Quelque 4.000 Tunisiens ont manifesté dimanche à Tunis pour réclamer la démission du gouvernement de transition
"Gouvernement de Ghannouchi dégage !", ont scandé les manifestants à Tunis tandis que les forces de sécurité ont tiré en l'air pour les disperser.
Outre la démission du gouvernement de transition dirigé par Mohamed Ghannouchi, les protestataires demandaient l'élection d'une assemblée constituante et un système parlementaire.
Dans une ambiance bon enfant, surveillés de loin par l'armée et la police qui avaient déployé deux blindés et des hélicoptères, hommes, femmes, enfants ont réclamé le changement de la plupart des institutions. "Démission du Premier ministre, Assemblée constituante, Indépendance de la justice", "Dissolution du Parlement", "Dissolution des commissions" (l'une des commissions ets chargée de la réforme électorale), pouvait-on lire sur des pancartes. "Notre révolution n'a abouti à rien avec ce Ghannouchi", a déclaré une manifestante.
Mohamed Ghannouchi a été le Premier ministre de Zine El Abidine Ben Ali de 1999 jusqu'à sa chute le 14 janvier. Après la formation le 17 janvier d'un gouvernement d'union nationale dans lequel l'équipe sortante avait conservé la majorité des postes, des milliers de personnes avaient manifesté quotidiennement devant la Kasbah pour obtenir leur démission.
M. Ghannouchi avait finalement remanié le gouvernement épuré des principaux caciques de l'ancien régime le 27 janvier. Depuis, des élections libres ont été annoncées pour dans six mois mais le pouvoir de transition n'a pas fixé de date ni donné de précisions sur le type de scrutins qu'il comptait convoquer. Plusieurs partis d'opposition réclament instamment l'élection d'une Constituante ou la création d'un conseil de sauvegarde de la révolution, estimant que le gouvernement actuel n'a pas de contre-pouvoirs.
Messe en mémoire d'un prêtre égorgé
Environ 200 Tunisiens, Polonais et Africains ont assisté dimanche à une messe célébrée à La Goulette, près de Tunis, à la mémoire du prêtre catholique polonais Marek Rybinski, 34 ans, retrouvé égorgé près de la capitale.
Samedi, ils étaient déjà des centaines dans la capitale tunisienne à manifester pour "une Tunisie laïque", après l'assassinat du prêtre polonais et l'attaque d'une rue de prostitution par des islamistes. "Arrêtez vos actes extrémistes", "Laïcité= liberté et tolérance", pouvait-on lire sur des panneaux brandis sur l'avenue Bourguiba. "Nous avons appelé à cette manifestation pour montrer que la Tunisie est un pays tolérant qui refuse le fanatisme et afin de renforcer la laïcité dans la pratique et dans la loi", a déclaré un blogueur de 29 ans.
Un meurtre attribué aux extrémistes
L'insécurité s'est à nouveau illustrée vendredi avec la découverte d'un prêtre catholique polonais, Marek Rybinski, 34 ans, retrouvé mort égorgé dans le hangar d'une école privée à Manouba (près de Tunis ) où il était responsable financier.
Une messe à sa mémoire devait être célébrée dimanche après-midi à La Goulette, près de Tunis. Les autorités ont attribué ce meurtre qui a beaucoup choqué à des"extrémistes (...) compte tenu de la façon dont il a été assassiné", laissant entendre qu'il s'agissait d'islamistes. Mais de nombreuses personnes ont estimé que cela pouvait aussi être le fait de personnes restées fidèles à Ben Ali.
Le gouvernement tunisien et le mouvement islamiste Ennahda ont condamné ce meurtre. L'école privée avait reçu des menaces de mort dans une lettre confuse adressée aux "Juifs", selon son directeur. "Attention les Juifs. On a mis des caméras et des micro chez vous. Mettez tout ce que vous avez d'argent dans un sac rouge et donnez-le à un ouvrier de chez vous (...) avant midi. Aucun coup de téléphone sinon ça sera la guerre entre nous et la mort", dit la lettre de menace anonyme avec une croix gammée glissée entre les barreaux de la grille de l'école le 30 janvier et transmise par le père Mario Mulestagno. Une plainte avait été déposée à la police.
Au lendemain du meurtre, le ministère des Affaires religieuses a réaffirmé samedi son attachement à "la liberté du culte aussi bien au niveau des croyances qu'au niveau des pratiques" et regretté que "de tels agissements aient eu lieu dans un pays qui s'attache au principe du respect d'autrui et au droit à la différence".
Vendredi, le ministère de l'Intérieur tunisien a souhaité rassurer les ressortissants étrangers et les Tunisiens, affirmant qu'il mettrait "tout en oeuvre" pour garantir leur sécurité. "C'est un groupe de terroristes fascistes ayant des orientations extrémistes qui est derrière ce crime compte tenu de la façon dont il a été assassiné". Le communiqué du ministère de l'Intérieur cité par la TAP ne dit pas s'il soupçonne des extrémistes islamistes, mais il accuse ces extrémistes de profiter d'une situation exceptionnelle pour perturber la sécurité et plonger le pays dans la violence.
Il s'agit d'"un acte à caractère criminel", a estimé pour sa part le ministère polonais des Affaires étrangères.
Le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë, en visite en Tunisie, a "condamné (ce) crime horrible". Il s'agit d'un "acte inqualifiable, contraire à l'identité du peuple tunisien tolérante et fraternelle", a-t-il ajouté dans son communiqué souhaitant que "toute la lumière soit faite".
C'est le premier meurtre à la fois d'un religieux et d'un étranger depuis la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier.
La Manouba, ville de la banlieue nord-ouest de Tunis, est connue notamment pour son important campus universitaire. La Manouba faisait partie des résidences d'été des beys de Tunis.
Vendredi, des islamistes radicaux avaient tenté de mettre le feu à une rue de prostituées, provoquant le lendemain une manifestation pour défendre une "Tunisie laïque".
La semaine dernière, la communauté juive de Tunisie avait exprimé son inquiétude après des incidents antisémites devant la grande synagogue de Tunis.
Première aides sociales du gouvernement
Conscient du vide sécuritaire prévalant depuis la chute du régime, le gouvernement avait décidé la semaine dernière de rappeler des réservistes partis à la retraite depuis cinq ans qui ont rejoint l'armée mercredi. Le gouvernement est confronté chaque jour à l'instabilité avec de nombreux braquages à main armée, des manifestations de Tunisiens réclamant desespérément une aide sociale et à l'immigration clandestine de milliers de Tunisiens partis chercher un emploi en Europe.
Pour tenter d'apaiser les tensions sociales et répondre aux demandes d'une population exaspérée par le chômage (14%, le double pour les jeunes), le gouvernement a annoncé vendredi une série de mesures d'aide sociale d'urgence à destination des plus défavorisés (allocations financières, titularisation d'ouvriers de chantier, attribution de cartes de soins gratuits). Il a aussi appelé les partenaires sociaux à entamer les négociations dans le privé et le public, demande majeure de la puissante centrale syndicale UGTT, selon son porte-parole Taieb Baccouch.
Enfin, le gouvernement a adopté samedi l'amnistie générale des prisonniers politiques. Un décret-loi doit être annoncé dans les "tout prochains jours".
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