En Turquie, des évacués d'Alep, sauvés "de la famine et des bombardements", témoignent de leurs souffrances
En Turquie, à Antakya, des évacués d'Alep, pris en charge dans un hôpital, témoignent lundi de l'enfer qu'ils ont vécu : faim, blessures, mort de proches et séparation famillale, puisque l'évacuation est inachevée.
Des habitants d'Alep sont soignés depuis jeudi à l’hôpital universitaire d’Antakya en Turquie, près de la frontière syrienne. Certains espèrent entamer une nouvelle vie, d'autres attendent de retrouver leurs proches, à l'issue d'une évacuation en pointillé et toujours suspendue lundi 19 décembre. Beaucoup parlent de souffrance, de faim et de mort.
Fuir Alep, la mort et la faim
Fatma a quitté Alep vendredi à bord d’une ambulance. Le cauchemar de cette mère de famille a pris fin à l’hôpital universitaire d’Antakya, où des blessures à la jambe, dues à des éclats d’obus, sont soignées. "Nous n’avions pas d’autre choix que de partir. Ma belle-sœur et ses enfants, mon gendre sont morts. Le plus âgé avait 26 ans et le plus jeune avait 2 ans. Son corps n’a jamais été retrouvé." À Alep, la mort et la faim étaient omniprésentes. "Depuis juillet, nous n’avons plus rien, plus de lait pour les enfants, plus de couches. Nous ne mangions qu’une fois tous les quatre jours. Chaque fois qu’on entendait un avion, on restait cloîtrés dans la salle de bains, pendant cinq ou six heures".
Fatma raconte que "sa chère ville d’Alep", où elle a toujours vécu, n’est plus qu’un champ de ruines et un cimetière à ciel ouvert.
On ne peut même plus enterrer nos morts. Avant, le long des routes, il y avait des arbres. Maintenant, il n’y a que des corps.
Fatma estime qu’elle fait partie des chanceux, étant partie d'Alep avec son mari et ses enfants. Elle pense qu’elle va pouvoir se reconstruire en Turquie, car elle "n’a pas tout perdu".
L'âme perdue à Alep
Zuher Muhammed Ali, blessé à la jambe, a lui aussi été évacué d’Alep par ambulance. Il est arrivé à l’hôpital universitaire d’Antakia il y a quatre jours. "Nous avons échappé à la famine et aux bombardements, grâce à Dieu", dit-il. Il a été accompagné dans son périple par un ami, Bechir Hatip, qui tient à justifier leur départ. "Si nous sommes partis d’Alep, ce n’est pas parce que nous avions peur de la mort, mais parce que sinon, le régime allait nous arrêter ou nous incorporer de force dans son armée criminelle."
Il raconte que l’évacuation s’est transformée en cauchemar lorsque leur convoi a été intercepté. "À un point de contrôle, les services de sécurité ont arrêté tous les bus. Ils nous ont fait sortir et nous ont attaché les mains dans le dos. Ils ont tiré en rafale et il y a eu des morts parmi nous." Bechir sort son téléphone portable et montre la photo de ses deux fils "tués il y a trois mois". "Les miliciens sont allés chercher mes fils au sous-sol de notre maison. Ils les ont embarqués et ils les ont tués." L'avenir de Bechir est sombre.
Je n’ai plus d’âme. Je suis un corps sans âme.
Cet habitant d'Alep explique que "son seul tort était de vivre dans une zone rebelle" : "Soit vous travaillez avec eux, soit ils vous tuent". Le souhait de Bechir, à présent, est de rapatrier sa femme et sa fille, toujours à Alep. Ce seul espoir des retrouvailles le maintient en vie.
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