Anciens marines, Kurdes suédois… Qui sont les Occidentaux qui combattent l'EI en Syrie ?
Des combattants venus d'Amérique ou d'Europe rejoignent les forces kurdes qui combattent à Kobani les jihadistes de l'Etat islamique. Une poignée d'hommes et de femmes très médiatiques.
Ils sont d'anciens marines, d'ex-soldats de l'armée britannique, dirigent des entreprises de sécurité ou étaient infirmiers en Suède, en Allemagne ou en France… Depuis le mois d'octobre 2014, des Occidentaux ont choisi de rejoindre le Kurdistan syrien pour combattre l'Etat islamique. Une dizaine, des centaines peut-être, en comptant les membres de la diaspora kurde. Un nombre sans commune mesure avec celui des jeunes qui, venus des mêmes pays, sont tentés par le jihad.
Pourtant, leurs histoires interpellent. Celle de Dean Parker, le surfeur américain qui plaque tout pour rejoindre les Unités de protection du peuple (YPG), les forces kurdes qui défendent depuis des mois la ville syrienne de Kobani, objet d'un portrait dans Time (en anglais) mardi 20 janvier. Celles des Anglais Jamie Read, James Hughes ou encore de la jeune Silhan Ozcelik, cueillis à leur retour à Londres par les services de renseignement. Quel est le rôle exact de ces renforts inattendus ?
Les "Lions du Rojava", une vitrine internationale
Jordan Matson se présente comme le premier Américain parti combattre l'Etat islamique au Kurdistan syrien, appelé Rojava en kurde. Depuis qu'il a été blessé au combat, cet ancien de l'armée américaine sert sur le front des réseaux sociaux. Il "recrute", explique-t-il aux médias qui le sollicitent. "Je suis contacté par des vétérans venus d'Europe de l'Est, d'Europe occidentale, du Canada, des Etats-Unis, d'Australie, de partout", lançait-il en octobre sur CNN (en anglais). A l'époque, la page des "Lions du Rojava", comme se surnomment eux-mêmes ces combattants, vient d'apparaître sur Facebook. La première photo mise en ligne montre Matson lui-même, kalachnikov à la main, collier de munitions autour du cou. Cet homme armé, photogénique de surcroît, incarne dès lors le combattant occidental, un modèle, un "héros" qui attire les internautes, émus par le massacre des Yézidis ou mus par leur volonté d'en découdre avec les terroristes.
La page doit permettre aux aspirants combattants venus d'Occident d'entrer en contact avec "leurs frères et sœurs" sur le terrain. A ceux (nombreux) qui demandent en anglais "comment vous rejoindre en Syrie ?", l'administrateur anonyme répond : "Envoyez vos questions en message privé."
Mois après mois, photo après photo, le site dresse l'inventaire : un Autrichien, des Américains (dont un certain "Kennedy America"), des Britanniques, des Allemands, un trio de "bikers" hollandais, une Canadienne, un ancien candidat de téléréalité américain (cliquez ici pour le voir s'égosiller "Je suis un vrai redneck moi ! Un vrai redneck !" dans l'introduction de "Seul et tout nu", une sorte de "Koh Lanta" naturiste), etc. Bref, un étonnant casting qui ne mobilise toutefois qu'une quinzaine de personnes, relativise le chef du comité de défense des forces kurdes de Syrie, Ahmad Sheikh Hassan, cité par Time.
"C'est une présence symbolique", relève Kendal Nezan, directeur de l'Institut kurde de Paris, contacté par francetv info. Pour l'YPG (bras armé du parti PYD, né en Syrie et proche du parti kurde PKK), "il s'agit de prouver qu'eux aussi disposent, comme l'Etat islamique, d'une aide venue du monde entier dans cette guerre qui est un enjeu global".
