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Bachar Al-Assad prépare-t-il la partition de la Syrie ?

Ex-homme fort du régime, Abdel Halim Khaddam révèle au "Figaro" que le président préparerait "sa république personnelle" dans l'ouest du pays. FTVi a cherché à savoir si l'hypothèse était crédible.

Article rédigé par Aurélie Delmas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Dans un quartier alaouite de Homs, des Syriens se tiennent au-dessus d'un poster de Bachar Al-Assad, le 11 janvier 2012. (AFP)

Vice-président de la Syrie entre 2000 et 2005, Abdel Halim Khaddam avance, dans un entretien sur Le Figaro.fr mercredi 25 janvier, que Bachar Al-Assad "planifie une partition de la Syrie".  Aujourd’hui opposant et réfugié à Paris, il assure que le chef de l’Etat syrien regroupe des armes dans les régions de "ses compatriotes alaouites" afin de créer un Etat indépendant dans le nord-ouest du pays. 

La chute du dictateur est-elle si proche ? FTVi passe au crible les déclarations d’Abdel Halim Khaddam.

• Khaddam est-il crédible ?

Assez peu d’après les spécialistes. En tout cas, ses déclarations ne sont pas dénuées d’intérêt personnel, même s’il affirmait en novembre au Figaro.fr n’être candidat à aucun poste. Khaddam était un membre important du système baasiste du temps d'Hafez Al-Assad, le père de l’actuel dirigeant, mort en 2000. A son arrivée en France, il décide de rassembler l’opposition de la diaspora syrienne.

Au mois de novembre, et à la suite d'un long silence, il monte un Comité national de soutien à la révolution syrienne (CNRS), quelques mois après la création du Conseil national syrien (CNS), organe représentatif de l'opposition à l'étranger. Il se positionne ainsi en solution alternative en cas de transition. En faisant entendre sa voix, l’ancien vice-président essaie de "jouer sa carte personnelle pour rester dans le jeu, commente Agnès Levallois, journaliste spécialiste du Proche-Orient. Mais, pour les Syriens, il est associé aux périodes les plus noires de l’histoire. Pour moi, il n’a pas de crédibilité"

Autre point faible de son discours, Khaddam ne dévoile à aucun moment de l'interview d’où il tient les informations qu’il avance."Ces propos me paraissent assez peu crédibles, pointe Didier Billion, spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Pourquoi dit-il cela ? De quels éléments dispose-t-il ?"

• Le régime de Bachar Al-Assad est-il en train de transférer le matériel militaire de l'armée dans l'ouest du pays ?

"Tout à fait", répond l’ancien homme fort du système syrien. Selon lui, les habitants de ces zones ont été armés de fusils et de mitraillettes, et des armements lourds sont cachés dans les collines entre Homs, Hama et Lattaquié.

Une hypothèse crédible que Fabrice Balanche, maître de conférences à Lyon-2, envisageait déjà en juillet 2011 sur Libération.fr. "La constitution d’un réduit dans la région côtière syrienne, où les Alaouites seraient en sécurité en cas de perte du pouvoir à Damas, n’est pas une simple spéculation."

L'information se répandrait depuis quelques semaines déjà sur les réseaux sociaux. "Il y a des armes qui circulent, confirme Agnès Levallois. Il est tout à fait possible que Bachar se prépare un refuge, sécurise une partie de la région. D'autant que la région, dont il est originaire, est mouillée avec ce régime." Un repli qui ne devrait toutefois pas intervenir immédiatement. "Vu la situation, rien n’est totalement absurde. Mais je ne pense pas qu'elle soit telle qu’Assad ait pris cette décision. Cela ne correspond pas à la logique actuelle du personnage", relativise Didier Billion.

• Bachar Al-Assad a-t-il "l’intention de créer un État alaouite"

C’est encore Abdel Halim Khaddam qui l’affirme. "Il est désormais prêt à créer sa république personnelle. Il envisage de s'installer à Lattaquié", précise-t-il. Mais les spécialistes n'y accordent pas de crédit. Le pronostic est "farfelu" aux yeux d’Agnès Levallois. "Même avec le soutien des Russes, qui ont une base à proximité, je ne crois pas à la réalité de ce projet. Lattaquié est en grande partie sunnite, il faudrait vider la moitié de la ville ! Que Bachar pense à une zone de repli oui, mais pas à un Etat."

La Syrie est un pays musulman à 90 %. Environ 70 % des Syriens sont sunnites, et la communauté alaouite, à laquelle appartient la famille du président Bachar Al-Assad, représente environ 10 % de la population. Mais la place de cette dernière dans le gouvernement et l’armée est disproportionnée. Agnès Levallois admet que "le risque d’un conflit interconfessionnel existe. Tout dépend de la façon dont le régime tombe. Plus il tient, plus il sème des graines qui vont amener à des violences."

• Ce projet finira-t-il par "précipiter la fin" de Bachar ?

Projet crédible ou coup de bluff, il semble en tout cas que le régime soit affaibli. Mais il conserve encore des soutiens, notamment auprès de l’opinion publique syrienne. "Jusqu’aux dernières semaines, le régime estimait pouvoir gagner la partie", souligne Agnès Levallois. Mais la répression dure depuis bientôt onze mois et la contestation n’est toujours pas endiguée. "La Ligue arabe [qui a dépêché des observateurs dans le pays] a été perçue par les autorités comme un moyen de gagner du temps. Mais si elle jette l’éponge et passe la main au conseil de sécurité de l’ONU, le temps est écoulé."

Quant à la relève politique, elle serait plutôt assurée par le CNS, basé en Turquie, que par le CNRS de Khaddam. Reste, pour ces dissidents situés à l'étranger, à resserrer les liens avec les opposants restés à l’intérieur du pays. "Les compétences sont là", selon Agnès Levallois. Elle estime aussi qu’une bonne partie des gens qui soutiennent encore  le régime rejoindront l’opposition en cas de renversement du régime. 

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