas.
"Cette accusation de racisme ne tient pas debout en ce qui concerne Elizabeth II."
Philippe Chassaigneà franceinfo
Meghan et Harry affirment également que le palais de Buckingham a refusé d'accorder une protection à l'enfant et que des membres de l'institution estimaient qu'Archie ne devrait pas recevoir de titre de noblesse, bien que ce soit la tradition. Là encore, l'accusation ne risque-t-elle pas de déstabiliser la couronne ?
C'est soit une méconnaissance, soit de la mauvaise foi. La règle d'attribution des titres de princes a été fixée par George V en 1917, lorsqu'il a pris la décision de changer le nom de la maison royale de Saxe-Cobourg et Gotha en Windsor et de refondre les titres de la noblesse britannique pour les purger des influences allemandes [dans un contexte de fort ressentiment anti-germanique au Royaume-Uni lié à la Première Guerre mondiale].
Dans les lettres patentes de 1917, visant à rendre plus rares les titres de prince et d'altesse royale, alors que suivant les règles de la noblesse allemande on les multipliait ce qui donnait l'impression de les dévaloriser, George V décide que les titres de princes ne seront attribués qu'aux enfants et petits-enfants du souverain régnant. Une exception est faite pour le fils aîné du fils aîné du prince de Galles, en l'occurrence le prince George, fils aîné de William et petit-fils aîné de Charles. Elizabeth II a ajouté à cette exception les deux autres enfants de Willam et Kate, Charlotte et Louis, car ils étaient dans l'ordre de succession direct. Archie ne pourrait recevoir le titre de prince que si Charles montait sur le trône à la mort d'Elizabeth II.
Que Meghan n'ait pas eu connaissance de ces subtilités, pourquoi pas. Mais que Harry ne lui ait pas expliquées, c'est plus surprenant. A moins qu'il soit tellement peu intéressé par ces aspects-là qu'il n'ait pas creusé la question... Mais auprès du grand public, ça passe très bien. C'est le genre d'argument que tout le monde entendra sans problème. Et il faudrait beaucoup de pédagogie pour l'expliquer à tous les Britanniques.
Les deux époux ont expliqué leur mise en retrait et leur départ pour les Etats-Unis par ce manque de soutien de la famille royale, ajouté à une pression médiatique intenable. Les rapports entre le couple Meghan-Harry et les tabloïds sont-ils si semblables à ceux que Diana entretenait ?
C'est présenté comme tel. Lorsque le prince Harry dit qu'il a voulu partir pour éviter que ne se reproduise ce qui était arrivé à sa mère, qui était pourchassée par les paparazzis et qui en est morte, c'est oublier la moitié de l'histoire. Diana savait parfaitement utiliser cette presse tabloïd. Elle en avait besoin dans sa guerre qu'elle menait contre Charles.
Les photos qui ont été prises à l'été 1997, lorsque Diana est sur le yacht de Dodi Al-Fayed, ont en réalité été prises d'assez près. A l'époque, il n'y avait pas de téléobjectifs aussi puissants qu'aujourd'hui pour que des paparazzis cachés puissent prendre des photos aussi nettes. On le sait maintenant. On a des photos qui montrent la princesse sur un hors-bord qui va discuter avec les paparazzis.
Pour ce qui est de Meghan, c'est très différent. Elle a été totalement victime des tabloïds qui s'en sont pris à elle et il y a eu, dans certains articles publiés, plus ou moins consciemment une dimension raciste parce qu'elle est métisse.
"Quand elle était membre de la famille royale, Meghan était beaucoup moins apte à utiliser les médias que ne l'était Diana."
Philippe Chassaigneà franceinfo
Pour qui, selon vous, cette interview est-elle la plus dommageable ? Pour la famille royale ou pour Meghan et Harry ?
Lorsque Harry et Meghan ont décidé de devenir des "Royals" de deuxième plan, de prendre un peu de champ par rapport aux activités représentatives, et lorsqu'en réponse le palais a décidé qu'ils allaient carrément être mis sur le côté, on avait fait des parallèles entre Meghan et Harry et le duc et la duchesse de Windsor, Edouard VIII et Wallis Simpson. Mais les motifs de mise à l'écart ne sont pas les mêmes. Il n'y a pas eu d'abdication par amour cette fois. Mais Harry et Meghan sont en train de suivre une trajectoire à la Edouard VIII et Wallis Simpson.
Harry s'est plaint que son père, Charles, n'a plus pris ses appels téléphoniques. George VI en a eu assez que son frère Edouard VIII l'appelle continuellement pour demander de l'argent et que la duchesse obtienne un titre d'altesse royale, et avait donné l'ordre de ne plus lui transmettre les appels de son frère.
De même, les relations entre les deux frères ne sont pas bonnes, surtout lorsque Harry dit que son père et son frère sont prisonniers d'une institution dont ils ne parviendront pas à s'affranchir, alors que lui a choisi la voie de la liberté. On retrouve le débat : Edouard VIII devait-il faire passer en premier ses devoirs envers son royaume et son empire ou son amour pour Wallis Simpson ?
Si on veut faire des comparaisons un peu hâtives : Harry est dans la position d'Edouard VIII et William dans celle de George VI, son arrière-grand-père, à la différence que Harry se trouve dans une position de plus en plus lointaine dans l'ordre de succession. Ce qui fait que revendiquer cette liberté est beaucoup moins traumatisant pour l'institution que la décision d'Edouard VIII en 1936.
"Meghan et Harry vont mener une existence parallèle à la famille royale, autre que celle à laquelle la naissance du prince et leur mariage pouvaient les prédestiner."
Philippe Chassaigneà franceinfo
Le duc et la duchesse de Windsor ont vécu le reste de leur vie un exil doré entre le bois de Boulogne, la Côte d'Azur et les Etats-Unis. Harry et Meghan se sont installés sur la côte ouest des Etats-Unis. Ils ont une série de projets philanthropiques, médiatiques et artistiques, à la différence du duc et de la duchesse de Windsor.
Comme cet exil doré d'Edouard VIII n'a pas nui à la monarchie britannique, je ne suis pas sûr que ça nuise beaucoup à la monarchie britannique maintenant. Même si le duc de Windsor était resté, jusqu'à sa mort en 1972, populaire dans le cœur des Britanniques, il n'a jamais constitué un recours par rapport à George VI ou à Elizabeth II. Je ne vois pas pourquoi Harry ne conserverait pas un capital de sympathie.
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