Un puissant outil de communication
Ces quelques combattants étrangers représentent aussi un intérêt stratégique pour les combattants kurdes. "Pour le PKK, c'est une façon d'être intégré dans le jeu mondial", explique Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste, entre autres, des questions kurdes. "Il faut rappeler qu'aux Etats-Unis et en Europe, l'organisation figure sur la liste des organisations terroristes. Mettre en avant des Occidentaux, au moment où Washington et Paris acceptent notamment de leur livrer des armes, cela relève de l'opération de communication, analyse-t-il pour francetv info. L'YPG communique très bien, comme on l'a vu avec la mise en avant des femmes combattantes."
Selon le spécialiste, la lutte des Kurdes de Syrie contre l'Etat islamique a donné lieu à une situation historique : "Il y a deux ans, personne ne parlait d'eux, ils ont d'ailleurs été longtemps divisés en une multitude de mouvements. Et aujourd'hui, ils sont vus comme les seuls à affronter l'EI au sol, sur le terrain." En d'autres termes, puisqu'ils n'affrontent plus de forces étatiques, mais une mouvance terroriste, les Kurdes ont l'opportunité de rallier à leur cause des combattants de toutes les nationalités, et de toucher l'opinion publique.
Une aide toute relative sur le terrain
Ce ralliement ne passe pas nécessairement par les moyens humains. Le PYG n'a effectivement jamais demandé aux Occidentaux de rejoindre ses rangs, explique le chercheur. "Pas même ceux de la diaspora." Kendal Nezan confirme : "Lorsque l'on a grandi dans les faubourgs de Stockholm ou de Cologne, on n'est pas d'une grande aide sur le front, alors qu'il y a déjà des combattants sur place qui connaissent les lieux et défendent leurs terres. Cette aide joue probablement plutôt sur le moral des combattants", explique-t-il. Ce qu'ils veulent, "ce sont des armes, des médicaments", ajoute-t-il.
Le témoignage de Dean Parker, le surfeur américain mentionné plus haut, le confirme : "Je n'ai jamais combattu. Et à vous tous qui voulez venir, restez chez vous, en sécurité. (...) Un, dix ou vingt combattants ne feront pas la différence maintenant." D'ailleurs, impossible de savoir combien sont partis.
Le cas particulier de la diaspora
Citée par le magazine américain Foreign Policy, Susanne Güven, directrice de l'Association nationale des Kurdes de Suède, estime à quelques centaines le nombre de Kurdes qui ont quitté le pays pour la Syrie. Une cinquantaine de Kurdes allemands seraient également partis, relate Der Spiegel. Quant aux Français, "il y en a certainement, mais ils sont peu nombreux", estime le directeur de l'Institut kurde de Paris. Début octobre, Le Parisien (article abonnés) révélait la disparition inquiétante de deux adolescents kurdes de banlieue parisienne, soupçonnés d'être partis pour le Rojava, mais aucune donnée ne permet de confirmer le nombre de départs.
Karim Pakzad sait qu'il y en a quelques-uns, pour en avoir rencontré à leur retour. "Là-bas, ils font un peu de tout, en fonction de leurs compétences, poursuit-il. Ils s'occupent des réfugiés, des blessés, assurent le ravitaillement ou combattent, pour certains. Par ailleurs, même s'ils sont infirmiers, ils sont armés. Tout le monde l'est." Contrairement aux Occidentaux non-kurdes, ils ne se contentent pas de combattre l'EI, mais défendent la cause politique kurde ("dans la tête de chaque Kurde, il y a le rêve d'un Etat"). "Ce n'est pas nouveau. Depuis les années 1980, les militants du PKK en Europe se rendent au Kurdistan turc pour se battre contre la Turquie, poursuit Karim Pakzad. Désormais, depuis l'attaque de Kobani, ils vont en Syrie. Voilà ce qui a changé." Et d'ajouter que leur séjour est relativement court : "Environ six mois, puis ils reviennent. Comme le font les gens de l'EI. Enfin, sauf qu'eux ne rentrent pas avec les intentions terroristes des jihadistes, bien sûr", prend-t-il soin de préciser.
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