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Syrie : dans quel état se trouve le pays ravagé par dix ans de guerre, alors que Bachar Al-Assad brigue un 4e mandat de président ?

Un scrutin présidentiel, sans suspense, a lieu mercredi en Syrie. Les résultats pourraient être annoncés dans les 48 heures.

Article rédigé par franceinfo
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Le président syrien Bachar Al-Assad et sa femme Asma votent pour l'élection présidentielle, le 26 mai 2021, à Douma. (LOUAI BESHARA / AFP)

Les bureaux de vote ont ouvert à 7 heures, heure locale. Les Syriens sont appelés à se rendre aux urnes, mercredi 26 mai, pour un scrutin présidentiel qui devrait se solder par la réélection de Bachar Al-Assad. Le dirigeant brigue un quatrième mandat à la tête du pays, ravagé par une décennie de guerre civile meurtrière et une crise économique sans précédent.

Alors que les résultats de l'élection présidentielle devraient être annoncés dans les 48 heures, franceinfo fait le point sur la situation en Syrie.

Des élections jouées d'avance

"Mise en scène", élection "ni libre ni juste". Les capitales occidentales ont d'ores et déjà rejeté le scrutin du 26 mai, le deuxième organisé depuis le début de la guerre civile en 2011. La réélection de Bachar Al-Assad, qui se présente comme le candidat de la reconstruction, ne fait en effet que peu de doute. Depuis plusieurs semaines, les portraits du président de 55 ans sont visibles sur toutes les places, notamment à Damas, rapporte L'Express. Il n'a en revanche organisé aucun meeting de campagne ni entretien avec les médias avant le scrutin.

Face au président sortant, qui a accédé au pouvoir en 2000 après la mort de son père Hafez Al-Assad, se présentent deux candidats peu connus du grand public : l'ex-ministre et parlementaire Abdallah Salloum Abdallah et un membre de l'opposition tolérée par le pouvoir, Mahmoud Mareï. "Ces candidats sont de simples faire-valoir", estime le géographe Fabrice Balanche, professeur à l’université Lumière Lyon-II et spécialiste de la Syrie, interrogé par La Croix. Pour un diplomate occidental interrogé par Le Monde, la candidature de Mahmoud Mareï constitue "la seule concession faite par le régime à l'extérieur". "En l'occurrence à son allié russe qui, pour des questions d'apparence, tient à un semblant de 'diversité'" politique, pointe cette source.

La loi électorale impose aux candidats d'avoir vécu en Syrie dix ans consécutifs avant le scrutin, ce qui exclut de facto les figures de l'opposition en exil, très affaiblie. Leur principale coalition a dénoncé une "mascarade" après l'annonce de la date du scrutin. "L'échec à adopter une nouvelle Constitution est la preuve que la prétendue élection du 26 mai sera une imposture", a également critiqué l'ambassadrice américaine à l'ONU, Linda Thomas-Greenfield, insistant sur la nécessité de permettre la "participation des réfugiés, des personnes déplacées et de la diaspora à toute élection syrienne".

Si elle est exempte de suspense, l'élection présidentielle représente néanmoins un enjeu pour Bachar Al-Assad car elle constitue "un moment de renouvellement de l'allégeance" des notables syriens au pouvoir, selon Fabrice Balanche. "Le système syrien est un système clientéliste, explique-t-il à La Croix. Ces élections permettent à Bachar Al-Assad de savoir sur qui il peut compter à l'intérieur de son pays." Lors du précédent scrutin, en 2014, le dirigeant avait été réélu avec 88,7% des suffrages.

Un pays dévasté par la guerre...

Ces élections sont organisées alors que les ravages de la guerre civile en Syrie sont encore bien visibles, dix ans après son début. Si l'intensité des combats entre les forces armées du régime et l'opposition a diminué, le conflit a fait plus de 387 000 morts, dont 117 000 civils, selon le bilan de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) cité par Le Figaro. "Ce bilan n'inclut pas les 88 000 personnes décédées sous la torture dans les geôles du pouvoir", assure le quotidien.

La guerre a en outre fait plus de 6,7 millions de déplacés à l'intérieur de la Syrie et 5,5 millions de réfugiés à l'étranger. Soit plus de la moitié de la population du pays contrainte à l'exil. Plus de 12 000 bureaux de vote ont été aménagés pour accueillir les 18 millions d'inscrits lors du scrutin du 26 mai. Mais le nombre de votants sera en réalité bien plus bas. Les régions autonomes kurdes du Nord-Est vont ignorer le scrutin, tout comme le dernier grand bastion jihadiste et rebelle d'Idleb (nord-ouest), qui abrite quelque trois millions d'habitants.

Le régime de Bachar Al-Assad contrôle désormais environ 70% du territoire, mais au prix de nombreux bombardements qui ont transformé le pays en un champ de ruines. Sur la route reliant Damas à Alep, on voit ainsi "défiler par la fenêtre la succession de villages vidés, d'infrastructures rasées et de bâtiments écroulés", relate Le Monde. Le quotidien décrit également les "mines non explosées, immeubles au bord de l'effondrement, services quasi inexistants" auxquels sont confrontés les habitants.

"Les frontières internationales de la Syrie sont à 80% entre les mains d'étrangers, ajoute le géographe Fabrice Balanche, cette fois dans les colonnes du Figaro. Au nord, la frontière est tenue par les Turcs ; plus à l'est, par les Kurdes, puis par les Russes ; celles de l'Irak, du Golan au sud et du Liban le sont par des milices chiites et le Hezbollah". Et d'insister : "Le régime ne contrôle que les points de passage vers Kessab, le Nord-Liban, et un peu le long de la Jordanie, or les frontières sont un des principaux symboles de la souveraineté d’un pays."

... et englué dans une grave crise économique

Conséquence directe du conflit, dont le coût économique est d'un peu plus de 1 000 milliards d'euros selon l'ONG World Vision, la Syrie traverse actuellement une crise humanitaire dramatique. "Malgré la réduction relative de la violence en Syrie, la situation humanitaire s'est détériorée rapidement et dangereusement au cours de l'année écoulée. Sur presque tous les paramètres (taux de pauvreté, pénuries alimentaires, accès à l'eau potable), les Syriens vivent moins bien qu'au début de 2020", affirme un article du Washington Institute for Near East Policy (en anglais).

Plus de 80% de la population vit désormais dans la pauvreté, selon l'ONU. Et les trois quarts des Syriens doivent faire face à l'insécurité alimentaire, rapporte La Croix. Dans plusieurs régions du pays, y compris celles contrôlées par le pouvoir, les habitants doivent faire la queue durant des heures pour acheter du pain ou du gaz, relate le quotidien dans un autre article. "A Damas, il n'y a ni électricité, ni pain, ni essence. Mon oncle et mes cousins ne survivent que grâce à l'argent que nous leur envoyons depuis l'étranger", raconte au journal un réfugié syrien installé en Turquie.

Selon Les Echos, cette crise a également pour conséquence la spéculation sur les biens de première nécessité comme la farine, et une hausse de la corruption. "Si tu as de quoi payer le triple du tarif subventionné et que tu connais la bonne personne dans l'administration, tu trouves tout ce que tu veux", affirme un étudiant au quotidien. Le prix de l'essence a flambé, la monnaie a subi une dépréciation historique et l'inflation est galopante. "La Syrie est au seuil d'une catastrophe humanitaire de masse", résume Samir Aita, président du Cercle des économistes arabes, interrogé par Les Echos.

Mais il est difficile d'acheminer l'aide humanitaire jusqu'aux Syriens qui en ont besoin. "Le régime est toujours reconnu comme légitime sur le plan international et, de ce fait, toute l'aide qui passe par les grandes institutions passe par Damas, et ce depuis dix ans", explique le médecin Raphaël Pitti, qui intervient dans le pays avec l'Union des organisations de secours et soins médicaux (UOSSM), dans un tchat sur le site du Monde. Le régime fait pression pour que toute l'aide humanitaire, y compris celle destinée aux zones rebelles, transite désormais par Damas. Une situation dénoncée par le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, lors de l'ouverture de la conférence des pays donateurs, fin mars : "Le respect de la souveraineté d'un Etat n'a jamais visé à lui garantir le droit d'affamer sa population, de la priver de soins, de bombarder des hôpitaux ou de commettre toute autre atteinte aux droits fondamentaux."

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